mercredi 26 juin 2013

Comment ne pas terminer son roman

Avertissement: Ce texte contient des «spoilers». Si vous avez l'intention de plonger dans Train de nuit pour Lisbonne, ne lisez pas ce qui suit. Un lecteur averti en vaut deux.


C'est par hasard que ma tante de Suisse m'a donné Train de nuit pour Lisbonne le jour où je suis revenue de Berne. Elle ne savait pas que l'histoire commençait justement à Berne. La coïncidence m'a intriguée. J'ai plongé dans le roman le soir même et je l'ai dévoré. Sur 510 pages, ce fut 509 pages de vrai bonbon. Puis je suis arrivée à la fin… et j'ai dû me retenir pour ne pas lancer le livre dans le bac de récupération.

Je vous explique.

D'abord l'auteur : Pascal Mercier, prof de philo à Berlin. Son roman a été écrit en allemand puis traduit en français.

Le roman : Voici un résumé pris sur Evene : 

Une femme penchée sur le parapet d'un pont, un soir à Berne, sous une pluie battante. Le livre, découvert par hasard, d'un poète portugais, Amadeu de Prado. Ces deux rencontres bouleversent la vie du sage et très érudit professeur Raimond Gregorius. Au milieu d'un cours de latin, soudain il se lève et s'en va. Il prend le premier train de nuit pour Lisbonne, tournant le dos à son existence anti-poétique et sans savoir ce que vont lui révéler la beauté étrangère de Lisbonne et le livre d'Amadeu. Fasciné par les profondeurs que ce texte lui ouvre sur l'amour, l'amitié, le courage et la mort, il veut savoir qui était Amadeu de Prado : un médecin de génie, poète, militant engagé dans la Résistance contre la dictature de Salazar - un maître à penser, un explorateur de la vie à la manière des anciens navigateurs portugais qui découvrirent le Nouveau Monde. L'enquête menée par Gregorius l'entraîne dans une ronde de personnages fortement dessinés qui ont connu Amadeu. Leurs témoignages convergent vers cet homme et cernent en même temps, comme par une série de cercles concentriques, la personnalité de Gregorius.

À part le fait que cette histoire commence le matin quand Gregorius se rend à l'école, le reste du résumé est assez juste. Le roman est lent, mais il s'agit de l'histoire d'un prof de latin, de grec et d'hébreux qui découvre la vie d'un Portugais de Lisbonne en lisant un livre écrit par celui-ci et en écoutant ses proches parler de lui. On aborde le sens de sa vie et la raison derrière nos choix. C'est intéressant, philosophique, mais... Aussi bien vous le dire tout de suite, il n'y a pas d'action dans ce livre. Tout l'intérêt réside dans la découverte de ce Portugais par un Suisse prof de langues anciennes. J'aime ce genre d'histoire alors on s'est très bien entendu, ce roman-là et moi. D'autant plus que l'intrigue se pimente à partir de la page 200. Gregorius commence à avoir des vertiges, exactement comme le Portugais sur qui il enquête. Ses étourdissements lui causent presque un accident d'auto. Il s'évanouit ici et là, mais continue son enquête. On s'inquiète avec lui de sa santé. On pense à une tumeur, à un anévrisme (comme c'est arrivé au Portugais, justement). Puis…

Puis... Voici les trois dernières lignes du roman, juste pour vous donner une idée : « Devant la clinique, Gregorius se retourna et fit un signe de la main. Puis il entra. Quand la porte se ferma derrière lui, la pluie commençait à tomber. »

Oui, oui. Vous avez bien lu. Pendant 200 pages, l'auteur module son intrigue au gré des vertiges et des évanouissements, et, à la fin, le personnage pousse la porte de la clinique où il va consulter un médecin. De quel mal souffre-t-il? On ne le saura jamais. C'était pourtant le fil conducteur de l'intrigue des deux cents dernières pages! DEUX CENTS. C'est pas rien.

J'étais tellement insultée d'avoir été menée en bateau que j'ai jeté le livre sur la table du salon et j'ai dit à mon chum : «Chose certaine, c'est le premier ET dernier roman de Pascal Mercier que je lis. Il y a des limites à rire du lecteur.»

Je vais vous dire, j'ai l'impression d'avoir été dirigée de fausse piste en fausse piste. Et, pire, j'ai la sensation que l'auteur ne savait pas comment finir son histoire, alors il a coupé ça court. Il a enfreint le contrat tacite qui existe entre l'auteur et le lecteur. Vous savez, le contrat qui stipule que le lecteur fait confiance à l'auteur qui, lui, promet de mener son histoire de la manière la plus vraisemblable et intéressante possible pour arrivée à une fin cohérente. Qui lui promet aussi des réponses à presque toutes les questions laissées en suspens dans le récit. Oui, c'est de ce contrat-là que je parle. Et c'est ce contrat-là qui n'a pas été respecté. Unilatéralement.

Chers écrivains en herbe, pensez à votre lectorat quand vous écrivez. Et pensez au contrat qui vous lie tous les deux. À moins que vous vouliez qu'on ne vous lise qu'une fois.


mardi 18 juin 2013

Le sexe dans le roman 1Q84

Note : Il ne faudrait surtout pas penser que, parce que je m'apprête à me payer la tête de Haruki Murikami, je n'aime pas son roman. En fait, j'adore. 1Q84, c'est palpitant, bien mené et original. Mais Diable que l'auteur est dans le champ quand il s'agit du sexe! Mieux vaut en rire… avant d'en pleurer. (Ah, oui! Ce billet est un peu long parce que je tenais à vous mettre les extraits.)

Mieux vaut en rire…

Voici quelques extraits qui me portent à croire que l'auteur, tout artiste qu'il est, est un homme qui n'a pas réussi à se mettre dans la peau d'une femme. Du moins lorsqu'il est question de sexe.

Ici, Aomamé se souvient du corps d'une amie :
Elle se rappelait encore aujourd'hui, avec une netteté plutôt étrange, les mamelons ovales de Tamaki, sa légère toison pubienne, les jolies rondeurs de ses fesses, la forme de son clitoris. 

 Oui, oui! Elle se souvient, quinze ans plus tard, de la forme du clitoris de cette copine d'école avec qui elle a couché quand elle était ado.

Ici, Aomamé se regarde dans le miroir.
 Un ventre tout à fait plat, des muscles d'athlète. Une dissymétrie peu satisfaisante dans les seins, une toison pubienne qui évoquait un terrain de foot mal entretenu. 

J'aurais pu trouver la chose acceptable si l'auteur n'était pas revenu à la charge un peu plus loin.
Chaque jour, nue devant son miroir, elle se soumettait à un examen minutieux. Non pour s'admirer, bien au contraire. Ses seins n'étaient pas assez volumineux. Dissymétriques, en outre. Sa toison pubienne ressemblait à un champ piétiné par un bataillon d'infanterie après un défilé. 

J'aimerais rencontrer la femme qui songe aussi souvent à son pubis.

Mes deux scènes préférées, maintenant.

Ici, Aomamé est prise d'une brûlante envie de faire l'amour. Elle prend le métro et observe l'homme qui s'est assis en face.
Aomamé serait volontiers allée quelque part avec cet homme. Ils auraient fait l'amour violemment. Elle s'imaginait agripper son pénis durci. Elle le serrerait très fort, au point de bloquer la circulation du sang. Et, de l'autre main, elle lui masserait doucement les testicules. Elle en avait comme des démangeaisons dans les mains, posées sur ses genoux. Ses doigts s’ouvraient ou se refermaient à son insu. Elle respirait plus vite, ses épaules montaient et redescendaient. Elle se léchait lentement les lèvres du bout de la langue. 

Pis elle est descendue du métro sans rien faire, la tarte! Moi, je suis restée à rire un bon cinq minutes, le livre ouvert sur mes genoux. Quand une fille a envie de faire l'amour, je ne pense pas que son fantasme principal soit de cet ordre… Mais peut-être que je me trompe…

Et le bonbon :

Ici, Tengo  vient de recevoir chez lui sa petite amie plus âgée.
Ce jour-là aussi, elle portait de la lingerie noire. Elle lui avait fait une fellation consciencieuse. Ensuite, elle s'était régalée de la dureté de son pénis et de la douceur de ses testicules. Tengo pouvait voir ses seins emprisonnés dans son soutien-gorge en dentelle noire qui montaient et descendaient au rythme des mouvements de sa bouche. Afin d'éviter de jouir trop vite, il ferma les yeux et pensa au Ghiliak. 

Bon. Si le personnage était épais, on se dirait qu'il manque d'expérience. Il est persuadé que la fille a du plaisir, qu'elle jouit de lui faire une fellation. Il a 30 ans, joual vert! Ce n'est pas la première femme qu'il met dans son lit. Écrit comme c'est écrit, on se convainc très vite que c'est l'auteur qui pense que la femme veut que la fellation dure longtemps longtemps, longtemps. Chose certaine, ça ne donne pas envie de coucher avec lui parce que, comme l'a dit Jocelyne Robert sur son blogue, la femme ne possède pas de clitoris dans la gorge.

Ce qui m'agace (mdr), c'est qu'on dirait que le plaisir des personnages féminins se prend à travers celui des personnages masculins. Sont donc ben fines les Japonaises! Plus dévouée que ça, tu meurs!

Bon. Fini de rire. Les larmes — ou la colère — maintenant.

Ce passage-ci m'a fait dresser les cheveux sur la tête. S'il s'était s'agit d'un événement unique dans le livre, je veux dire, s'il n'y avait pas eu les incohérences dans les scènes de sexe, je serais arrivée à la conclusion qu'il s'agissait d'un problème de communication d'ordre culturel. Haruki Murakami est un Asiatique (Japon). Je suis une Occidentale (Canada). Il n'existe peut-être pas plus différent au monde. Mais voilà. Si on tient compte des scènes de sexe ridicules, une seule conclusion s'impose : l'auteur n'a pas de talent pour se mettre dans la peau d'une femme.

Voici la scène en question. Attachez votre tuque avec de la broche, c'est heavy.

Mise en situation : Aomamé est invitée chez une cliente, une dame très âgée, qui a recueilli une fillette de 10 ans traumatisée.
Celle-ci (la dame) expliqua sur un ton presque détaché : “Il y a des traces de viol évidentes. Et cet acte a été répété. L'appareil génital externe et le vagin ont été gravement atteints, ainsi que l'utérus. Dans ses parties intimes non encore complètement formées s'est introduit un sexe d'homme adulte. La zone où s'implantent les ovules en a été fortement endommagée. Le médecin a estimé qu'elle ne pourrait jamais être enceinte. 

Et plus loin :
Ce n'est pas tout, poursuivit calmement la vieille femme. Même si par miracle son utérus retrouvait ses fonctions, plus tard, elle ne voudrait sans doute avoir de relations sexuelles avec personne. Parce que, avec des lésions aussi considérables, la pénétration lui causera obligatoirement d'affreuses douleurs, qui se répéteront chaque fois. Le souvenir de cette souffrance ne s'effacera pas facilement. Vous comprenez, n'est-ce pas, ce que je veux dire… 
 Autrement dit, la zone où ses ovules, déjà prêts en elle, auraient dû s'implanter, a été endommagée. Cette fillette est… » La veille femme jeta un bref regard du côté de Tsubasa (la fillette), puis elle continua : « … d'ores et déjà stérile. 

À aucun moment les femmes qui se trouvent en présence de l'enfant violée ne parlent de l'horreur du viol — du viol à répétition, dois-je le préciser. Jamais on ne fait référence au traumatisme. Aucune de deux adultes ne s'imagine à la place de l'enfant, ne pense à la peur des hommes qui l'habitera le reste de ses jours, à la douleur qui l'habite encore puisqu'elle vient d'être soustraite à son agresseur. C'est pas compliqué, le drame le plus important, à leurs yeux, c'est que la petite fille est stérile. Non, mais pensez-y. C'est affreux! Bien plus affreux que ce qu'elle a subi. (Je suis sarcastique, ici, j'espère que vous aviez compris.)

Le pire, c'est que j'adore 1Q84 sous tous les autres aspects. C'est un très bon roman. Mais disons qu'on pourrait le soumettre au concours des pires scènes de sexe en littérature. (Bad Sex in Fiction Award) Il gagnerait probablement.

Il y a quand même des jours où  je me dis que s'il s'agit sûrement d'une différence culturelle. Ces jours-là, je suis bien contente d'être québécoise.

Comme je n'ai pas encore fini de lire la série (Il y a trois tomes), je continue chaque soir de lire un passage de ce genre à mon chum. Et chaque soir il me dit la même chose : « Un auteur ne devrait pas être aussi sûr de lui quand il parle de quelque chose qu'il ne connaît pas. » Je suis bien d'accord. 

mardi 4 juin 2013

Le nécessaire voyage

« Si le monde est un livre, ceux qui ne voyagent pas ne lisent qu'une page. »

Chaque fois que je reviens de voyage, je pense à cette citation de Saint Augustin. Et je me demande ce qu'il aurait pensé de nos voyages en avion, moyen de torture moderne appliqué aux masses autant qu'à l'élite (la distinction se trouvant dans le nombre de centimètres entre les sièges et dans le ratio toilette/passagers).

J'aime arriver dans un aéroport et quitter un aéroport. Mais entre le moment où on s'assoit sur son siège et celui où l'appareil s'arrête enfin, au bout de plusieurs heures, il me semble qu'il s'écoule une éternité. Une souffrante éternité qui me fait à me demander dix fois au moins ce que je fais là, pourquoi j'accepte de me confiner à une cabine étouffante avec des centaines de mes semblables. Pour passer le temps, et pour moins souffrir de cette immobilisation forcée, je bois du vin rouge et je lis en jurant qu'on ne m'y reprendra plus. Pourtant, à la fin, quand je reviens chez moi, il ne s'écoule pas deux semaines avant que je recommence à ébaucher le plan d'un prochain voyage.

J'aurai été portée à douter de mon équilibre mental si je n'avais trouvé, dans les biographies d'écrivains que j'admire, une tendance similaire. Quand je voyage, je garde toujours à l'esprit leur vision de la chose :
« En vérité, je ne voyage pas, moi, pour atteindre un endroit précis, mais pour marcher : simple plaisir de voyager. » Robert Louis Stevenson

« Voyager, c'est avant tout se libérer des routines et des préjugés. »  Et « Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait le tour de sa prison. » et encore « Une manière d'être fidèle à ce qu'on est en échappant au confort de la réussite ou de la tranquillité. » Marguerite Yourcenar 

« Un droit que bien peu d’intellectuels se soucient de revendiquer, c’est le droit à l’errance, au vagabondage. Et pourtant, le vagabondage, c’est l’affranchissement, et la vie le long des routes, c’est la liberté! Rompre un jour bravement toutes les entraves dont la vie moderne et la faiblesse de notre cœur, sous prétexte de liberté, ont changé notre geste, s’armer du bâton et de la besace symboliques, et s’en aller! Pour qui connaît la valeur et aussi la délectable saveur de la solitaire liberté (car on n’est libre que tant qu’on est seul), l’acte de s’en aller est le plus courageux et le plus beau. Égoïste bonheur, peut-être. Mais c’est le bonheur, pour qui sait le goûter. Être seul, être pauvre de besoins, être ignoré, étranger et chez soi partout, et marcher, solitaire et grand à la conquête du monde. » Isabelle Eberhardt

Le voyage me semble nécessaire, même si, parce que je voyage, je repousse sans arrêt le moment d'écrire. Qu'écrirai-je si je ne voyage pas? Tous mes romans parlent d'ailleurs où j'explore autant l'extérieur que l'intérieur. Je n'ai pas qu'une vision intellectuelle ou didactique du voyage en ce sens que je ne cherche pas les comparaisons ni les connaissances (ce qui ne gène pas, mais s'avère trop souvent une expérience incomplète). Il s'agit plutôt dans mon cas d'un décrochage, d'une ouverture à la vie, aux hasards, aux sensations, aux sentiments, aux gens. C'est ce que disait aussi, ou à peu près, Marguerite Yourcenar, en ajoutant qu'il s'agissait également d'une ouverture vers le rêve. 

Je rapporte de chaque voyage une multitude d'anecdotes, de personnages, d'impressions et de sentiments nouveaux. Mes carnets sont remplis de paragraphes entiers rédigés sur une place publique ou dans un café, dans un moment d'inspiration intense.

J'ai souvent l'impression que le déséquilibre causé par le voyage, cette perte de repères, de notion du temps, en plus de tous les inconforts inhérents aux déplacements, force l'esprit à vivre dans l'instant présent. Il lui donne accès à une force créatrice nouvelle, comme si le fait de sortir totalement de son quotidien permettait un renouvellement des idées, une meilleure connexion au Grand Inconscient Collectif de Jung, là où se trouvent toutes les histoires, offertes à l'écrivain en éveil, alerte, sensible et fortement inconfortable. Loin de mon bureau, de ma cuisine et de mon lit, les idées jaillissent comme d'une fontaine. Les mots sont justes, évocateurs et il me faut chaque fois les mettre immédiatement par écrit à défaut de quoi ils s'évaporent. Or, en voyage, autant qu'à la maison, mes mots et mes idées, comme les nuages, ont des formes évanescentes, temporaires, furtives. Si je ne les croque pas sur le vif, ils disparaissent, laissant derrière eux d'autres mots souvent moins bons, d'autres images parfois moins claires ou, pire, un écran de ciel bleu… parfois même une page blanche.

Le voyage donc, est à la fois mon antidote et mon stimulant. C'est sans doute un poison aussi, de même qu'un gouffre financier sans fond où pourtant je ne regrette jamais un sou investi. L'expérience ne s'achète pas, elle se vit ou elle ne se vit pas. C'est une question de priorité et, dans mon cas comme dans celui de bien des écrivains, une question d'équilibre, histoire d'avoir accès le plus souvent possible et de la plus passionnante façon à la source de sa propre créativité.