« Dans la vie,
il y a trois facteurs : le talent, la chance, le travail. Avec deux de ces
facteurs, on peut réussir. Mais l'idéal est de disposer des trois. »
Bernard Werber.
Ma carrière ne
serait pas celle qu'elle est si je n'avais pas eu de chance dès le début.
L'année de mon prix Robert-Cliche, il y avait deux auteurs de romans
historiques parmi les membres du jury. J'aurais soumis mon texte l'année
d'avant ou l'année d'après, je serais passée dans le beurre.
À partir de là,
il a fallu certes beaucoup de travail, mais il a fallu aussi que je voie la
chance quand elle passait. Et, heureusement pour moi, elle est passée
fréquemment. Je ne saurais dire si je l'ai saisie chaque fois, mais je me suis
servie assez souvent, merci. Il m'est même arrivé de saisir une occasion sans
m'en rendre compte, comme si, inconsciemment, une petite voix me disait : « C'est
le temps! Maintenant! » J'ai donc appris à écouter cette petite voix
intérieure qui sait ce que je ne sais pas.
Évidemment, pour
arriver à cette vision du monde, il faut admettre qu'on ne contrôle qu'une
infime partie de notre vie, même si on a l'impression que tout ce qui nous
arrive dépend de nous. Si vous êtes de ceux qui se pensent en contrôle de leur
existence, je vous suggère d'aller jaser avec les gens de Lac-Mégantic. Ils en
ont gros à dire sur le sujet.
Personnellement, j'ai
fini par élaborer ma propre définition de la chance. La chance, donc, pour moi, c'est le hasard dans lequel on voit une
opportunité. On peut la prendre ou pas.
Lors d'un voyage
en Nouvelle-Écosse pour repérer les lieux que j'ai utilisé dans Les deux saisons du Faubourg, j'ai fait
la connaissance d'un homme aussi intéressant qu'original. Il s'appelle Bill. Bill
est un businessman qui a réussi là où plusieurs se sont plantés. Je lui ai posé
cette question : Comment fait-on pour avoir du succès en affaires? Sa réponse :
Il faut sentir le vent, agir quand notre instinct nous dit que c'est le moment
et s'y investir sans retenue. Si on ne mise que 50 % et qu'on échoue, on ne saura jamais ce que ça
aurait donné si on y avait mis 100 %. Pour résumer, disons que Bill est
contre la prudence. Je ne parle pas ici de la prudence au volant ou devant un
B. B. Q au propane. Je parle de celle qui nous empêche de nous investir à 100 %
pour mener à terme quelque chose de plus grand que nous-mêmes par peur de tout
perdre.
Bill s'est lancé
à 100 % il y a une dizaine d'années dans une aventure qui visait à mettre
sur pied un commerce qui durerait. Certes, il s'était planté quelques fois
auparavant. Mais, me disait-il, il avait beaucoup appris de ses échecs. D'une
fois à l'autre, il ne reproduisait jamais les mêmes erreurs, même s'il en
commettait de nouvelles. Son but n'était pas de faire de l'argent. Il voulait
simplement réussir, voir sa business naître, grandir et survivre. Cette
motivation lui donnait une sorte de sixième sens pour flairer les opportunités.
Un œil supplémentaire pour voir la chance quand elle passait.
J'ai beaucoup
réfléchi depuis ma rencontre avec Bill et je suis arrivée à la conclusion que
sa philosophie s'applique aussi aux arts. À l'écriture, en tout cas. Questionnez
n'importe quel écrivain qui connaît un succès qui dure. Il vous parlera du
talent (Évidemment, il en faut.). Il vous parlera aussi du travail, de toutes
ces heures qu'il consacre à l'écriture. Et s'il est honnête, il vous dira qu'un
jour, dans sa vie, il a vu la chance apparaître devant lui et qu'il l'a attrapé
au vol.
Il s'agit parfois
de rencontrer la bonne personne.
Il s'agit parfois
de sortir un livre à un moment où il se produit un événement médiatique qui
rejoint le sujet traité dans ledit livre, et ce, sans l'avoir planifié.
Il s'agit parfois
de publier un roman d'un certain genre (sans faire exprès!) dans les mois qui suivent un grand succès du même genre et de
récupérer, par accident, le lectorat de l'auteur à succès.
Et il peut s'agir
de soumettre son manuscrit à un concours telle année plutôt que telle autre,
sans savoir qu'il y a, parmi les membres du jury, des gens avec qui on a des affinités
littéraires.
Mais il y a une
chose que j'ai remarquée et que Bill et d'autres hommes d'affaires avec qui
j'en ai jasé pourraient vous confirmer : La chance vous ignore souvent si
votre seul but est de faire de l'argent. On dirait même qu'elle ne vient que si
vous avez un objectif plus grand : accomplir quelque chose.
Ça a l'air
quétaine, dit comme ça, je sais. Mais, des fois, je me demande si Herman Hesse
n'avait pas raison quand il disait :
« La chance
n'a rien à voir avec la raison ni avec la morale. Elle est d'essence magique,
attribut d'un niveau précoce et juvénile de l'Humanité. » Dans le fond, au niveau précoce et juvénile
de l'Humanité, l'argent n'existait pas.