Avertissement: Je sais que ce billet est un peu long, mais j'ai voulu faire le tour de la question. Alors, indulge me, comme on dit en anglais, et suivez-moi jusqu'à la fin, s'il vous plaît.
La semaine
dernière, une journaliste de Radio-Canada m'a demandé comment j'expliquais le
mépris que les écrivains dits littéraires affichent vis-à-vis les écrivains grand
public comme moi. Je ne m'attendais pas à cette question alors je lui ai
cité Katherine Pancol qui disait que c'était le rêve de tout écrivain que d'être lu et que seule la jalousie pouvait justifier autant de mépris de la part des premiers
vis-à-vis les deuxièmes.
Puis, en fin de
semaine avait lieu le Salon du livre de l'Estrie. Nous étions 260 auteurs en
dédicace. Ça faisait du monde à la messe, comme on disait quand j'étais jeune. Une
des tables rondes de samedi portait le titre : Les livres ont-ils tous la même valeur? Il était facile de
prévoir la dérape. Je ne participais pas à cette table ronde, mais j'en ai eu
des échos. On y avait d'abord manifesté l'animosité habituelle des écrivains grand public envers les universitaires. Heureusement,
quelqu'un a eu la bonne idée de modifier l'orientation de la table ronde en demandant
s'il y avait un public pour tous les genres de romans. Cette initiative a sauvé
la mise et le reste de la table ronde s'est déroulé dans le respect dû à un
événement de salon du livre.
Enfin, dimanche
s'est produit un autre événement qui m'a fait réfléchir. Il s'agissait au
départ d'une conversation entre trois écrivains de l'Estrie, dont moi-même. J'étais
en train de nier la rumeur voulant que ce soit Hugues Corriveau qui m'aurait
dit à quel point il détestait mon dernier roman (Pour comprendre de quoi il
s'agit, prière de lire le billet : Ce qu'il faut d'humilité )
Une auteure de
l'extérieur s'est approchée.
— Quoi? a-t-elle
demandé. Hugues Corriveau a fait une mauvaise critique de ton dernier livre?
J'ai sorti ma
réponse aussi vite que Lucky Luke ses révolvers.
— Voyons donc!
Hugues Corriveau ne toucherait pas à mes romans même avec une perche de dix
pieds!
Ces mots m'ont
surpris moi-même. Et plus tard, ce soir-là, je me suis demandé pourquoi j'avais
été aussi prompte à penser que Hugues Corriveau méprisait ce que j'écris. C'est
peut-être le cas, je ne le sais pas. Nous nous sommes parlé une seule fois
depuis que je vis en Estrie, au 5 à 7 de l'Association des auteures et auteurs
de l'Estrie, il y a un mois. Ce soir-là, il m'a avoué ne jamais avoir lu ce que
j'écrivais. Je me dis qu'on ne peut mépriser ce qu'on ne connaît pas. À moins
qu'on méprise par préjugé. Et là, je n'ai aucune preuve de préjugé. Juste d'indifférence.
Et c'est ben correct de même.
Si je vous parle
de ça aujourd'hui, c'est qu'après avoir lancé ma phrase assassine, j'ai connu
une espèce d'épiphanie. Je me suis demandé pourquoi il existait autant de
hargne entre les écrivains dits littéraires (souvent universitaires) et les
écrivains grand public. Pour y voir clair, j'ai couché sur papier mes
observations de ces dernières années.
Tout d'abord, il
faut savoir que même s'il existe depuis longtemps des écrivains au Québec,
l'écrivain grand public, lui, est relativement nouveau. Yves Thériault fut
peut-être un des premiers. Arlette Cousture, Francine Ouellette et Yves
Beauchemin ont suivi. Marie Laberge est venue tout de suite après. Et à partir
du début des années 2000, c'est toute une brochette d'écrivains de genre qui
sont apparus.
La plume des
écrivains grand public rejoint un vaste public qui, il y a vingt ans, lisait
des traductions de l'américain ou des importations de France. La plume des
écrivains littéraires rejoint surtout leurs pairs en plus d'une certaine élite
intellectuelle. Les gens lisent l'un OU l'autre. Certains lisent les deux, mais ils sont rares.
L'écrivain dit littéraire est un universitaire
(la plupart du temps) qui excelle à manier la plume. Son style est travaillé,
ses phrases, ciselées. Elles sont en elles-mêmes de petits bijoux. Les livres dits littéraires suivent le courant actuel, une école ou une filiation littéraire avec un
professeur.
L'écrivain grand
public est un conteur né qui possède une imagination débridée. Il n'a pas
nécessairement d'études en lettres ou en création littéraire, mais il est
capable de produire une brique de 600 pages par année, des fois plus. Ses
histoires fascinent, mais on ne lui reconnaît pas un style élégant, ce qui ne
veut pas dire qu'il ne travaille pas son texte. C'est juste que la langue, chez
lui, est un outil et non une fin en soi. C'est vrai qu'il est facile à lire,
mais comme on dit en anglais, Easy
reading is hard writing. Et pour écrire un page turner, il faut travailler fort.
Là s'arrêtent les
différences, parce que pour le reste, ces deux types d'écrivains sont pareils. Ils ont un ou plusieurs
éditeurs avec lesquels ils s'arrachent parfois les cheveux. Quand ils publient
un livre, ils espèrent qu'on va mentionner la chose dans le journal… au moins
une fois. Ils s'enflent la tête pendant un temps, convaincus que ce qu'ils font
est important, puis redescendent sur Terre au bout de quelques années en
réalisant qu'ils n'ont pas inventé l'eau tiède. Ils rêvent en secret du jour où
on adaptera leur livre à l'écran et prie pour aimer le résultat. Mais surtout,
ils veulent qu'on les aime et que quelqu'un, quelque part, reconnaisse leur
talent.
Depuis mon
arrivée en Estrie, je milite pour une reconnaissance de l'écrivain grand
public. Je milite pour que dans les jurys des différents prix, on n'ait pas que
des universitaires. Parce que les universitaires valorisent rarement autre
chose que ce qu'on leur a appris à l'école, c'est-à-dire l'écriture dite
littéraire. Ils font fi de l'imagination, du souffle, du talent, parfois brut,
mais toujours naturel, de ceux qui rejoignent les masses. Trop souvent, la plume
moins travaillée, voire parfois malhabile, des écrivains grand public les lasse.
Je les comprends. Mais choisir uniquement des universitaires-littéraires comme membres
d'un jury signifie qu'on ne valorise qu'un seul type de roman : celui
qu'on enseigne à écrire à l'université.
L'adage qui
consiste à dire que si ça se vend, c'est nécessairement mauvais m'horripile.
Les gens ne sont pas des imbéciles. Ils recherchent quelque chose dans un
livre. Une voix qui les touche, des personnages qui résonnent en eux comme un
appel mystique. Nier la valeur des livres qui les rejoignent, c'est comme nier
que certains dessins ou tableaux nous touchent plus que d'autres. Il suffit de
voir les œuvres des gens comme Sybiline ou Denis Jacques pour réaliser que si
on peut tous apprendre à dessiner, certains artistes le font avec une spontanéité
et un réalisme si naturel qu'il en est déroutant. Le même phénomène existe en
littérature. Il ne s'explique pas, et on ne doit pas en diminuer la valeur à cause de ce qu'en pense telle ou telle école littéraire. Surtout que ces écoles ne s'entendent pas entre elles.
Je me souviens du jour où une écrivaine
littéraire de ma connaissance est tombée sous le charme de Millenium. Toute penaude, mais quand même émue, elle m'a avoué: «
C'est pas drôle! Même moi, j'aime ça!» Ça veut tout dire.
Jean Pettigrew,
de chez Alire, a trouvé une comparaison très juste pour illustrer les deux
groupes d'écrivains qu'on met (ou qui se mettent) trop souvent en opposition.
Il compare le style à un marteau. Certains auteurs ont un marteau tout bossé,
avec un manche usé. Avec ce marteau, cependant, ils sont capables de bâtir des
cathédrales. D'autres écrivains ont un marteau digne d'une œuvre d'art, avec
des incrustations de pierres précieuses et de l'or plaqué sur le manche. Un tel
marteau, on le ménage et il est bien rare qu'on s'attaque avec lui à une construction d'une grande ampleur. On l'utilise pour des ouvrages délicats, aussi
délicats que le marteau lui-même. Le meilleur compromis, selon Pettigrew, c'est
d'avoir un marteau pas trop mal et de ne pas avoir peur de s'en servir pour
ériger de grands bâtiments.
Le reste n'est
que question d'ego. De part et d'autre. Et j'en ai ras le bol de l'ego qui nous
empoisonne la vie. Celui des uns comme celui des autres comme le mien. Notre
littérature est plus vivante qu'elle ne l'a jamais été. Les Québécois lisent
plus de livres québécois que jamais dans l'histoire de notre nation. Il suffit
d'aller dans les librairies pour constater les présentoirs qu'on nous réserve
(et qui n'existait pas il y a 20 ans). Il suffit de se promener dans un salon
du livre pour voir à quel point les visiteurs achètent québécois. Ces ventes
sont bonnes pour tout le monde. Un éditeur qui garde un écrivain grand public
populaire dans son écurie a les moyens de publier davantage d'auteurs
littéraires dont les livres, à petit tirage, ne font pas leurs frais. Tout le
monde y gagne.
Alors, s'il vous
plaît, enterrons cette hache de guerre née de la jalousie, de l'orgueil, du
mépris et de l'ignorance et célébrons la vitalité de notre littérature en toute
amitié.
p.s. J'ai confondu deux des tables rondes du SLE. Dans la première version de ce billet, j'ai mentionné celle qui s'appelait Est-ce que tout ce qui s'écrit est bon à lire? En fait, je voulais parler de celle-ci: Les livres ont-ils tous la même valeur? Avouez que ça se ressemble. Je viens de faire la correction dans texte.