lundi 24 février 2014

Les fameuses lettres de refus

Cette semaine, pour vous faire rigoler, j'ai décidé de vous raconter comment j'ai vécu à la période des lettres de refus. Parce que je ne vous mentirai pas, tous les écrivains en reçoivent, à un moment ou à un autre.

Pour commencer, voici un petit résumé de «Comment je suis devenue écrivaine». (Pour les contorsions d'ordre financières, consulter le billet où je parle d'argent.) Aussi, je vous ai déjà parlé de la chance dans la carrière d'un écrivain. Je pense que j'en ai eu beaucoup. Mais comme le dit l'adage populaire: Aide-toi  et le ciel t'aidera. La détermination est selon moi la qualité primordiale d'un écrivain.

À la fin des années 1990, dans le cadre des Journées de la culture, j'ai assisté à un atelier baptisé Du manuscrit à l'édition. Trois éditeurs y décrivaient les rouages du milieu du livre. Parmi eux, Jean Pettigrew, des éditions Alire.

Ce que j'ai retenu des propos de M. Pettigrew?

1. Pour que notre manuscrit soit lu, il faut être chanceux, tomber le bon jour dans la bonne pile. Il faut aussi que le lecteur soit de bonne humeur, qu'il n'ait pas de problème de digestion, mettons. (Là-dessus, on n'a aucun contrôle. Je suggère d'allumer des lampions.)

2. Pour savoir jusqu'où s'est rendu le lecteur de la maison d'édition, on n'a qu'à retourner (inverser le haut et le bas) une page toutes les dix pages. Ainsi, quand le lecteur de la maison d'édition arrive à la page 10, mettons, il la met à l'endroit et poursuit sa lecture. Même chose quand il arrive à la page 20, 30, 40, etc. Si le manuscrit est refusé, l'auteur peut demander de ravoir le document. Il peut alors vérifier l'état des pages retournées.

Il s'agit d'un des meilleurs conseils que j'ai reçu dans ma carrière. Et je l'ai mis en application dès que j'ai envoyé Les dames de Beauchêne à une dizaine de maisons d'édition. C'était en 2000. J'envisageais déjà d'écrire une trilogie qui s'appellerait Tourments d'Amérique. (Vous voyez que j'avais déjà beaucoup d'ambition.)

Six mois plus tard, la première lettre de refus est arrivée par courriel.



Je l'ai imprimée et je l'ai rangée. Je n'étais pas découragée. Après tout, il s'agissait d'un seul refus.

La seconde est arrivée par la poste.


Tout n'était pas sombre, dans cette lettre, alors je gardais encore espoir.

Puis il y a eu les autres. Elles avaient l'air de ça:


et de ça:


Ok. Je commençais à souffrir, je l'avoue. Même que j'ai commencé à avoir peur quand je me rendais à la boîte aux lettres.

Dans le lot, il y en a eu une fort polie:


Les Français non plus n'en voulaient pas:



Heureusement pour moi, j'avais suivi le conseil de M. Pettigrew et j'avais retourné une page toutes les dix pages. Quand mes manuscrits sont revenus, j'ai tout de suite vérifié jusqu'où s'était rendu le lecteur.

Réponse: Aucun n'avait passé la page 20.

J'aurais pu laisser tomber. Je suis aujourd'hui convaincue que les artistes qui réussissent se doivent d'avoir la foi. La foi en leur talent et en leur possibilité. Une foi inébranlable, cela va sans dire.

Au lieu de chercher d'autres éditeurs, je me suis remise à l'ouvrage. J'ai posé mon manuscrit sur mon pupitre, j'ai ouvert un document Word vierge et j'ai complètement réécrit mon roman. Ma conclusion était simple:
J'avais travaillé cinq ans sur ce roman. J'étais nécessairement meilleure à la fin qu'au début.Il fallait donc réécrire, c'est-à-dire composer de nouveau chaque phrase, chaque paragraphe, chaque chapitre. Et c'est ce que j'ai fait.

Une fois que j'ai eu fini de tout réécrire, j'ai envoyé cette nouvelle version de mon roman à dix autres éditeurs en utilisant le même procédé que précédemment. À la librairie de mon village, j'avais ramassé le coupon d'inscription au prix Robert-Cliche. Tant qu'à avoir un roman tout prêt, je l'ai soumis là aussi.

Quelques mois plus tard, cette lettre-ci est arrivée:


C'était un refus, mais j'en ai pleuré de joie. L'éditeur avait eu la gentillesse d'inclure le rapport. Je l'ai dévoré.

J'étais tellement encouragée que j'ai sorti une autre histoire de mes cartons. Il s'agissait d'un roman fantastique pour adolescents sur lequel je travaillais depuis l'université. Je l'ai réécrit en tenant compte des commentaires du rapport et je l'ai envoyé à des éditeurs en utilisant encore une fois le truc de M. Pettigrew.

Les premières lettres ressemblaient à celle-ci:


Une chance, je commençais à m'endurcir.

Puis cette lettre est arrivée:



«Malgré ses qualités certaines.» Vous dire combien ces mots mettaient du baume sur mon coeur d'écrivaine en devenir!

C'est à peu près à ce moment-là que j'ai reçu un coup de fil de Jean-Yves Soucy, de chez VLB éditeur. Il voulait savoir si j'avais signé un contrat pour Les dames de Beauchêne parce que mon roman était finaliste au prix Robert-Cliche et que, pour gagner, il ne devait pas avoir été édité ailleurs.

Ce soir-là, j'ai ouvert une bouteille de bulles. La première (mais pas la dernière, vous vous en doutez).

De mai à septembre, j'ai travaillé sur mon roman pour le préparer à l'édition.

Et le 4 novembre 2002, on me remettait le prix Robert-Cliche à la Bibliothèque nationale.

Le 5 novembre, en revenant chez moi, j'ai trouvé cette lettre de refus dans la boîte aux lettres.


En d'autres circonstances, ça aurait été mon coup de grâce. Croyez-moi quand je vous dis que, malgré mon prix Cliche, j'ai sacré pendant deux jours en me répétant que celui qui m'avait écrit cette lettre n'avait pas lu mon roman. J'y faisais explicitement référence à Highlander! Mes personnes allaient même au cinéma voir le film. J'avais établi plein de correspondances. EXPRÈS!!!!!

Écriture approximative. Vocabulaire pris en défaut. Avouez que ça fesse. (Le plus drôle, c'est que dans presque tous les témoignages que j'ai reçus en onze ans de carrière, mes lectrices et mes lecteurs m'ont toujours parlé de mon écriture. Toujours pour me dire combien ils en appréciaient la simplicité, combien ils étaient touchés par ma façon de raconter, de décrire, de faire vivre les événements. Mais à l'époque de la lettre de refus, je l'avoue, j'ai fortement douté de mon talent. Je vous avouerai aussi que j'écris quand même mieux aujourd'hui qu'à l'époque.)

À ma grande surprise, quelques jours après la plus horrible lettre qu'on m'ait envoyée de ma vie, une autre lettre arrivait, datée du 4 novembre, celle-là, donc écrite juste avant que je reçoive mon prix.



On parle du moment roman ici. De la même version du même manuscrit. Deux éditeurs, deux opinions du même texte. Vous dire combien j'étais confuse!!!

La courte échelle s'était aussi montrée intéressée par mon roman, et c'est avec elle que j'ai signé un contrat. L'année suivante, ce roman, rebaptisé Mystique, gagnait un sceau d'argent M. Christie. Il a depuis été réédité chez Soulières éditeur sous son titre original Sur les traces du mystique.

Et Les dames de Beauchêne dans tout ça? Ben, après avoir mérité le prix Robert-Cliche, le roman a été finaliste au Prix de la relève Archambeault.

Quelles conclusions peut-on tirer de mes débuts littéraires? Premièrement, on peut dire que la littérature possède un caractère fortement subjectif. Deuxièmement, on peut être convaincu que pour être écrivain, il faut être tenace. Il faut avoir une détermination à toute épreuve. Il faut être travaillant, ne pas être pressé. Et il faut avoir la foi.

Dans son livre Écriture, mémoire d'un métier, Stephen King décrit comment, lorsqu'arrivaient les lettres de manuscrits refusés, il les empalait sur un clou fiché dans un mur. J'ai préféré les glisser dans un dossier. C'est comme ça que j'ai pu mettre la main dessus pour vous montrer à quel point le chemin vers le succès est semé d'embûches.



lundi 17 février 2014

Du manuscrit à l'édition

Ça fait plusieurs fois qu'on me demande de parler des étapes du manuscrit à l'édition.

Comme mon p'tit nouveau est en plein dans la période de production, j'ai pensé vous énumérer les étapes, photos à l'appui.

Étape 1: Écrivez un roman.

Comme ceci:

Avouez que ça avait de la gueule, dans le temps!


Ou comme ceci:

Je pense à Hemingway quand je vois ça.



Ou encore comme ceci:

Moins romantique que les deux autres versions, mais plus réaliste.



Étapes 2 à 4 (5 à 10 au besoin):  Récrivez le roman au gré de l'inspiration.

C'était mon 14e roman. J'ai écrit quatre versions des 150 premières pages
avant de pouvoir écrire le reste (dont j'ai fait deux autres versions... pas pour le plaisir).

                

Étape 5: Laissez reposer le roman.




Étape 6: Relisez votre roman.

Comme Ewan McGregor ou avec Ewan McGregor... Moi, je ne dirais pas non.


Étape 7: Retravaillez le roman selon votre propre évaluation.




Étape 8: Trouvez le poisson généreux qui servira de premier lecteur honnête et pas complaisant.




Étape 9: Retravaillez votre roman à partir des commentaires de votre premier lecteur.

Je me demande si c'est plus facile de travailler avec une vue comme celle-là...



Étape 10: Envoyez votre roman à votre éditeur (ou à des éditeurs potentiels).



Étape 11: Attendez.

Quand j'ai rien à faire, j'imagine de quoi aurait l'air mon shotgun shack.
Ici, celui de Dylan Thomas, écrivain britannique.


Étape 12: Étudiez les commentaires de la direction littéraire.




Étape 13: Retravaillez votre roman à partir des commentaires de la direction littéraire.




Étape 14: Étudiez les révisions du réviseur.




Étape 15: Retravaillez là ou c'est nécessaire, selon les conseils de votre réviseur.


Étape 16: Quand c'est possible, travaillez de concert avec votre éditeur pour créer la page couverture et trouver le bon titre.




Quand ce n'est pas possible, attendez qu'on vous montre la page couverture et le titre décidés par l'éditeur.




Étape 17: Relisez vos épreuves.




Étape 18: Comparez vos correction avec celles du correcteur d'épreuves. (Cela se fait souvent au téléphone avec un membre de l'équipe de production.) (Si vous êtes chanceux, on vous permettra de lire les dernières épreuves pour vous assurer que les corrections apportées n'ont pas occasionné de problème.)

Étape 19: À ce moment-ci, votre manuscrit s'en va en impression. Vous n'avez plus rien à faire. 


Étape 20: Attendez patiemment l'arrivée de vos exemplaires.

Sur cette photo, on voit la boîte de mon précédent roman.
Celle de mon p'tit nouveau devrait arriver à la fin de mars.

Étape 21: Ouvrez une bouteille de bulles.

C'est pas celle-là que je vais ouvrir,
mais elle lui ressemble pas mal.

Étape 23: Participez autant que possible à la promotion de votre roman.

Étape 24: Ne lisez pas les critiques. (voit mon billet sur le sujet)

Étape 25: Commencez une autre roman parce que, de toute façon, vous ne serez pas payés pour le précédent avant au moins un an. Ah, oui! N'oubliez pas de lire. Et de voyager, si c'est possible. Pour le plaisir et pour l'inspiration.








lundi 10 février 2014

Le roman historique au Québec

Même s'il y a quelques hommes dans le lot, la très grande majorité des auteurs et des lecteurs de romans historiques sont des femmes. Afin d'alléger le texte, j'utiliserai ici le féminin. Sentez-vous quand même inclus, messieurs.
Avertissement : Selon la sorcière, quand la diplomatie est passée, je n'étais pas née. Sans doute. Il me semble quand même qu'on se doit de jeter un regard lucide sur notre monde de temps en temps. Sachez donc à l'avance que, dans le texte qui suit, je dis les choses crûment.
La semaine dernière, je vous parlais d'un article dans La Presse qui dressait le portrait du roman historique au Québec. J'ai trouvé cette lecture rigolote parce que la journaliste découvrait tout juste un phénomène qui dure depuis vingt ans et qui, contrairement à ce qu'elle croit, n'en est pas du tout à son apogée.
Cette semaine, je vous explique pourquoi je pense que, si la tendance se maintient, le roman historique s'en ira sur son déclin. Et je trouve ça plate en titi.
Tout d'abord, rendez-vous dans n'importe quelle librairie et vous constaterez qu'il pleut des romans historiques au Québec. Ça dure depuis cinq ans. Depuis, en fait, que de nouvelles maisons d'édition se sont mises à publier des textes sans direction littéraire. Vous envoyez votre roman, on trouve qu'il a de l'allure, on le fait corriger et on l'imprime. Pas de réécriture, pas de remaniement du récit, pas de vérifications historiques. Qu'est-ce que ça donne? De la littérature destinée au pilon souvent moins d'un an après l'impression.
Il s'agit d'une attitude purement commerciale qui consiste à publier beaucoup et à coût dérisoire des manuscrits d'auteures peu ou pas expérimentées. On se fiche des conséquences puisqu'on en vendra juste assez pour couvrir nos frais. Mais ces conséquences, si elles ne dérangent pas l'éditeur, ont pourtant plusieurs effets néfastes sur le monde du livre.
Premièrement, ça produit des romans décevants. Les lectrices qui s'aperçoivent que le roman qu'elles lisent contient plusieurs erreurs historiques (internet leur fournira toute l'info nécessaire pour vérifier les détails) hésiteront ensuite à acheter un autre roman de cette auteure. L'effet est plus sournois encore chez celles qui ne s'en rendront pas compte parce que le roman véhicule ainsi de fausses informations historiques que les lectrices vont croire vraies.
Deuxièmement, l'auteure n'apprend pas. Ni à mieux écrire, ni à mieux raconter. Son deuxième roman contiendra les mêmes faiblesses que le premier. Idem pour les suivants. Pire, elle sera persuadée qu'elle est une bonne écrivaine parce qu'on la publie, alors qu'elle n'est qu'une machine à produire des textes qu'on va mettre à la poubelle au bout d'un an. Deux ans, si elle est chanceuse.
Si on m'avait dit que je travaillerais autant sur un roman qu'on pilonnerait au bout d'un an, je vous jure que je serais restée dans l'enseignement. Aucun écrivain ne souhaite produire une œuvre aussi éphémère. Je ne vous dis pas qu'on sera tous immortels, mais on espère au moins être lus et disponibles pendant quatre ou cinq ans. Plus, même, si l'œuvre continue d'intéresser les gens. Parce que dans ce cas, le livre est souvent réédité en format poche.
Ce n'est pas que ces auteures de livres jetables ne font pas de recherche (quoique ça arrive). Ce n'est pas non plus que leur récit soit invraisemblable (quoique ça arrive aussi). C'est juste que c'est mal écrit, mal raconté, mal édité finalement. Comme je le dis souvent : l'inspiration est peut-être divine, mais le canal, lui, est faillible. Il faut beaucoup de travail pour mettre convenablement par écrit l'idée de génie qui a jailli un matin au réveil. Croire qu'on peut se passer d'un regard éditorial tient de l'orgueil et/ou de la paresse. Si j'étais une auteure qui commence et que j'avais envie de faire une vraie carrière d'écrivain, je songerais à me trouver un éditeur qui fait du vrai travail éditorial.
Troisièmement, non seulement ces romans de mauvaise qualité ont peu d'espérance de vie, mais en plus, ils nuisent à l'ensemble de la production de romans historiques québécois. Comment distinguer justement les bons romans des mauvais? Les auteures qui font de la recherche des autres qui écrivent n'importe quoi ou qui arrangent l'Histoire au gré de leurs fantaisies? Comme on dit, chat échaudé craint l'eau froide.  La lectrice hésite. Et je la comprends!
Nous avons au Québec de bonnes maisons d'édition de romans historiques. Nous avons aussi de bonnes auteures à la plume soignée, qui épluchent les essais des historiens dans le but d'écrire le moins de niaiseries possible. Je ne dis pas qu'elles ne font jamais d'erreurs, mais ces auteures sérieuses vont chercher longtemps pour vérifier les détails de leur récit. Et si elles ne trouvent pas de réponse, elles sont bien capables de changer leur histoire pour éviter l'écueil plutôt que d'être prises en défaut.
Dans leur étude intitulée Du bon sauvage au beau sauvage, Un roman d'amour politically correct[1],  Julia Bettinotti et Chantal Savoie sont arrivées à la conclusion que ce qu'on appelle aux États-Unis l'Indian Romance «suit une des conventions ou un des contrats de lecture les plus stricts de la littérature de grande consommation. » Pour avoir écrit sept romans historiques moi-même et pour avoir longuement discuté avec mes lectrices au fil des ans, je peux vous assurer que cette conclusion s'applique également au roman historique québécois. Disons plutôt qu'elle s'appliquait. Jusqu'à il y a cinq ans.
Le déferlement de romans historiques dans les librairies et les grandes surfaces du Québec cause aussi un problème mathématique. Parce que si le nombre d'auteures a explosé depuis cinq ans, le lectorat, lui, est resté à peu près stable. Cela veut dire qu'on doit séparer la tarte en plusieurs morceaux. En beaucoup de morceaux. Beaucoup plus qu'au début des années 2000. Ça fait donc des pointes de tarte plus petites. Ça veut dire des revenus moins élevés pour chacune des auteures.
Tout le monde est touché. De la machine à produire des textes destinés au pilon jusqu'à l'auteure chevronnée, en passant par la nouvelle auteure qui a fait un travail remarquable et qui est publiée chez un éditeur qui a fait, lui aussi, un travail remarquable.
Certains pensent que cette baisse de revenus s'explique parce que les lectrices veulent juste lire du roman historique qui se passe au Québec. Je ne le crois pas. Les Québécoises ont lu en masse Jeanne Bourin et Maryse Rouy avec leurs histoires médiévales, Régines Desforges et ses romans de la Deuxième Guerre mondiale. Elles ont lu en grand nombre Diana Gabaldon qui parlait du 18e siècle en Écosse. Vrai qu'on aime lire sur notre propre histoire et que, pendant longtemps, on n'avait rien à se mettre sous la dent. Mais il ne faut pas se fier à ce qu'on voit dans les journaux. Les journalistes qui écrivent sur les romans populaires (historiques ou pas) n'en lisent pas.
Un bon roman, c'est un bon roman. Et le fait que les revenus des auteures de romans historiques diminuent n'a rien à voir avec la période ou le lieu de l'action. La faute en revient à cette production incontrôlée où le bon grain est mêlé à l'ivraie.
Comme le dit l'adage yukonnais:  Quand les journaux se mettent à parler du filon, il est déjà trop tard pour se prendre un claim. Quand c'est rendu qu'on étudie le phénomène du roman historique à l'université, c'est qu'il est trop tard pour en écrire.
Mes conseils aux auteurs en devenir :
1.     N'écrivez pas pour suivre la mode parce que quand votre roman sera prêt pour publication, la mode sera passée. (À moins que vous souhaitiez être publiés dans une de ces maisons d'édition productrices de livres jetables.) Suivez votre instinct. Écrivez ce que vous aimez lire, ce que vous avez profondément envie d'écrire. Faites preuve d'imagination. Pensez à Stephenie Meyer qui, s'installant dans le vide laissé par Anne Rice, a réinventé le roman de vampires. On peut aimer ou non la série Twilight, mais on est obligé de se montrer humble devant un tel succès.
2.     Si on publie votre texte sans vous demander de réécrire, de resserrer, de développer, si on ne relève pas d'incohérence, si on trouve vos personnages impeccables, si on vous dit que votre texte s'en va tout de suite en correction et qu'il sortira dans un délai très court (moins de six mois), posez-vous des questions. Voulez-vous vraiment une carrière de machine à écrire des romans destinés au pilon ou voulez-vous voir vos œuvres durer?
Un bon roman, c'est un livre écrit avec le cœur et retravaillé jusqu'à ce que l'auteure elle-même en ait la nausée. Un bon roman, ce n'est pas un roman à la mode.
Et pour ce qui est de l'argent, c'est comme en restauration. Ceux qui ont les reins solides vont pouvoir attendre que l'invasion finisse… si elle finit.



[1] Ce texte se retrouve dans le recueil Les hauts et les bas de l'univers western, publié chez Triptyque en 1997) Voici les deux places où j'ai trouvé ce livre de référence pour vous : 

lundi 3 février 2014

Histoire de la littérature populaire au Québec

La Presse publiait vendredi un article sur le succès des sagas de romans historiques au Québec. Bon. L'article contient de petites erreurs (comme de laisser entendre que VLB commence à publier du roman historique), mais grosso modo, on y dresse un portrait assez juste de la réalité... d'il y a cinq ans environ. Comme on le disait dans le temps de la ruée vers l'or, quand les journaux se mettent à parler du filon, il est déjà trop tard pour penser à se prendre un claim. Pensez aux romans de vampires. Le temps que de nouveaux auteurs s'y mettent, la mode était déjà passée.

Mais enfin, je me suis dit qu'il était peut-être judicieux de tracer ici les grandes lignes de l'histoire de la littérature populaire au Québec. L'article traite surtout du roman historique, mais on y donne une définition intéressante du roman populaire. Elle est de Daniel Compère. Sa définition des romans populaires se base sur deux critères qui s'appliquent tout à fait au roman populaire québécois. «Ce sont des publications destinées à un large public, ce qui suppose que celui-ci peut être atteint si la publication est bon marché et connaît une large diffusion [...] Deuxièmement, ce sont des oeuvres non reconnues par les instances de légitimation (académies, critiques, établissements d'enseignement).»

Le phénomène du roman populaire est relativement nouveau au Québec. En 1990, lors de la publication de son essai Écrire de la fiction au Québec, l'écrivain Noël Audet dénonçait le fait que la littérature québécoise rejoignait mal son public.[1] À cette époque, notre littérature était surtout constituée de romans dits littéraires écrits par et pour une certaine élite. Quand on cherchait un roman québécois, il fallait se rendre dans les rayonnages, tout au fond de la librairie. Le public québécois en général lisait peu et les gens qui lisaient achetaient surtout des traductions de l'américain ou des importations françaises. Le Québec pouvait compter sur les doigts d'une main les auteurs qui vivaient de leur plume.

Les choses ont changé quand, autour des années 2000, des maisons d'édition audacieuses (dont VLB, Libre Expression et Québec-Amérique) se sont mises à publier des écrivains dont la plume, plus accessible, rejoignait un très vaste public.[2] Pour assurer une meilleure diffusion de ces œuvres, les distributeurs ont multiplié les points de vente. C'est ainsi que Costco et autres grandes surfaces ont commencé à vendre des livres. Parce qu'elles misaient sur l'écoulement rapide d'une grande quantité de livres, les grandes surfaces n'ont pas hésité à diminuer leur marge de profit. Elles n'ont toutefois pas exigé qu'on leur vende les livres moins cher[3], de sorte que les auteurs, éditeurs et distributeurs recevaient — et continuent de recevoir — le même montant par livre vendu.[4]

Aujourd'hui, le public québécois lit beaucoup de littérature québécoise. Rendez-vous dans n'importe quelle librairie et vous trouverez, près de l'entrée, des cubes où on met en évidence les romans d'ici. En conséquence, le nombre d'écrivains vivant de leur plume est passé de cinq ou six à une cinquantaine. Et quoi qu'on en dise ces jours-ci, voir des romans québécois concurrencer les romans américains et français sur les tables de Costco est un accomplissement dont on doit être fier.

Il est vrai que cette transformation a causé un certain transfert de clientèle de la librairie à la grande surface parce que les livres y étaient moins chers. Mais il faut se rappeler que la grande surface rejoint une bien plus vaste clientèle que la librairie. Une clientèle de gens ordinaires qui, autrefois, n'achetaient pas de livres ou presque. Et ces gens-là ne vont pas en librairie. 

Ce qui me dérange, c'est que ce sont ces gens-là qui sont visés par une réglementation du prix du livre. Oh, on ne les vise pas directement. Mais en limitant les rabais sur les livres neufs dans l'espoir qu'une poignée de déserteurs de librairie rentrent au bercail, c'est comme si on tirait à la mitraillette sur une volée d'outardes dans l'espoir que quelques-unes tombent à nos pieds. Qu'on en blesse tout plein pour rien nous importe peu. Mais moi, ça m'importe. Ça m'importe parce qu'il s'agit de mon lectorat. Ce sont eux et eux seuls, les lecteurs de best-sellers, qui vont devoir payer leurs livres jusqu'à 30% plus cher. 

Croire, comme le croit le c.a. de l'Uneq, qu'une telle augmentation du prix des livres n'aura pas d'influence sur les ventes relève de l'utopie. Si les prix montent en flèche, on va vendre moins de livres. Il s'agit là d'un principe économique de base. Et toute baisse dans les ventes de livres se traduira par une baisse de revenus pour les auteurs qui font enfin lire le public québécois. Il est toujours facile de faire payer les autres. En ce moment, ceux qui approuvent la réglementation du prix du livre ne sont pas ceux qui ont beaucoup à perdre.

Je l'ai dit souvent, le problème des libraires, ce n'est pas la grande surface. C'est internet. Et comme pour me donner raison, La Presse publiait un article à ce sujet le 31 janvier. Les grands magasins terrassés par le cybercommerce. Pourquoi on y parle des librairies? Parce que les librairies sont des commerces. Et elles sont d'autant plus vulnérables qu'on peut acheter n'importe quel livre en ligne en quelques clics. C'est pas comme une paire de souliers ou des jeans. On n'a pas besoin de l'essayer quand on achète un livre.

La semaine prochaine, je reviendrai sur le roman historique. Parce qu'on ne peut pas tout mettre d'un coup dans un billet de blogue. Et parce que j'ai ben des choses à dire sur le sujet. ;-)




[1] Voir le texte original de Noël Audet à la page 16 de Écrire de la fiction au Québec, publié chez Québec/Amérique en 1990.
[2] Pour plus de détails, il faut lire l'essai de Pierre Graveline, Une passion littéraire, publié chez Fidès en 2009.