lundi 26 octobre 2015

Littéraire, populaire, les prix, les ventes et la voix (celle de l'auteur, pas l'émission de télé)

Elisabeth Tremblay (prix Suzanne Pouliot et Antoine Sirois) et Sarah Rocheville (prix Alfred-Desrochers)

Ce matin, j'ai envie de vous faire part d'une idée qui me trotte dans la tête depuis une semaine.

Sachez d'abord que pendant le dernier Salon du livre de l'Estrie, on a remis pour la première fois le Prix du roman jeunesse Suzanne Pouliot et Antoine Sirois à Elisabeth Tremblay pour son roman Tu vivras pour moi. Le même soir, on remettait le prix littéraire Alfred-Desrochers à Sarah Rocheville pour son roman Go West Gloria. Jusque-là, tout va bien.

Le lendemain, cependant, La Tribune publiait un article intitulé: Go West, Gloria récompensé (L'article est ici.)

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Dimanche dernier avait lieu à la Maison bleue une petite cérémonie en l'honneur des lauréates. L'invitation envoyée aux membres de l'Association des auteures et auteurs de l'Estrie se lisait comme suit:

«C’est avec plaisir que nous invitons les lauréates des Prix littéraires de l’AAAE à venir faire leur « lancement », à la Maison bleue, pour le prochain Lancement-brunch! 

Madame Sarah Rocheville, récipiendaire du prestigieux prix Alfred-DesRochers, sera présente avec son œuvre : Go West, Gloria!

Elle sera accompagnée de Madame Élisabeth Tremblay, récipiendaire du nouveau prix Suzanne Pouliot-Antoine Sirois, avec son œuvre : Tu vivras pour moi! »

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Si vous voyez ce qui cloche avec ces deux incidents, vous êtes probablement un(e) auteur(e) populaire. Si vous trouvez que tout semble normal pis que je m'excite le poil des jambes pour rien, vous êtes probablement un(e) auteur(e) littéraire.

C'est que ces deux manières de présenter l'événement manifestent une forme de mépris pour la gagnante du prix jeunesse. Comme si son livre avait moins de valeur que celui du prix Alfred-Desroches. Si vous trouvez que c'est effectivement le cas, vous êtes sans aucun doute un(e) auteur(e) littéraire. Et vous ne comprenez pas pourquoi ça me dérange autant. C'est une question de paradigme.

Car voyez-vous, cette forme de mépris, assez insidieuse et que seuls remarquent souvent les auteurs populaires, c'est un peu comme le sexisme ordinaire. Celui que seules remarquent les femmes (ou presque). Prenez par exemple le début du texte de La Tribune.

Après le triomphe de son partenaire de vie en 2014, c'est au tour de Sarah Rocheville, pour son premier roman Go West, Gloria, de remporter le Prix Alfred-DesRochers de l'Association des auteures et auteurs de l'Estrie remis dans le cadre du Salon du livre de l'Estrie.

 Aurait-on mentionné en début de texte le «triomphe de son partenaire de vie en 2014» si Sarah avait été un homme? Je ne pense pas. De la même manière, pendant le petit événement sympathique de dimanche, à la Maison bleue, si les deux lauréates avaient été des hommes, personne n'aurait pensé à leur demander comment elles conciliaient travail/famille/écriture. (Oui, on leur a posé cette question.)

La plupart des hommes diront que les femmes se plaignent pour rien si elles dénoncent ces deux incidents. Pour les femmes, cependant, il s'agit de sexisme discret et insidieux.
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À un moment donné, pendant ce petit événement à la Maison bleue, un de mes amis a lancé: «Au fond, nous, les auteurs, on est tous jaloux. Ceux qui gagnent des prix voudraient vendre des livres et ceux qui vendent des livres voudraient gagner des prix. » Tout le monde a ri, moi aussi, mais cette phrase m'a trotté dans la tête toute la journée.

Je me disais: «Est-ce que c'est vrai? Est-ce que c'est vraiment ça que je veux, gagner des prix? Est-ce que c'est ça que veulent mes amis auteurs grand public? auteurs jeunesse? auteurs de romans de genre?

La réponse est non. Oh, c'est certain que c'est toujours plaisant de gagner un prix et de pouvoir écrire ça dans son CV. C'est certain aussi qu'il y a autant d'ego chez les auteurs populaires que chez les auteurs littéraires et qu'il y a partout des auteurs fâchés de ne pas gagner.

Mais ce n'est pas de ça qu'il s'agit, fondamentalement. L'important, pour moi et pour tout plein d'auteurs grand public, c'est pas de gagner le prix. L'important, c'est de faire cesser le mépris. Voir un de nos pairs remporter un prix (ou même être finaliste) traduit pour nous une ouverture. Le contraire est perçu comme une forme de mépris. Plate de même!

Mais voilà! Les prix littéraires sont, par leur nature même, biaisés en faveur du roman dit littéraire. Un peu comme, autrefois, quand seules les qualités des hommes étaient reconnues pour occuper certaines fonctions et qu'on se moquait des femmes qui osaient poser leur candidature.

Un livre que le grand public va aimer comporte des qualités dont ne tiennent pas compte les membres d'un jury littéraire. Et à l'inverse, ce qui fait la qualité d'un roman littéraire laisse totalement indifférent le grand public. 

Résultat: les romans littéraires sont écrits pour une élite intellectuelle qui reconnaît la valeur de ces romans. Qui dit élite dit public restreint. Comme tous les auteurs littéraires écrivent pour ce même public restreint, les ventes sont maigres. Imaginez une petite tarte qu'on couperait en plusieurs pointes. Ça fait de bien petites pointes.

À l'opposé, l'auteur grand public écrit pour la masse. Monsieur et Madame Tout-le-Monde cherchent dans un roman des qualités bien spécifiques, celles qui laissent indifférents les membres des jurys de prix littéraires. Nous sommes nombreux à écrire pour ce vaste public, c'est vrai, mais cette tarte-là est beaucoup plus grosse. D'où les ventes plus importantes.

Le pire, dans tout ça, c'est qu'on ne choisit pas. On écrit ce qui monte, et cette voix qui parle en nous est hors de notre contrôle. Comme me l'a dit un jour l'écrivain Jean Bédard, quand on écrit, c'est l'âme qui s'exprime. Et on ne choisit pas ce qu'elle dit. Ni comment elle le dit.

Je pense que nous, auteurs grand public, nous obstinons à défendre une cause pour le moment indéfendable. Mais je ne perds pas espoir. Un jour, peut-être même de mon vivant, quelqu'un dans une université fera une étude sur la valeur d'un livre qui fait lire le monde et qui remplit la fonction première de la littérature, c'est-à-dire d'aider à vivre. Et ce jour-là, la face du monde littéraire sera changée!

 ATTENTION: Je ne tolère pas le bitchage sur le dos des écrivains, peu importe le genre.  Tout commentaire déplacé sera effacé de cette page. 



mercredi 14 octobre 2015

Ce que tout auteur devrait savoir sur le Salon du livre de la Péninsule acadienne

Île Miscou en automne

J'ai souvent entendu parler du Salon du livre de la Péninsule acadienne depuis le début de ma carrière. Toujours en bien. Toujours pour dire que c'est un party perpétuel, que les auteurs y sont traités comme des rois, que les gens sont chaleureux, que l'endroit est magnifique. Tous ceux qui m'en parlaient ainsi insistaient sur le fait qu'ils y retourneraient demain si on le leur proposait.

Ben laissez-moi vous dire que je fais désormais partie de cette gang-là. La gang des auteurs chez qui le Salon du livre de la Péninsule acadienne a laissé un souvenir indélébile, un souvenir de chaleur, de rire, d'accent mélodieux, de bonne bouffe, de fête et de générosité.

Parce que si je devais choisir un seul mot pour décrire l'équipe qui m'a reçue la fin de semaine dernière, ce serait GÉNÉROSITÉ.  Et chaleur, évidemment! Et gentillesse! Et amabilité! Bref, il me faudrait beaucoup de mots tant l'émotion qui m'habite encore est multidimensionnelle.

Laissez-moi vous décrire comment ça se passe.

Tout d'abord, à moins qu'un auteur choisisse délibérément de faire la route en voiture, la plupart d'entre nous sommes aéroportés de Montréal à Bathurst, puis conduits en voiture (si nous ne sommes que deux) ou en autobus jusque dans les environs de Shippagan.

Si vous êtes une vedette (Je m'excuse, Laurence, si tu me lis, mais il faut appeler un chat un chat), si vous êtes une vedette, donc, on vous logera dans un chic hôtel à Caraquet. Si vous êtes un simple auteur comme moi, on vous logera dans une auberge plus modeste, la mienne s'appelle Janine du Havre et était située à Savoy Landing de l'autre côté de la baie, juste en face de Shippagan.  Comme le salon du livre a lieu à Shippagan, il est de loin préférable d'être logé dans une modeste auberge du coin. Mettons qu'on veuille se reposer entre deux séances de signatures, on appelle notre chauffeur, il nous conduit à l'auberge et il vient nous y chercher quand on veut retourner au salon. De toute façon, on passe bien peu de temps dans notre chambre. On quitte les lieux avant 10 h le matin, heure d'ouverture du salon,  et on y revient à 23 h, après le party.  Parce que, oui, il y a des partys. TOUS les soirs. (Je vous en parle plus loin)

Un autre avantage à l'auberge du coin (avantage qu'il ne faut absolument pas négliger), c'est qu'après le party, ça prend trois minutes pour rentrer à l'hôtel. Caraquet est à 30 minutes. Méchante différence quand on est fatigué et/ou qu'on a un peu trop bu.

Mon séjour s'est déroulé comme ceci:

Arrivée en avion à Bathurst jeudi après-midi, puis arrivée à Shippagan à 17 h. Rénald, mon chauffeur, m'a laissée me laver et me reposer une heure dans ma chambre, puis il m'a conduite au Salon pour la cérémonie d'ouverture. J'ai jamais vu de ma vie autant de monde à la cérémonie d'ouverture d'un salon du livre. Ça s'entassait de l'autre côté du cordon pour écouter les dignitaires faire leur laïus. Quand on a retiré les cordons, la foule a déferlé sur les kiosques. Moment fort émouvant.

Après la fermeture, jeudi soir, j'ai participé à un cocktail... bar ouvert avec bouchées de fruits de mer. 

Vendredi après-midi, parce que j'avais un trou dans mon horaire, la responsable des communications m'a conduite sur l'île Miscou pour que je voie les tourbières rougies par l'automne. C'était éblouissant. 
Après la fermeture, vendredi soir, j'ai participé à une série d'entrevues au centre de congrès où les spectateurs payaient 15 $ pour venir nous écouter, Nathalie Roy, Laurence Jalbert, Herménégide Chiasson et moi. Et on nous payait! Tous les quatre!

Samedi matin, je donnais une conférence à l'université. Samedi après-midi, j'étais interviewée sur une scène du salon. Samedi soir, j'étais au banquet de fruits de mer, bar ouvert, animé d'abord par un duo qui jouait de la musique acadienne, puis par des auteurs/ éditeurs/ représentants qui, en hommes prévoyants, avaient apporté leurs instruments de musique. Un GROS party comme je les aime!

Au travers de ces multiples activités, j'ai signé des livres, fait des rencontres géniales. Plus de gens sont entrés dans ma vie en ces quatre jours que pendant six mois chez nous. Ulysse, Rénald, Odette, Ginette, Mylène, Anne, Nathalie, Marie, Marie-Claude, Marie-Lou, Marie-Joëlle, Rhéa, Lili, Éliane, Laurence et Louise, ce fut un réel plaisir de faire votre connaissance. Martine, Sergine, Cindy, Jean-Marc, Roger, Lucie et Nathalie, c'était un grand bonheur de vous revoir!


C'est riche de toutes ces rencontres que dimanche matin, après ma séance de dédicaces, j'ai pris le bus pour Bathurst, puis l'avion pour Montréal. Je suis arrivée chez moi dimanche soir, épuisée, mais ravie, avec la certitude que si jamais on me réinvite en Acadie, je sauterai sur l'occasion à pieds joints.

mercredi 7 octobre 2015

J'ai d'abord pensé à Marc Fisher...


Moi, dans vingt ans... si je suis encore là.

J'avais pensé cette semaine vous parler du livre de Marc Fisher, celui qui va sortir incessamment et pour lequel j'ai vu plein d'auteurs déchirer leur chemise sur Facebook. Je me contenterai cependant de paraphraser Jésus Christ. 


Que l'auteur qui vit de sa plume et qui a déjà craché sur 40 000$ de redevances lui jette la première pierre! Et 40 000$, ici, c'est juste une estimation.
Dans une situation similaire, même si peut-être plus «honorable», je me rappelle il y a quelques années avoir entendu une amie auteure me dire: «Si c'est pas moi qui prends le contrat, ce sera quelqu'un d'autre!». 

Alors j'ai rien d'autre à dire là-dessus.

Mais il y a un sujet qui me trottait dans la tête depuis deux semaines.  Alors je vous en parle parce que ça vous touchera tous un jour où l'autre... si ce n'est déjà fait. 


Il y a deux semaines, donc, paraissait mon seizième livre. Un petit plaisir que je n'ai pas boudé et que j'ai célébré dignement, comme j'en ai l'habitude. 

Le lendemain, j'avais une entrevue dans une radio de Québec de même qu'un dîner de famille dans un resto du Vieux-Québec. J'ai donc fait aller-retour avec mon chum. Un après-midi ben le fun... jusqu'à ce que, pendant le retour sur l'autoroute 20, je décide de prendre mes messages sur mon cellulaire. Mauvaise idée, mais que voulez-vous! Ça m'arrive, des fois. 

Cet après-midi-là, donc, il y avait dans ma boîte de réception l'invitation d'une bibliothécaire de Montréal. Je vous copie ici une partie du courriel.

Nous aimerions beaucoup vous recevoir en bibliothèque la saison prochaine pour parler de votre parcours d'auteur et de vos oeuvres. Présentée dans le cadre de notre programme culturel destiné aux 50 ans et plus, cette rencontre aurait lieu à la bibliothèque X, un jeudi de janvier, de 10 h 30 à 11 h 30. Seriez-vous intéressée et disponible? Si oui, quel serait votre tarif? 

Je vous mens pas, j'ai presque arrêté de respirer. 

«dans le cadre de notre programme culturel destiné aux 50 ans et plus, cette rencontre aurait lieu à la bibliothèque X, un jeudi de janvier, de 10 h 30 à 11 h 30.  »

A-t-on idée à quel point une formulation de ce genre peut fesser quand la personne à qui on s'adresse est sur le point d'avoir 48 ans?  Vous dire mon désarroi! Vous dire le choc! Vous dire mon indignation!  J'aurai bientôt l'âge des gens pour lesquels on organise des activités le jour!!!

De retour à la maison, j'ai fait par de ces émotions à la Sorcière. En digne amie capable de tourner le fer dans la plaie, elle m'a répondu: «C'était aussi dur que le jour où tu as compris que tu avais l'âge d'être grand-mère?»
Je vous jure que si elle avait été en face de moi, chum pas chum, je l'envoyais chier. Mais on jasait par messages privés sur Facebook. J'ai juste répondu : OUI!
Faut savoir ici que j'avais 43 ans le jour où ma cousine, pour être aimable, m'a annoncé que le fils de ma meilleure amie de 6e année allait avoir son deuxième bébé. Je l'ai fait répéter. Nathalie? Le fils de Nathalie? Elle a dit oui. J'ai répondu que ça ne se pouvait pas. Nathalie avait mon âge puisqu'on était en 6e année ensemble. Et là, ma cousine, avec autant de subtilité qu'un chien dans un poulailler, elle me lance: «Mylène! T'as l'âge d'être grand-mère, voyons! Ta fille a 20 ans!» Devant autant de cruauté, ma réponse a été assez sèche: «Ma fille a peut-être l'âge d'être mère, mais moi, je n'ai pas l'âge d'être grand-mère!» Fin de la conversation.
Si vous avez lu Détours sur la route de Compostelle, vous avez reconnu les sentiments qui tourmentent Mireille quand son fils de 17 ans lui annonce que sa blonde est enceinte et qu'ils vont garder le bébé. C'est pas pour rien que ça se trouve dans le roman. Ma description de la difficulté à accepter ce genre de situation s'ancrait dans du vécu.
Toujours est-il que ça m'a pris trois jours, à me bercer dans le fond de ma cour, pour accepter que j'avais effectivement l'âge d'être grand-mère.
C'est un mur similaire que j'ai frappé au lendemain de la sortie de mon seizième livre, en réalisant que j'atteindrais bientôt 50 ans. Dans deux ans. DEUX ans!
Mais cette fois, au lieu de ruminer la chose dans le fond de ma cour, j'ai décidé de rester fidèle à mes bonnes habitudes. Je vais célébrer ça dignement en me préparant un voyage monumental en Amérique du Sud. Deux ans, ça me donne le temps d'apprendre un peu d'espagnol. Et deux ans, ça me laisse assez de latitude pour penser à un projet de roman ayant pour cadre la forêt équatoriale... genre.
Hier après-midi, je suis tombée sur ce texte du Huffington Post. Avec ses 8 choses qui ne sont plus de son âge, l'auteure m'a bien fait rire, preuve que je dois déjà avoir franchi avec les années plus d'étapes que je le pensais.


S le l'hyperlien ne marche pas, vous trouverez le texte du Huffington Post à cette adresse: http://quebec.huffingtonpost.ca/michelle-combs/choses-devenue-trop-vieille_b_8252164.html



jeudi 1 octobre 2015

Le temps qui passe




Je ne fais jamais la vaisselle. Pas que je déteste, c'est juste que chez nous, c'est la job de mon chum. La semaine dernière, cependant, mon chum s'est ramassé à l'urgence. Il en est sorti le bras droit dans une attelle, le doc lui ayant interdit de s'en servir pendant minimum six semaines. Ça voulait dire pas de vaisselle, pas de conduite automobile, pas d'aspirateur, pas de steak et pas de vélo. C'est tout juste s'il peut prendre sa douche tout seul.

Depuis une semaine, donc, je lave et j'essuie la vaisselle tous les soirs. Ça me rappelle quand je suis partie en appartement, à 17 ans. Comme à l'époque, je vois dans ce moment de silence, seule dans la cuisine, une occasion de méditer. Étant donné que laver la vaisselle n'exige pas de concentration, je peux avoir l'esprit ailleurs. Et hier soir, justement, il était ailleurs, mon esprit. Je pensais au lancement.

Faut savoir que je ne fais pas souvent de lancement. Je n'en fais pas souvent parce que, de nature, je ne fais jamais les choses à moitié. Tant qu'à faire un lancement, je fais un party. Et quand je fais un party, je fais un gros party. Avec bouffe, alcool, DJ et tout. Ce genre de party, que je veux mémorable, coûte cher, demande du temps et de l'organisation. Disons que chez nous, on s'éclate fort, mais pas toutes les semaines.

Mon premier lancement, qui aura été mon seul et unique jusqu'à ce soir (unique lancement, pas unique party, évidemment!). Mon premier lancement, donc, remonte à mon sixième roman, 1704. C'était en 2006. Il y a neuf ans.

Neuf ans! J'avais réservé le Loubards, à Sherbrooke. L'endroit était plein à craquer. Faut dire que toute la parenté y était. Du bord de mon père comme du bord de ma mère. Il y avait des amis aussi. Et les quelques auteurs que je connaissais à Sherbrooke (je venais juste d'arriver en ville). Pour l'occasion, mon éditeur était descendu de Montréal. Et parce qu'il n'y avait pas eu de catastrophe ailleurs sur la planète, la télé de Radio-Canada s'était déplacée. Avec caméra et tout! C'est vous dire à quel point il ne se passait rien sur Terre à ce moment-là. C'est aussi vous dire le party!

À l'époque, ma fille avait 15 ans. C'était une peste d'adolescente qui m'a tenue sur les nerfs toute la veillée. Pour vous donner une idée de l'eau qui a coulé sous les ponts depuis, elle a maintenant 24 ans. Elle vit avec son chum dans une autre ville à six heures de route. Et moi, j'ai eu le temps d'apprivoiser le fait que j'ai désormais l'âge d'être grand-mère. Vous ne m'auriez jamais fait avaler la chose en 2006.

Au lancement de 1704, mon père et ma mère, divorcés depuis trente-cinq ans, s'étaient salués en arrivant au bar. Tous les deux, en même temps, dans le même party. Je n'avais pas vu ça souvent dans ma vie. Ils sont morts maintenant. Tous les deux. Mon père en 2008. Ma mère en 2009. De la parenté, il reste moins de monde aussi.

C'est à tout cela que je pensais hier soir quand je lavais la vaisselle. Et j'ai pris conscience du temps qui s'écoulait, irrémédiablement. Je ne me suis pas sentie plus vieille, rassurez-vous. J'ai juste senti les trous plus intensément.


Voilà. C'est tout. J'ai organisé un party avec deux amis auteurs. La Sorcière, que vous connaissez, et notre ami le conteur. L'événement aura lieu ce soir, à la salle du Parvis, sur la rue du Conseil, à Sherbrooke. C'est un 5 à 7 et vous êtes tous invités. Le prochain n'aura pas lieu avant neuf ou dix ans. Et il est impossible d'anticiper les trous et les pleins qui se formeront dans nos vie d'ici là.