lundi 22 février 2016

La réforme de l'orthographe, les ondes gravitationnelles, Jutra et Umberto Eco




"Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d'imbéciles qui, avant, ne parlaient qu'au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu'aujourd'hui ils ont le même droit de parole qu'un prix Nobel. C'est l'invasion des imbéciles". Umberto Eco

La mort d'Umberto Eco m'a rappelé cette citation qui avait créé bien des remous en 2007.  Et je me suis dit que ce grand homme n'avait jamais été aussi juste qu'en ce moment. 

J'en veux pour preuve la quantité de niaiseries qu'on a publiées depuis deux semaines. C'est à croire qu'on vit une contraction de l'espace-temps.( Je ne suis pas certaine qu'Einstein approuverait ma définition, mais je pense que s'il écoutait mon point de vue, il sentirait la vérité de mes propos.)

Avant ( je ne peux même plus vous dire quand, mais je me souviens que c'est pas si loin), quand il se passait quelque chose d'important dans le monde, on en jasait pendant un bon moment. De façon modérée. Un peu tous les deux jours, mettons. Pendant deux semaines, mettons.

Maintenant, on gobe du fast-food informatif. Un scandale n'attend pas l'autre. Et chacun exprime son opinion, chacun déchire sa chemise.  Puis on passe à la nouvelle suivante en oubliant de réparer ladite chemise. On vit encore deux ou trois jours ce nouveau drame, puis on passe au suivant. Puis au suivant. Facebook et Twiter marquent le rythme. Une cadence de plus en plus rapide, si vous voulez mon avis. Et ça me donne le vertige. 

Prenez les deux dernières semaines. On a commencé par lire des absurdités sur la réforme de l'orthographe (en application depuis 1990, je vous le signale)

Pour vous donner une idée du temps qu'il a fallu pour s'indigner, j'étais encore à l'université et ma fille n'était même pas née (elle va avoir 25 ans ce printemps!).

Ceux qui s'indignent ici me font penser à certains évangéliques qui croient que la Bible doit être lue de manière littérale. Ils n'ont, pour la plupart, jamais lu la Bible. S'ils le faisaient, ils verraient bien les contradictions, les incohérences et l'impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de croire que ces histoires sont arrivées telles que racontées.  

Pour déchirer sa chemise contre la réforme de l'orthographe, il faut ne pas avoir lu le détail de cette réforme. Vous le trouverez ici

Il faut aussi ignorer la principale caractéristique d'une langue qu'on continue de parler. C'est VIVANT. Vivant, veut dire que ça croît, que ça change, que ça s'adapte pour survivre. Le latin, par exemple, ne s'est jamais adapté. Voyez où il est, aujourd'hui. Même Umberto Eco, en écrivain conscient de son époque, a actualisé Le nom de la rose parce qu'il contenait tellement de latin que les générations actuelles (la mienne comprise!) ne pouvaient comprendre exactement ce qu'il voulait faire dire à son roman. ( Allez lire cet article sur la «réécriture du Nom de la rose par Umberto Eco. Ça vaut la peine. Réaction typique.) 

Bon, quand même, on s'est vite lassé de critiquer la réforme parce qu'une autre nouvelle nous a renversés. Les scientifiques ont perçu pour la première fois les ondes gravitationnelles prédites par Einstein. En soi, la nouvelle est exceptionnelle. On écrivait l'histoire. Et même ceux qui ne connaissaient rien à la physique devaient ressentir une petite excitation.  En tout cas, moi, j'ai trouvé ça génial que ça arrive de mon vivant (Dois-je vous rappeler que je suis entrée à l'université pour devenir ingénieure en électricité? )

On a abandonné les ondes gravitationnelles encore plus vite que la réforme de l'orthographe parce qu'un scandale venait d'éclater. La biographie de Claude Jutra, sortie mardi dernier, nous apprenait que le bonhomme était pédophile. Et là, mesdames et messieurs, Internet a capoté.

Je dis «capoté» parce que tout un chacun s'est mis à donner son opinion. Super vite. Sans réfléchir. Faut s'exprimer pendant que le fer est encore chaud. Vous dire les niaiseries que j'ai vues passer sur le sujet! Le texte le plus aberrant, selon moi, c'est celui de Lise Payette, mais il y en a eu tellement qu'il serait difficile de les mettre en ordre de bêtise pour dresser un palmarès parfait.

Je vais ajouter ici ma maigre contribution à ce débat (si on peut qualifier l'affaire de débat).

Ce que je pense de l'affaire Jutra? Rien du tout. Je n'ai pas d'opinion. Tout simplement parce qu'il y a un million de choses qu'on ne sait pas. Le bonhomme est mort il y a 30 ans. Comment voulez-vous lui faire un procès? On ne peut pas l'interroger? On ne peut même pas le condamner! Je compatis tout à fait avec les victimes, cependant. Elles ont vécu des événements terribles. Mais j'ai pas d'opinion sur le reste de l'affaire. Et puis, des opinions, on en compte treize à la douzaine sur Internet. Alors une de plus ou une de moins...  De toute façon, le temps que je publie ce billet, on aura trouvé un autre scandale, une autre nouvelle, une autre raison de s'indigner. Et on sera tout de suite ailleurs, oubliant pourquoi on avait déchiré notre chemise quelques jours plus tôt.

Mais je trouve extraordinaire la découverte des ondes gravitationnelles, sachez-le.

Et j'ai eu de la peine en apprenant la mort d'Umberto Eco, mais comme il avait déjà 84 ans, je me dis qu'il avait bien vécu. J'ai eu plus de peine quand Alan Rickman est mort en janvier parce qu'il n'avait que 69 ans. (Il y a vingt ans, j'aurais dit qu'il avait bien vécu. C'est vous dire à quel point les choses changent vite, dans notre monde. Même notre opinion sur la durée normale d'une vie.)


lundi 8 février 2016

Long Overdue



«Ton ménage de bureau est long overdue, Mylène»

C'est la phrase que mon chum m'a lâchée cet après-midi quand il m'a trouvée dans un plus grand bordel que d'habitude. Puis il m'a servi une bière. Paraît que j'en avais besoin.  Faut dire que du ménage dans mon bureau, j'en ai pas fait depuis... je me rappelle plus quand. Faut croire que ça paraissait que j'étais dépassée par la tâche à accomplir.

J'ai toutes les excuses du monde pour avoir tant tardé. Écrire et publier deux livres en 18 mois, ça hypothèque des habitudes. Adopter deux chiots en 14 mois aussi. Sans compter que je suis en train d'écrire le roman le plus exigeant de ma carrière. Il compte quatre histoires, et j'ai passé six mois à faire de la recherche, seulement pour la première histoire!

Vous me direz que j'ai pas de mesure, et vous avez raison. Quand j'entreprends quelque chose, je plonge dedans à 100%. L'écriture d'un roman occupe 1/3 de chaque journée. Le deuxième tiers est consacré aux chiens. Le troisième, à la cuisine. Mon chum dit maintenant qu'il est heureux qu'on dorme dans le même lit. 

 Et le pire, c'est que quand je suis en écriture, il n'y pas de samedi ni de dimanche ni de jour férié. (Demandez-le à la Sorcière qui passe son temps à me dire: c'est Pâques, dimanche, My. Ou c'est la fête des Patriotes. Ou autre chose du genre.)  Il faut dire que j'utilise un agenda Moleskine, ça ne m'aide pas pantoute à m'orienter avec le Monde.

Je pense l'avoir déjà écrit sur ce blogue, mon nouveau projet est construit un peu comme le roman The Man in the High Castle, de Philip K. Dick. Quatre histoires qui s'entrecoupent, aucun personnage n'est au courant des aventures des autres, seul le lecteur comprend ce qui est arrivé pour vrai.

Il s'avère que j'ai terminé dimanche soir la première des quatre histoires.  J'avais donc l'intention lundi matin de me mettre à la deuxième histoire. Je venais juste de finir mon café quand la Poste est arrivée. Et c'est là que j'ai compris à quel point j'ai vécu sur une autre planète ces 18 derniers mois.

Il y avait là une lettre d'un couple de Français très âgés, que j'ai rencontrés dans un parc quand j'ai fait la route de Compostelle en 2010. J'ai passé la moitié du lendemain chez eux, à boire du café. Et je suis repartie avec des tomates plein les poches. Si vous avez lu le roman que j'ai ramené de ce voyage, il s'agit de Guy et Marie.

Et Marie m'écrit que comme elle n'a pas eu de retour à sa dernière lettre, elle s'inquiétait pour ma santé.

Elle, qui a bien 93 ans, s'inquiétait pour ma santé. Ouf! Méchante douche froide.

J'ai donc entrepris de retrouver sa dernière lettre, qui devait, logiquement, se trouver dans mon bureau.

J'ai découvert une lettre qu'un autre ami âgé m'a écrite en janvier... de l'an dernier. L'enveloppe n'était même pas décachetée. J'ai découvert une carte de Noël que j'ai même pas vu arriver. J'ai trouvé un paquet de photos de plein de gens, empilées dans un panier. Des notes sur la correction du tome 1 d'Une deuxième vie (Je les avais cherchés partout!). Il y avait aussi une recette de pancakes au babeurre, écrite à la main par une dame âgée de l'église où va mon chum (À ce moment-ci, je me suis dit que, décidément, je négligeais les personnes âgées.)

J'ai trouvé aussi des lunettes depuis longtemps perdues, mais qui m'auraient été bien utiles cette semaine quand mon chiot a mangé la paire que j'utilise au quotidien. Et juste en dessous des lunettes, il y avait un chèque-cadeau de 40$ au restaurant l'Auberge North-Hatley... qui expirait le 31 février... 2015.

Je vous épargne le reste, c'était plus trivial encore que le bracelet de cette montre qui ne fonctionne plus, mais que je garde parce que je veux le mettre sur une montre neuve.

Cette exercice de ménage m'a permis de comprendre un aspect de moi-même que je ne connaissais pas:  je suis capable d'une grande concentration.

Eh, oui! Je n'ai pas vu l'état de mon bureau comme une catastrophe, mais plutôt comme quelque chose de lumineux. J'étais tellement prise dans mon histoire que j'ai été capable de faire abstraction du reste de ma vie pour la mener à terme... et en commencer une autre qui m'occupe et me passionne tout autant.

Dans un autre panier, j'ai trouvé deux photos d'Einstein, l'une quand il était jeune adulte, l'autre quand il était un savant reconnu. (Des souvenirs de mon voyage de noces en Suisse, il y a trois ans.) Ces photos m'ont rappelé la photo de son pupitre, prise le jour de sa mort. Et je me suis dit que je ne serais pas gênée de mourir et qu'on trouve mon bureau dans cet état.


Je profite de l'occasion pour faire une mise à jour: Le Prix estrien du roman de genre a été adopté lors de l'assemble générale de l'AAAE, à la mi-janvier. (Je venais tout juste d'adopter mon deuxième chiot alors j'ai eu trop de broue dans le toupet pour vous tenir au courant (même si c'est ça que j'avais dit que je ferais).)

p.s. Je n'ai jamais retrouvé la lettre de Marie, mais je vais quand même lui écrire demain. 

p.p.s. Pour éviter d'oublier de publier ce billet demain matin, je le publie tout de suite. J'espère juste qu'il n'y reste pas trop de fautes.