lundi 6 juin 2016

Quand les médecins ont besoin d'un cours de littérature



Je vous ai déjà parlé ici d'idios kosmos et de koïnos kosmos. Vous vous rappelez, l'idios cosmos étant la réalité telle que conçue par un individu et le koïnos cosmos, la supposée réalité universelle qui, dans les faits, n'existe pas parce que nous n'avons pas accès à l'expérience de vie d'une autre personne et donc à son idios cosmos.

Dans mon idios cosmos à moi, les médecins, l'hôpital et la médecine en général, c'est sûrement très bon, mais c'est habituellement inaccessible ou ça exige d'une personne un effort démesuré.  

C'est l'expérience qui m'a appris ça. Ça fait que, il y a quelques années, j'ai fait une fausse couche chez moi. J'ai saigné comme on ne peut pas imaginer et j'avais tellement mal que j'ai pensé mourir couchée sur mon divan. Le lendemain, une amie m'a dit d'aller à la clinique de planning pour avoir un curetage. Ce que j'ai fait. Le médecin qui m'a reçue était scandalisé quand je lui ai raconté ce qui m'était arrivé. Il fallait vous rendre à l'urgence! qu'il s'est exclamé. Et moi, de lui répondre: Je n'étais pas en état d'aller attendre huit heures à l'urgence.

Dans ma vision du monde, vous le comprendrez, il faut être en forme pour se rendre à l'urgence. Et penser à se munir d'un minimum d'équipement. Par exemple, l'été passé, quand mon chum a eu son accident de vélo, c'est moi qui l'ai conduit à l'hôpital. Mais avant de l'installer dans l'auto, j'ai fait une razzia dans la maison et j'ai rempli un sac d'épicerie en coton avec des bouteilles d'eau, des barres tendres, deux chandails chauds ( un pour lui, l'autre pour moi), une couverture, deux livres. Pis mon téléphone, que je ne traîne jamais nulle part. 

Ce printemps, le docteur Vincent Demers a goûté à sa propre médecine. Son expérience, racontée dans un billet sur leHuffington Post, vaut la peine qu'on s'y attarde. C'est un bijou de candeur.

La découverte du docteur Demers, c'est ma vision de la médecine. Elle s'adresse aux gens ben patients, en forme, et aux survivalistes.

Quant aux rendez-vous chez le médecin (Je ne pense pas ici aux 25% de malchanceux d'entre nous qui n'ont pas de médecin de famille), obtenir un rendez-vous prend habituellement de quatre à six mois. Et à la clinique sans rendez-vous, pour laquelle il faut téléphoner à 7h du matin afin d'obtenir un rendez-vous le jour même, on est mieux d'avoir déjeuné avant parce que le système nous met dans une file d'attente téléphonique et on doit patienter, souvent pour se faire dire au bout de 45 minutes que l'horaire de la journée est désormais complet. Veuillez rappeler demain.

Cette situation digne de la scène où Astérix doit récupérer un document dans la maison qui rend fou explique peut-être pourquoi mon pharmacien vend des petites granules et de la poudre de perlimpinpin. Et peut-être aussi pourquoi il tient tout un assortiment de colliers et de bracelets en bois de noisetier. Quand on n'a pas accès à quelqu'un de qualifié, on se tourne vers les charlatans. Avec l'approbation des pharmaciens, apparemment.

Chez nous, on n'est pas encore tombé si bas. On a davantage tendance à se soigner avec un verre de vin. Ou deux. Si ça ne marche pas, on prend deux tylénols pis on va se coucher. D'habitude, tout finit par passer.  

Sauf que j'ai mal à un genou depuis l'automne. Avec l'hiver qu'on a eu, je pensais que c'était un problème causé par l'humidité. Sauf que l'été est arrivé et j'ai encore mal. Connaissant le système, je me suis dit que si je voulais qu'on me soigne avant que l'hiver revienne, j'étais aussi bien d'appeler tout de suite. La réceptionniste me propose mardi prochain. J'ai répondu par un immense éclat de rire. Comme elle pensait que je riais d'elle, il a fallu que je m'excuse, que j'explique que je m'attendrais à un délai plus long. Comme elle ne parlait pas, j'ai dit que je prenais le rendez-vous. Je l'ai remercié et j'ai raccroché, sous le choc.

Mon chum, à qui j'ai raconté cette « aventure » m'a rappelé que depuis le 1er juin, les médecins avaient cessé de faire des examens de routine pour avoir plus de temps à consacrer à ceux qui sont malades. Cette nouvelle a fait ma journée, et je me disais qu'il y avait peut-être enfin de l'espoir pour le système de santé québécois.

Voilà que samedi, je tombe sur une lettre dans la Presse où un médecin, sans doute bien fin, bien intelligent et qui sait écrire, se plaint de ne plus pouvoir faire d'examen de routine avec ses patients qui ne sont pas malade. Quand j'ai lu ça, je me suis dit que ce gars-là n'avait aucune idée de ce qui se passait dans le système de santé en dehors de sa clinique. Lui, il est furieux parce qu'on ne lui permettra plus de s'occuper des gens en bonne santé, parce qu'on va le forcer à soigner des malades. Fallait devenir banquier, monsieur, c'est dans cette profession-là qu'on s'occupe de ceux qui n'ont besoin de rien.

Mon ami le docteur et poète Jean Désy enseigne à l'Université Laval. Il y donne un cours de littérature. Vous savez, parce que la littérature, ça aide à vivre et ça permet de développer l'empathie chez le lecteur.  Un roman, c'est le seul moyen dont dispose l'humanité pour entrer dans la tête de quelqu'un d'autre, vivre avec lui, aimer avec lui, souffrir avec lui.


Je suis d'avis qu'on devrait inscrire le docteur Roy au cours de mon ami Jean. Il descendrait peut-être de son nuage pour voir à quel point les gens souffrent pendant que lui est payé pour piquer une jasette à des gens bien portants.

Ajout: La lettre qui m'a fait pogner les nerfs n'a pas été mise en ligne, mais je l'ai prise en photo. La voici. J'espère que vous pourrez la lire.