lundi 6 juin 2016

Quand les médecins ont besoin d'un cours de littérature



Je vous ai déjà parlé ici d'idios kosmos et de koïnos kosmos. Vous vous rappelez, l'idios cosmos étant la réalité telle que conçue par un individu et le koïnos cosmos, la supposée réalité universelle qui, dans les faits, n'existe pas parce que nous n'avons pas accès à l'expérience de vie d'une autre personne et donc à son idios cosmos.

Dans mon idios cosmos à moi, les médecins, l'hôpital et la médecine en général, c'est sûrement très bon, mais c'est habituellement inaccessible ou ça exige d'une personne un effort démesuré.  

C'est l'expérience qui m'a appris ça. Ça fait que, il y a quelques années, j'ai fait une fausse couche chez moi. J'ai saigné comme on ne peut pas imaginer et j'avais tellement mal que j'ai pensé mourir couchée sur mon divan. Le lendemain, une amie m'a dit d'aller à la clinique de planning pour avoir un curetage. Ce que j'ai fait. Le médecin qui m'a reçue était scandalisé quand je lui ai raconté ce qui m'était arrivé. Il fallait vous rendre à l'urgence! qu'il s'est exclamé. Et moi, de lui répondre: Je n'étais pas en état d'aller attendre huit heures à l'urgence.

Dans ma vision du monde, vous le comprendrez, il faut être en forme pour se rendre à l'urgence. Et penser à se munir d'un minimum d'équipement. Par exemple, l'été passé, quand mon chum a eu son accident de vélo, c'est moi qui l'ai conduit à l'hôpital. Mais avant de l'installer dans l'auto, j'ai fait une razzia dans la maison et j'ai rempli un sac d'épicerie en coton avec des bouteilles d'eau, des barres tendres, deux chandails chauds ( un pour lui, l'autre pour moi), une couverture, deux livres. Pis mon téléphone, que je ne traîne jamais nulle part. 

Ce printemps, le docteur Vincent Demers a goûté à sa propre médecine. Son expérience, racontée dans un billet sur leHuffington Post, vaut la peine qu'on s'y attarde. C'est un bijou de candeur.

La découverte du docteur Demers, c'est ma vision de la médecine. Elle s'adresse aux gens ben patients, en forme, et aux survivalistes.

Quant aux rendez-vous chez le médecin (Je ne pense pas ici aux 25% de malchanceux d'entre nous qui n'ont pas de médecin de famille), obtenir un rendez-vous prend habituellement de quatre à six mois. Et à la clinique sans rendez-vous, pour laquelle il faut téléphoner à 7h du matin afin d'obtenir un rendez-vous le jour même, on est mieux d'avoir déjeuné avant parce que le système nous met dans une file d'attente téléphonique et on doit patienter, souvent pour se faire dire au bout de 45 minutes que l'horaire de la journée est désormais complet. Veuillez rappeler demain.

Cette situation digne de la scène où Astérix doit récupérer un document dans la maison qui rend fou explique peut-être pourquoi mon pharmacien vend des petites granules et de la poudre de perlimpinpin. Et peut-être aussi pourquoi il tient tout un assortiment de colliers et de bracelets en bois de noisetier. Quand on n'a pas accès à quelqu'un de qualifié, on se tourne vers les charlatans. Avec l'approbation des pharmaciens, apparemment.

Chez nous, on n'est pas encore tombé si bas. On a davantage tendance à se soigner avec un verre de vin. Ou deux. Si ça ne marche pas, on prend deux tylénols pis on va se coucher. D'habitude, tout finit par passer.  

Sauf que j'ai mal à un genou depuis l'automne. Avec l'hiver qu'on a eu, je pensais que c'était un problème causé par l'humidité. Sauf que l'été est arrivé et j'ai encore mal. Connaissant le système, je me suis dit que si je voulais qu'on me soigne avant que l'hiver revienne, j'étais aussi bien d'appeler tout de suite. La réceptionniste me propose mardi prochain. J'ai répondu par un immense éclat de rire. Comme elle pensait que je riais d'elle, il a fallu que je m'excuse, que j'explique que je m'attendrais à un délai plus long. Comme elle ne parlait pas, j'ai dit que je prenais le rendez-vous. Je l'ai remercié et j'ai raccroché, sous le choc.

Mon chum, à qui j'ai raconté cette « aventure » m'a rappelé que depuis le 1er juin, les médecins avaient cessé de faire des examens de routine pour avoir plus de temps à consacrer à ceux qui sont malades. Cette nouvelle a fait ma journée, et je me disais qu'il y avait peut-être enfin de l'espoir pour le système de santé québécois.

Voilà que samedi, je tombe sur une lettre dans la Presse où un médecin, sans doute bien fin, bien intelligent et qui sait écrire, se plaint de ne plus pouvoir faire d'examen de routine avec ses patients qui ne sont pas malade. Quand j'ai lu ça, je me suis dit que ce gars-là n'avait aucune idée de ce qui se passait dans le système de santé en dehors de sa clinique. Lui, il est furieux parce qu'on ne lui permettra plus de s'occuper des gens en bonne santé, parce qu'on va le forcer à soigner des malades. Fallait devenir banquier, monsieur, c'est dans cette profession-là qu'on s'occupe de ceux qui n'ont besoin de rien.

Mon ami le docteur et poète Jean Désy enseigne à l'Université Laval. Il y donne un cours de littérature. Vous savez, parce que la littérature, ça aide à vivre et ça permet de développer l'empathie chez le lecteur.  Un roman, c'est le seul moyen dont dispose l'humanité pour entrer dans la tête de quelqu'un d'autre, vivre avec lui, aimer avec lui, souffrir avec lui.


Je suis d'avis qu'on devrait inscrire le docteur Roy au cours de mon ami Jean. Il descendrait peut-être de son nuage pour voir à quel point les gens souffrent pendant que lui est payé pour piquer une jasette à des gens bien portants.

Ajout: La lettre qui m'a fait pogner les nerfs n'a pas été mise en ligne, mais je l'ai prise en photo. La voici. J'espère que vous pourrez la lire.






mardi 1 mars 2016

La bouffe de salon



Gens du livre, j'ai besoin d'aide.

À l'automne, après mes quatre salons du livre et ma série de trois conférences aux Îles-de-la-Madeleine (tout cela en 6 semaines!), il m'avait pris un vif dégoût pour la bouffe de restaurant. Tellement que mon chum et moi, on n'a pas fêté notre anniversaire de mariage, comme on aurait dû, à la fin de novembre. Je ne pouvais juste pas m'imaginer aller ENCORE au restaurant. Ce n'aurait pas été une célébration, mais une corvée. Alors on s'est dit qu'on attendrait après les fêtes parce que, avec les fêtes, on sait bien , on mange trop pis on mange souvent ailleurs que chez nous.

Ça fait qu'il y a deux semaines, on a dîné au Bouchon, un excellent restaurant du centre-ville de Sherbrooke. Jusque-là, ça allait pas si mal. Même que j'ai trouvé ça bon.

Puis est arrivé le Salon du livre de l'Outaouais.

Je suis partie vendredi matin avec la Sorcière et la p'tite jeune, Charlène, une auteure qu'on est en train de débaucher. C'était pas si mal en montant. On s'est arrêté au McDo de Casselman. Tsé, des fois, le McDo, c'est beau, bon, pas cher pis rapide. Quand il faut que tu sois en signatures à 15h pis que tu as cinq heures de route à faire, le McDo, ça fait la job. Et à Casselman, des fois, je rencontre d'autres auteurs. Parfois même des éditeurs. Mais cette fois, il n'y en avait pas.

Vendredi soir, il y a eu le souper au thaï, pas loin de l'hôtel. Le lendemain matin, le déjeuner à l'hôtel où il a fallu que j'argumente pour qu'on accepte de me servir à la carte. Le serveur n'arrêtait pas de me renvoyer au buffet, sauf que moi, je me sentais tout bonnement incapable d'entrer dans le racoin du buffet avec ses odeurs de saucisses et de fèves au lard. Je voulais des fruits frais, un bol de fromage cottage pis des toasts. À force d'insister, j'ai eu mon assiette.

 Je suis ensuite allée au musée voir l'exposition sur les Vikings (excellente exposition, soit dit en passant). Comme je signais à midi, je n'avais pas le temps de dîner, alors j'ai bu une bouteille d'Ensure.) J'en traîne depuis deux ans dans les salons. Ça m'évite de stresser quand mes séances de signatures sont trop rapprochées.)

Samedi soir, évidemment, je suis retournée souper au thaï avec des amies auteures. Pis le lendemain, j'ai déjeuné à l'hôtel où il a encore fallu que je m'obstine pour avoir mon déjeuner à la carte. Plus tard, je devais dîner avec une copine à la foire alimentaire, au rez-de-chaussée du Centre des congrès, sauf qu'en arrivant sur place, le mal de coeur m'a pris. J'ai balayé la salle des yeux pis j'ai ouvert ma deuxième bouteille d'Ensure.

À 15h, la Sorcière, la p'tite jeune pis moi, on a repris la route.

C'est en arrivant à Bromont que j'ai réalisé que j'avais atteint un seuil de non retour. On s'est assises toutes les trois au bar du East-Side Mario's. J'ai ouvert mon menu. Pis là, j'étais incapable de me décider. Tout  me levait le coeur. TOUT. Toutes les images, mais aussi tous les plats décrits. Si j'avais été plus proche de chez moi, j'aurais refermé le menu. Mais il était quasiment 19h et il nous restait encore une heure de route à faire. J'ai opté pour l'assiette qui me donnait le moins la nausée et j'en ai laissé presque la moitié.  

Là, j'en suis rendue à craindre Québec, mon prochain salon.  Parce que la semaine suivante, je m'en vais au Salon d'Edmundston. Comment est-ce que je vais faire?

Avez-vous des trucs?                                                         

lundi 22 février 2016

La réforme de l'orthographe, les ondes gravitationnelles, Jutra et Umberto Eco




"Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d'imbéciles qui, avant, ne parlaient qu'au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu'aujourd'hui ils ont le même droit de parole qu'un prix Nobel. C'est l'invasion des imbéciles". Umberto Eco

La mort d'Umberto Eco m'a rappelé cette citation qui avait créé bien des remous en 2007.  Et je me suis dit que ce grand homme n'avait jamais été aussi juste qu'en ce moment. 

J'en veux pour preuve la quantité de niaiseries qu'on a publiées depuis deux semaines. C'est à croire qu'on vit une contraction de l'espace-temps.( Je ne suis pas certaine qu'Einstein approuverait ma définition, mais je pense que s'il écoutait mon point de vue, il sentirait la vérité de mes propos.)

Avant ( je ne peux même plus vous dire quand, mais je me souviens que c'est pas si loin), quand il se passait quelque chose d'important dans le monde, on en jasait pendant un bon moment. De façon modérée. Un peu tous les deux jours, mettons. Pendant deux semaines, mettons.

Maintenant, on gobe du fast-food informatif. Un scandale n'attend pas l'autre. Et chacun exprime son opinion, chacun déchire sa chemise.  Puis on passe à la nouvelle suivante en oubliant de réparer ladite chemise. On vit encore deux ou trois jours ce nouveau drame, puis on passe au suivant. Puis au suivant. Facebook et Twiter marquent le rythme. Une cadence de plus en plus rapide, si vous voulez mon avis. Et ça me donne le vertige. 

Prenez les deux dernières semaines. On a commencé par lire des absurdités sur la réforme de l'orthographe (en application depuis 1990, je vous le signale)

Pour vous donner une idée du temps qu'il a fallu pour s'indigner, j'étais encore à l'université et ma fille n'était même pas née (elle va avoir 25 ans ce printemps!).

Ceux qui s'indignent ici me font penser à certains évangéliques qui croient que la Bible doit être lue de manière littérale. Ils n'ont, pour la plupart, jamais lu la Bible. S'ils le faisaient, ils verraient bien les contradictions, les incohérences et l'impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de croire que ces histoires sont arrivées telles que racontées.  

Pour déchirer sa chemise contre la réforme de l'orthographe, il faut ne pas avoir lu le détail de cette réforme. Vous le trouverez ici

Il faut aussi ignorer la principale caractéristique d'une langue qu'on continue de parler. C'est VIVANT. Vivant, veut dire que ça croît, que ça change, que ça s'adapte pour survivre. Le latin, par exemple, ne s'est jamais adapté. Voyez où il est, aujourd'hui. Même Umberto Eco, en écrivain conscient de son époque, a actualisé Le nom de la rose parce qu'il contenait tellement de latin que les générations actuelles (la mienne comprise!) ne pouvaient comprendre exactement ce qu'il voulait faire dire à son roman. ( Allez lire cet article sur la «réécriture du Nom de la rose par Umberto Eco. Ça vaut la peine. Réaction typique.) 

Bon, quand même, on s'est vite lassé de critiquer la réforme parce qu'une autre nouvelle nous a renversés. Les scientifiques ont perçu pour la première fois les ondes gravitationnelles prédites par Einstein. En soi, la nouvelle est exceptionnelle. On écrivait l'histoire. Et même ceux qui ne connaissaient rien à la physique devaient ressentir une petite excitation.  En tout cas, moi, j'ai trouvé ça génial que ça arrive de mon vivant (Dois-je vous rappeler que je suis entrée à l'université pour devenir ingénieure en électricité? )

On a abandonné les ondes gravitationnelles encore plus vite que la réforme de l'orthographe parce qu'un scandale venait d'éclater. La biographie de Claude Jutra, sortie mardi dernier, nous apprenait que le bonhomme était pédophile. Et là, mesdames et messieurs, Internet a capoté.

Je dis «capoté» parce que tout un chacun s'est mis à donner son opinion. Super vite. Sans réfléchir. Faut s'exprimer pendant que le fer est encore chaud. Vous dire les niaiseries que j'ai vues passer sur le sujet! Le texte le plus aberrant, selon moi, c'est celui de Lise Payette, mais il y en a eu tellement qu'il serait difficile de les mettre en ordre de bêtise pour dresser un palmarès parfait.

Je vais ajouter ici ma maigre contribution à ce débat (si on peut qualifier l'affaire de débat).

Ce que je pense de l'affaire Jutra? Rien du tout. Je n'ai pas d'opinion. Tout simplement parce qu'il y a un million de choses qu'on ne sait pas. Le bonhomme est mort il y a 30 ans. Comment voulez-vous lui faire un procès? On ne peut pas l'interroger? On ne peut même pas le condamner! Je compatis tout à fait avec les victimes, cependant. Elles ont vécu des événements terribles. Mais j'ai pas d'opinion sur le reste de l'affaire. Et puis, des opinions, on en compte treize à la douzaine sur Internet. Alors une de plus ou une de moins...  De toute façon, le temps que je publie ce billet, on aura trouvé un autre scandale, une autre nouvelle, une autre raison de s'indigner. Et on sera tout de suite ailleurs, oubliant pourquoi on avait déchiré notre chemise quelques jours plus tôt.

Mais je trouve extraordinaire la découverte des ondes gravitationnelles, sachez-le.

Et j'ai eu de la peine en apprenant la mort d'Umberto Eco, mais comme il avait déjà 84 ans, je me dis qu'il avait bien vécu. J'ai eu plus de peine quand Alan Rickman est mort en janvier parce qu'il n'avait que 69 ans. (Il y a vingt ans, j'aurais dit qu'il avait bien vécu. C'est vous dire à quel point les choses changent vite, dans notre monde. Même notre opinion sur la durée normale d'une vie.)


lundi 8 février 2016

Long Overdue



«Ton ménage de bureau est long overdue, Mylène»

C'est la phrase que mon chum m'a lâchée cet après-midi quand il m'a trouvée dans un plus grand bordel que d'habitude. Puis il m'a servi une bière. Paraît que j'en avais besoin.  Faut dire que du ménage dans mon bureau, j'en ai pas fait depuis... je me rappelle plus quand. Faut croire que ça paraissait que j'étais dépassée par la tâche à accomplir.

J'ai toutes les excuses du monde pour avoir tant tardé. Écrire et publier deux livres en 18 mois, ça hypothèque des habitudes. Adopter deux chiots en 14 mois aussi. Sans compter que je suis en train d'écrire le roman le plus exigeant de ma carrière. Il compte quatre histoires, et j'ai passé six mois à faire de la recherche, seulement pour la première histoire!

Vous me direz que j'ai pas de mesure, et vous avez raison. Quand j'entreprends quelque chose, je plonge dedans à 100%. L'écriture d'un roman occupe 1/3 de chaque journée. Le deuxième tiers est consacré aux chiens. Le troisième, à la cuisine. Mon chum dit maintenant qu'il est heureux qu'on dorme dans le même lit. 

 Et le pire, c'est que quand je suis en écriture, il n'y pas de samedi ni de dimanche ni de jour férié. (Demandez-le à la Sorcière qui passe son temps à me dire: c'est Pâques, dimanche, My. Ou c'est la fête des Patriotes. Ou autre chose du genre.)  Il faut dire que j'utilise un agenda Moleskine, ça ne m'aide pas pantoute à m'orienter avec le Monde.

Je pense l'avoir déjà écrit sur ce blogue, mon nouveau projet est construit un peu comme le roman The Man in the High Castle, de Philip K. Dick. Quatre histoires qui s'entrecoupent, aucun personnage n'est au courant des aventures des autres, seul le lecteur comprend ce qui est arrivé pour vrai.

Il s'avère que j'ai terminé dimanche soir la première des quatre histoires.  J'avais donc l'intention lundi matin de me mettre à la deuxième histoire. Je venais juste de finir mon café quand la Poste est arrivée. Et c'est là que j'ai compris à quel point j'ai vécu sur une autre planète ces 18 derniers mois.

Il y avait là une lettre d'un couple de Français très âgés, que j'ai rencontrés dans un parc quand j'ai fait la route de Compostelle en 2010. J'ai passé la moitié du lendemain chez eux, à boire du café. Et je suis repartie avec des tomates plein les poches. Si vous avez lu le roman que j'ai ramené de ce voyage, il s'agit de Guy et Marie.

Et Marie m'écrit que comme elle n'a pas eu de retour à sa dernière lettre, elle s'inquiétait pour ma santé.

Elle, qui a bien 93 ans, s'inquiétait pour ma santé. Ouf! Méchante douche froide.

J'ai donc entrepris de retrouver sa dernière lettre, qui devait, logiquement, se trouver dans mon bureau.

J'ai découvert une lettre qu'un autre ami âgé m'a écrite en janvier... de l'an dernier. L'enveloppe n'était même pas décachetée. J'ai découvert une carte de Noël que j'ai même pas vu arriver. J'ai trouvé un paquet de photos de plein de gens, empilées dans un panier. Des notes sur la correction du tome 1 d'Une deuxième vie (Je les avais cherchés partout!). Il y avait aussi une recette de pancakes au babeurre, écrite à la main par une dame âgée de l'église où va mon chum (À ce moment-ci, je me suis dit que, décidément, je négligeais les personnes âgées.)

J'ai trouvé aussi des lunettes depuis longtemps perdues, mais qui m'auraient été bien utiles cette semaine quand mon chiot a mangé la paire que j'utilise au quotidien. Et juste en dessous des lunettes, il y avait un chèque-cadeau de 40$ au restaurant l'Auberge North-Hatley... qui expirait le 31 février... 2015.

Je vous épargne le reste, c'était plus trivial encore que le bracelet de cette montre qui ne fonctionne plus, mais que je garde parce que je veux le mettre sur une montre neuve.

Cette exercice de ménage m'a permis de comprendre un aspect de moi-même que je ne connaissais pas:  je suis capable d'une grande concentration.

Eh, oui! Je n'ai pas vu l'état de mon bureau comme une catastrophe, mais plutôt comme quelque chose de lumineux. J'étais tellement prise dans mon histoire que j'ai été capable de faire abstraction du reste de ma vie pour la mener à terme... et en commencer une autre qui m'occupe et me passionne tout autant.

Dans un autre panier, j'ai trouvé deux photos d'Einstein, l'une quand il était jeune adulte, l'autre quand il était un savant reconnu. (Des souvenirs de mon voyage de noces en Suisse, il y a trois ans.) Ces photos m'ont rappelé la photo de son pupitre, prise le jour de sa mort. Et je me suis dit que je ne serais pas gênée de mourir et qu'on trouve mon bureau dans cet état.


Je profite de l'occasion pour faire une mise à jour: Le Prix estrien du roman de genre a été adopté lors de l'assemble générale de l'AAAE, à la mi-janvier. (Je venais tout juste d'adopter mon deuxième chiot alors j'ai eu trop de broue dans le toupet pour vous tenir au courant (même si c'est ça que j'avais dit que je ferais).)

p.s. Je n'ai jamais retrouvé la lettre de Marie, mais je vais quand même lui écrire demain. 

p.p.s. Pour éviter d'oublier de publier ce billet demain matin, je le publie tout de suite. J'espère juste qu'il n'y reste pas trop de fautes.


mardi 19 janvier 2016

Un prix pour la littérature de genre en Estrie





Ça y est! 

Après des années de chialage et de tergiversations, le monde littéraire estrien semble enfin avoir accepté qu'il n'existe pas qu'une seule littérature de valeur. 

En effet, samedi prochain, lors de son assemblée générale annuelle, l'Association des auteures et auteurs de l'Estrie (AAAE) devrait passer à l'histoire en adoptant une motion qui distinguera la littérature blanche de la littérature de genre, et ce, sans jugement de valeur.  (J'utilise le terme littérature blanche, alors qu'eux se contentent de distinguer la littérature de genre de l'autre littérature, mais on ne va couper les cheveux en quatre et faire du chichi si près du but.)

L'important, ce que l'époque où l'on remettait année après année le prix littéraire aux mêmes deux ou trois auteurs (alors qu'il y avait une trentaine de romans en compétition) est révolue. Désormais, si la proposition est adoptée, la littérature blanche et la littérature de genre seront jugées dans des catégories séparées. Un auteur aura donc le choix entre quatre prix littéraires.

·         Le Prix Alfred-Desrochers, qui récompense une oeuvre de création littéraire (roman, conte, nouvelles, poésie, théâtre et récit). (Ce qu'en dehors du milieu littéraire littéraire on appelle la littérature blanche.)

·         Le Prix Suzanne Pouliot-Antoine Sirois, qui récompense une oeuvre jeunesse pour les 6 à 16 ans.

·         Le prix Alphonse-Desjardins, qui récompense une oeuvre n'appartenant pas à la catégorie création littéraire (essai, biographie, autobiographie, mémoires).

·         Et désormais, le Prix estrien de la littérature de genre, qui récompensera une oeuvre de création littéraire s'adressant à un large public adulte et faisant partie d'un genre littéraire (historique, policier, érotique, fantastique, de science-fiction, de fantasy, de merveilleux, d'aventures d'amour et chick lit).
)
Un livre ne pourra être présenté à plus d'un prix littéraire de l'AAAE en même temps. Ce sera donc à l'auteur de décider où il pense avoir de meilleures chances. Dans tous les cas, le livre doit être publié soit par une maison d'édition, soit sur Internet ou à compte d'auteur, mais il doit être soumis sous forme de livre relié.

Ces prix, qui viennent chacun avec une bourse de 2000 $, seront remis aux deux ans (les années impaires). Ils s'adressent évidemment aux auteurs de l'Estrie membres de l'AAAE.

Je sais que bien des auteurs n'aiment pas l'appellation littérature de genre. Pas plus, sans doute, que d'autres n'aiment l'appellation littérature blanche. Sachez qu'il s'agit toujours d'une question de point de vue... et d'ego, naturellement.  

Je sais aussi qu'on aime bien dire qu'il n'existe qu'une seule littérature. Ça paraît bien. On a l'air égalitaire, quand on dit ça. On a l'air démocrate. Sauf qu'il faut admettre que lorsqu'on prétend qu'il n'y a qu'une seule littérature, on peut difficilement expliquer les résultats des prix du Gouverneur général. Les éditeurs, eux, savent bien que tous les livres ne sont pas jugés sur les mêmes critères. Pour preuve, ce ne sont pas tous les ouvrages qu'ils soumettent aux GG.

Avec ses quatre prix, l'AAAE admet qu'on ne juge pas un roman de science-fiction avec les mêmes critères qu'un roman d'autofiction. La virtuosité dont peut faire preuve un auteur en jouant avec les mots ne vaut pas moins qu'un récit mené tambour battant. L'efficacité d'un page-turner n'a pas à céder le pas devant la beauté des phrases d'un recueil de poésie.

Bien sûr, dans tous les cas, il faut savoir écrire. Et il faut avoir quelque chose à dire. Mais la distinction demeure: en littérature blanche, le contenant prime sur le contenu. En littérature de genre, c'est l'inverse. Admettre cette différence, ce n'est pas effectuer un jugement de valeur. C'est admettre qu'en littérature, il en faut pour tous les goûts. C'est valoriser la diversité. Et c'est célébrer le foisonnement d'idées et de talents estriens.  


mercredi 6 janvier 2016

Pour 2016, je vous souhaite un personnage...

Tyrion Lannister, créé par George R. R. Martin

Qu'ont en commun Maria Chapdelaine, Marguerite Volant, Émilie Bordeleau, Maude Graham? La même chose que Luke Skywalker, Miss Marple, D'Artagnan, Arsène Lupin, Sherlock Holmes, Ulysse, Astérix et le roi Arthur. Ce sont des personnages sortis de l'imagination d'un artiste. Ce sont des personnages qui ont pris, une fois leur existence publique, une dimension tellement importante dans l'imaginaire collectif qu'ils existent pour de vrai dans l'esprit des gens, indépendamment de leur auteur et parfois même à la place de l'auteur. Vous me direz qu'Émilie Bordeleau avait été inspirée par une femme de la Mauricie, et vous aurez raison. Mais ce n'est pas cette femme qui est passée à l'histoire, c'est le personnage créé par Arlette Cousture.

Plus important encore, cependant, qu'un personnage qui passe à l'histoire, c'est un personnage qui aide une vraie personne à vivre. Comme Tyrion Lannister. Car le génie de George R.R. Martin en créant Tyrion, ce n'était pas d'en faire un nain. Non, le génie de Martin, ce fut d'en faire un humain atteint de nanisme. Car Tyrion n'est pas une créature fantastique comme Bilbo ou Willow. C'est l'un de nous, né différent de nous. Et tout le monde sait quel sort l'humanité a réservé, de tout temps, à ses membres différents.

J'ai pris conscience de l'importance de ce personnage quand une amie a donné naissance, l'an dernier, à Francis, un enfant atteint de nanisme. Plus chanceux que ses pairs nés il y a vingt ans, Francis grandira avec un modèle fort, intelligent, courageux et admirable, pas avec l'idée qu'il est une créature de cirque ni qu'il est d'une autre espèce. Et ça, c'est une grande avancée pour l'humanité.  Car, ne l'oublions pas, il y a  deux types de personnes en ce moment sur la Terre: ceux qui aiment Tyrion Lannister et ceux qui n'écoutent pas Game of Thrones. 

Alors, chers collèges et amis écrivains, ce que je vous souhaite pour 2016, c'est le génie nécessaire pour créer un personnage qui non seulement transcendera la personne que vous êtes, mais qui aidera une autre personne à vivre sa vie.

































jeudi 10 décembre 2015

Prendre soin des auteurs qui commencent



Cette semaine, Anne Rice relayait sur Facebook cet article de The Independent. (L'article apparaît en cliquant sur le mot article. Fichu de blogue qui change tout le temps!)

Elle ajoutait, en introduction de l'article : « I well remember the Doubleday editor who told me that "Interview with the Vampire" lacked the plot, characters, or writing finesse necessary for a hardcover novel. Fortunately not everybody agreed with him. »

Anne Rice, comme JK. Rowling et George Orwell et combien d'autres, a reçu des lettres de refus.  J'ai déjà parlé des miennes sur ce blogue, photo à l'appui, mais aujourd'hui, ce dont je veux parler, et qui est aussi le sujet de l'article partagé par Anne Rice, c'est de la relation entre l'auteur débutant et son éditeur. Une relation que j'ai vue s'effriter au fil des ans.

Pour être précise, je devrais dire que ce qui m'intéresse, et que je vois en disparaître, c'est la relation entre un auteur qui commence dans le milieu et son directeur littéraire.  Dans certaines petites maisons, l'éditeur et le directeur littéraire sont une seule et même personne. Dans la majorité des maisons d'édition, cependant, il s'agit de deux postes différents occupés par des personnes différentes... quand le poste de directeur littéraire existe.

Je vais vous raconter comment c'était, dans le temps. (Dans le temps, ici, remonte à un peu plus de dix ans)

Quand mon manuscrit a été choisi pour le prix Robert-Cliche de 2002, Jean-Yves Soucy, le directeur littéraire de VLB éditeur à l'époque, avait demandé à me rencontrer pour qu'on discute du travail à faire sur mon texte. Je me suis rendue à Montréal, on s'est installé dans son bureau et il m'a remis le rapport de lecture, que j'ai lu du début à la fin en hochant la tête. Toutes les faiblesses que Jean-Yves avait relevées étaient justes. Alors j'ai dit : « Tu me donnes combien de temps pour faire ce travail? »

Là s'est terminée la négociation. Parce qu'il n'y avait rien à négocier; je commençais.

J'ai suivi tous les conseils et quand le livre est sorti, il a rejoint tout de suite un très vaste public. Certes, il a déplu à une certaine intelligentsia qui attendait du prix Cliche un roman plus littéraire. Mais pour les autres, pour ceux qui, souvent, ne lisent pas de livre primé, ils ont aimé. Aimé assez en tout cas pour lancer ma carrière. Et Jean-Yves était là, pour me dire quelles critiques écouter, lesquelles il fallait ignorer. Pour me donner les trucs nécessaires pour survivre à mon premier Salon du livre de Montréal, pour m'installer à côté de Pauline Gill, une doyenne, qui avait l'habitude du SLM.

Pendant l'année qui a suivi la publication du tome 1, Jean-Yves m'a appelée une fois par mois. Juste pour savoir où j'en étais dans l'écriture de la suite. Il voulait savoir si ça avançait à mon goût, si j'éprouvais des difficultés. Mais surtout, il voulait me montrer qu'il me soutenait afin que je garde suffisamment confiance en moi pour mener à terme mon deuxième roman.

Puis il a refusé mon deuxième roman. Bon, pas refusé complètement, mais il voyait que mon deuxième texte avait perdu ce qui faisait l'âme de mon premier. Alors il m'a souligné les bons points du premier en les mettant en contraste avec le tome 2.

On était au téléphone. Je pleurais comme un bébé. Puis je lui demandé, penaude : « Tu ne le veux pas? »

Sa réponse est venue tout de suite. « Évidemment que je le veux! Mais il faut le retravailler. »

Il m'a envoyé par courriel le rapport de lecture et, cette fois encore, j'ai suivi ses recommandations à la lettre. J'étais contente de voir que les faiblesses du premier tome, sur lesquelles j'avais beaucoup travaillé, n'étaient pas relevées dans le rapport sur le tome 2. Ça voulait dire que j'avais appris.

Le tome 2 est sorti et mon public s'est élargi.

Puis j'ai écrit le tome 3. Jean-Yves a espacé les téléphones en m'appelant un mois sur deux, toujours pour savoir comment ça allait. Cette fois, après avoir lu le manuscrit, il m'a simplement envoyé mon rapport de lecture avec un Bravo! écrit dans le haut. Pas de réécriture majeure. Tous les points faibles des tomes 1 et 2 avaient disparu, ce qui fait qu'on me faisait travailler sur autre chose. Pour que je m'améliore. Parce que ça n'aurait servi à rien de me faire travailler sur ces nouveaux points tant que je ne maîtrisais pas les premiers points.

J'ai ensuite écrit 1704. Encore là, un mois sur deux, je recevais un coup de fil de Jean-Yves qui, comme toujours, voulait savoir comment ça allait. Il était bien fier, à la fin, de m'envoyer simplement le rapport de lecture. Tout comme il était vraiment content du travail que j'ai fait sur le manuscrit avant de le lui renvoyer.

Et ainsi de suite jusqu'en quelque part dans le milieu de la série Lili Klondike, quand il est devenu éditeur et qu'il a laissé sa place de directeur littéraire à Marie-Pierre Barathon.  

C'est là que le jeu a changé pour moi. C'est là que mon travail d'écriture a commencé à se faire dans la solitude, sans support mensuel. Mais c'était OK. J'avais beaucoup appris et j'étais capable de voir les faiblesses de mon texte au fur et à mesure que je l'écrivais. Ce qui fait qu'après mes réécritures personnelles, je n'avais plus qu'à envoyer mon manuscrit à Marie-Pierre qui m'appelait pour me donner ses commentaires.

Je n'avais plus besoin de mentor, juste d'une directrice littéraire.

Aujourd'hui, je travaille avec Mélikah Abdelmoumen. Une perle! Et je ne l'échangerais pour rien au monde tellement on se comprend, elle et moi. On se jase seulement quand on travaille sur le manuscrit, mais je la porte dans mon coeur toute l'année. Des fois, en cours d'écriture, je l'entends me dire : « Je doute, ici! »

Depuis quelques années, le genre de mentorat que Jean-Yves m'a offert n'existe plus. Les auteurs qui commencent sont laissés à eux-mêmes pendant qu'ils écrivent leur deuxième et leur troisième roman. Certes, ils progressent grâce au travail de direction littéraire, mais pendant l'écriture, ils sont fin seuls avec leurs doutes et leurs angoisses. Et l'ensemble du métier d'écrivain leur demeure caché, comme un secret qu'il leur faut découvrir à force de se casser les dents ou d'avoir l'air niaiseux.

Dans certaines maisons d'édition, il n'y a même plus de direction littéraire! On reçoit le roman, on le corrige et on l'imprime.

Il y a des jours où je me dis que rendu là, un auteur est quasiment aussi bien de s'autoéditer. Tant qu'à n'être jamais vraiment reconnu par l'intelligentsia littéraire, aussi bien faire de l'argent.