Nos librairies
indépendantes sont en difficulté, tout le monde l'admet. Elles ferment leurs portes
les unes après les autres. Personne ne peut le nier. La loi 51 ne suffit
plus pour les protéger et permettre leur développement. Tout ça parce que la
librairie perpétue un modèle traditionnel alors que notre monde a subi
d'importantes transformations.
Traditionnellement,
une librairie tient un grand nombre de titres dont la majorité se vend peu.
Pour être rentable, la librairie a besoin d'offrir un produit qui se vend bien.
Traditionnellement, les best-sellers jouaient ce rôle.
La thèse actuelle
des libraires est que depuis qu'on peut acheter des best-sellers moins chers
dans les grandes surfaces, les librairies perdent des ventes. C'est vrai.
C'est vrai qu'une
portion de la clientèle des librairies achète ailleurs parce que les livres y
sont moins chers. Il est faux, cependant, de croire que la majorité des
acheteurs de livres en grandes surfaces étaient autrefois des acheteurs de
livres en librairie. Les grandes surfaces et les pharmacies ont rejoint une
autre clientèle. Une clientèle qui, autrefois, n'achetait pas de livres ou
presque.
La preuve que le
problème n'est pas lié aux grandes surfaces, c'est qu'en France, malgré la réglementation
sur le prix du livre, les petites libraires continuent de disparaître. Les
Français lisent pourtant plus que nous. Beaucoup plus que nous.
Le vrai problème
se trouve dans la technologie. Internet, qu'on aime tant et dont on dépend, représente
une menace de plus en plus grande pour les librairies. Mais il s'agit d'une
menace bien difficile à combattre parce qu'elle a pour alliée la vitesse. LA
VITESSE. Voilà le véritable ennemi des librairies. La vitesse de téléchargement
et la vitesse de livraison des livres achetés en ligne.
C'est exactement ce que déplore l'éditeur Melville House sur son site web et dont le lien se trouve sur la
page Facebook de Sauvons les livres.
On y dit
clairement que ce qui a fait disparaître des librairies en Angleterre, c'est
l'arrivée d'Internet (en 1995), avec ses livres numériques moins chers que les
livres papier, avec les rabais consentis par les détaillants en ligne (genre
Amazon), avec le réseau internet de revendeurs de livres d'occasion et avec le
piratage.
C'est aussi ce
que décrient les libraires français dans un article pris sur le site du Syndicat
de la Librairie française. Leur bête noire, c'est Amazon.
Or, Amazon et
Internet n'ont rien à voir avec les grandes surfaces.
Je continue de croire que les librairies sont
indispensables pour la survie de notre culture. Mais je pense aussi que le
modèle actuel n'est pas viable. Et puisqu'on subventionne les théâtres, les
musées et les troupes de danse parce qu'ils transmettent notre culture, pourquoi
ne ferait-on pas de même avec les librairies?
Comme je ne crois
pas aux bienfaits d'une réglementation du prix du livre, j'ai imaginé un autre
moyen pour assurer la pérennité des librairies indépendantes, celles qui
tiennent sur leurs tablettes le fond de notre culture littéraire.
L'idée m'est
venue en pensant à cette taxe pour le transport en commun qu'on doit payer
quand on immatricule notre voiture. Cette taxe est prélevée pour le bien de
toute la société. Et pourtant, si vous n'avez pas de voiture, vous ne la payez
pas.
Imaginons donc une
taxe spéciale sur les livres vendus en grande diffusion. ( C'est-à-dire chez Costco,
Walmart, pharmacies, Amazon, etc.)
Ça n'a pas besoin
d'être une grosse taxe. 3 % ferait l'affaire. De toute façon, il n'y a pas
de taxe provinciale (TVQ) sur les livres. Y ajouter une taxe de 3 % aurait
un effet minime sur le prix, comme le démontre ce tableau où j'ai pris pour
exemple mon roman Les deux saisons du
Faubourg.
Point de vente
|
Prix du livre actuellement
|
Taxe de 3 %
|
Costco
|
20.97 $
|
0.63 $
|
Walmart
|
22.46 $
|
0.67 $
|
Amazon
|
25.31
|
0.76 $
|
Librairie (prix de détail
suggéré)
|
29.95 $
|
ne s'applique pas
|
Comme pour la
taxe municipale de 0.40 $ pour le service 911 sur les factures des
téléphones cellulaires, il faudrait que la taxe spéciale sur le livre soit bien
identifiée sur le reçu du client. On ne lui demande pas ces quelques sous
supplémentaires pour rien. Une telle transparence aurait pour effet de valoriser
les librairies dans l'esprit du public.
Mais le plus
important, ici, c'est qu'une augmentation aussi faible du coût du livre n'aurait
pas d'influence sur les ventes et n'affecterait donc pas les revenus que les
auteurs et les éditeurs tirent des ventes en grandes surfaces.
Et contrairement
à un prix réglementé, qui « forcerait » du coup les grandes surfaces à faire plus de profit sur le livre, la taxe de 3 % permettrait de créer
un fonds pour aider les librairies.
À la page 3
du rapport, on chiffre à 116 millions de dollars le montant des ventes finales
de livres neufs en grande diffusion. 3 % de 116 millions = 3 480 000 $.
C'est presque trois millions et demi de dollars annuellement en soutien direct aux
librairies en difficulté. Et ce, sans diminuer l'accessibilité au livre puisque
le prix en grandes surfaces n'augmenterait que de 3 %.
Je sais pas vous, mais moi je trouverais ce moyen pas mal plus efficace. Plus cohérent. Plus juste. Et plus humain, dans une société aussi peu alphabétisée que la nôtre.
Voilà. Si vous trouvez que cette idée mérite qu'on l'étudie, allez-y fort, diffusez-là! Et faites-la vôtre tant que vous voulez! Il n'y a pas de droit d'auteur sur les idées. L'important, pour moi, c'est de trouver une façon de sauver les librairies sans pénaliser les écrivains dont les livres sont vendus dans les grandes surfaces.
Ajouts:
1. On me dit qu'une taxe dédiée, ce n'est pas faisable au Québec. Je réponds qu'on n'a pas besoin que la taxe soit fonctionnellement dédiée. On sait déjà combien à combien s'élèvent les ventes de livres en grande diffusion grâce au rapport de l'
Observatoire de la culture et des communications (v. page 3). Elles étaient de 116 millions en 2012. Le gouvernement peut très bien percevoir la taxe, mettre cet argent dans des vases communicants et verser aux librairies 3% du montant des ventes en grande diffusion comme recensé par l'Observatoire de la culture et des communications chaque année.
2. On me dit qu'il serait difficile d'établir quels commerces devraient charger la taxe. Il faut procéder à l'envers. Tous les vendeurs de livres devraient percevoir la taxe de 3%, mais les librairies agréées en seraient exemptées.
3. On me demande comment répartir l'argent ainsi collecté. Je propose que les subventions aux librairies soient calculées en fonction du nombre de titres par pied carré i.e. selon l'importance de son fond.
Il faut innover et non importer un modèle déjà défectueux par rapport à Internet et impuissant devant Amazon.