mardi 19 février 2013

Parce que je ne suis pas la seule à ne pas comprendre...


Je sais, je sais, je suis en retard d’une semaine. À qui la faute? À moi, bien sûr, mais un peu à la vie aussi! Elle est parfois un peu plus mouvementée que prévu, plus occupée aussi… Mais ce n’est pas uniquement pour ça que je n’ai pas publié alors que c’était à mon tour, il y a aussi une question de censure et de réflexion derrière tout ça. Non pas une censure dans le genre de celle dont vous faisait part la doyenne il y a quelques semaines, mais une censure différente, dans le sens de : Et si j’étais mieux de garder le silence…

J’ai beaucoup hésité avant de publier ce billet, pour plusieurs raisons, mais surtout parce que la personne dont il est question est avant tout un ami et que je ne voulais pas faire de «publicité» à un fait divers qui n’a pas été beaucoup médiatisé jusqu’à maintenant. Sauf qu’en discutant avec certaines personnes autour de moi, dont la doyenne, je me suis rendu compte que nous étions plusieurs à avoir les mêmes interrogations, les mêmes réflexions et que nous arrivions à la même conclusion, alors voici…

Au cours de la semaine dernière, un auteur jeunesse a été accusé de crimes à caractères sexuels en lien avec deux ados. Je ne commenterai pas ces accusations. Par contre, j’ai été surprise d’apprendre que son éditeur était en réflexion à savoir s’il publierait le dernier manuscrit reçu de l’auteur alors que la sortie était déjà prévue pour la fin du printemps. Tout comme j’ai été étonnée de lire que son travail de scénariste sur un projet d’adaptation d’un roman d’un autre auteur était aussi mis sur la glace et ne lui serait plus «accessible» s’il était reconnu coupable. Que l’on mette un terme à son contrat comme enseignant dans une école secondaire, soit. Qu’il lui soit «notamment interdit d’occuper, de chercher ou d’accepter un emploi ou un poste qui le placeraient dans une relation de confiance avec toute personne de moins de 18 ans» - pour reprendre les termes du tribunal – ok. Mais, à ma connaissance, quand la personne travaille chez elle, que ce soit sur un scénario ou un manuscrit, je ne vois pas en quoi elle contrevient à ces restrictions. Et si l’auteur n’entre pas en contact avec son lectorat d’individu à individu – lors d’un salon du livre par exemple-, je ne vois pas où est le problème non plus en publiant le texte. Je ne crois pas qu’il ait quoi que ce soit dans un contrat d’édition qui stipule que la vie privée d’un individu ait un quelconque rapport avec l’édition de ses écrits de FICTION. Même si c’est de la littérature jeunesse et que le délit présumé concerne des jeunes. Tant que ce n’est pas de ça dont il est question dans le récit, on ne doit pas mélanger les pommes et les oranges. Il y a quelque chose de dérangeant dans le fait que l’on associe les actes présumés et l’œuvre de l’auteur. Est-ce que ça veut dire qu’il faut retirer des tablettes tout ce qu’il a produit depuis nombre d’années?

La deuxième chose qui m’agace là-dedans, c’est que je me demande ce que la personne est censée faire en attendant sa prochaine comparution, l’enquête et tout le reste. S’assoir chez elle et se tourner les pouces en se morfondant? Surtout quand on sait combien le système de justice est vite au Québec. Sous prétexte qu’elle POURRAIT être coupable –je rappelle ici la présomption d’innocence qui prévaut dans notre province-, cette personne n’a plus la possibilité de travailler dans son domaine même si son travail respecte les conditions du tribunal? Elle doit faire quoi alors? Se recycler au lieu de faire profiter notre culture de son savoir et de ses capacités? Se laisser crever de faim en attendant une absolution ou une condamnation?  Je rappelle au passage qu'un cas semblable concernant un autre auteur jeunesse est toujours pendant au Québec, plus de deux ans après la mise en accusation. Et que son éditeur a continué de publier ses livres.

Et vous, vous en pensez quoi? 

18 commentaires:

  1. C'est très pertinent comme réflexion. Moi ce qui me marque là-dedans, c'est que dès que la personne est accusée, la société l'entre tout de suite dans la catégorie "coupable". La présomption d'innocence, elle prend le bord assez vite. Ce qui est normal: on veut se protéger et protéger nos enfants.

    Mais qu'arrive-t-il quand la personne n'a rien fait et que tout cela était une erreur (c'est pour cela que l'on fait un procès après tout)? Les soupçons ne s'en vont pas aussi vite...

    C'est comme ça que je commence La Pomme de Justine. C'est un sujet qui m'intéressait. Et je comprends ta réflexion.

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  2. Bien entendu, il y a la présomption d'innocence. Trouver quelqu'un coupable du seul fait de son accusation équivaudrait, dans un pays où la peine capitale existe, à une exécution sommaire sans procès.

    Et si la présomption d'innocence en matière criminelle au Canada n'existait pas, ce serait l'accusé, qui pourrait être vous ou moi ne l'oubliez pas, qui aurait le fardeau de prouver son innocence (ce qui est le cas en matière fiscale d'ailleurs).

    Mais il y a plus. Supposons cet auteur coupable. Supposons n'importe quel auteur coupable de n'importe quel crime. Et alors? En quoi l'absence de dossier criminel constitue-t-il un prérequis pour la publication? Si c'était le cas, on viendrait d'éliminer bon nombre de grands écrivains qui sont passés à l'histoire.

    Ainsi nous voudrions déterminer qui a le droit d'écrire et qui n'en a pas le droit. Et dans la même logique, qui a le droit de peindre et d'être exposé, et qui n'en a pas le droit. Le prochain glissement pourrait nous amener à censurer la diffusion des oeuvres non plus en vertu de critères religieux, comme au temps de l'Index catholique, ni même juridiques, mais simplement moraux (suivant la moralité de l'heure). Cette mentalité javellisante produira un désert littéraire, artistique et culturel que nous aurons mérité.

    Quant à l’éditeur, s’il n’honore pas un contrat déjà signé, j’espère qu’il sera poursuivi par l’auteur en question.

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    1. Merci pour ce commentaire qui nous démontre clairement combien les possibilités de dérapage sont nombreuses dans pareilles situations, mais aussi combien les conséquences à long terme pourraient être désatreuses pour notre culture.

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  3. Tout à fait d'accord avec ton billet. Surtout le dernier paragraphe. Je me mets un instant dans ses souliers et... Et ben merde, à sa place, si j'étais innocente, je crois que je me serais déjà pitchée en avant d'un wagon de métro!

    Parce que dans toute cette situation, s'il est coupable, sa carrière est foutue, mais bon, on peut dire qu'il l'a cherché. Sauf que comme dit Nomadesse, s'il est innocent, sa carrière est tout aussi foutue. Pour rien.

    Avec notre système actuel, ça devrait être interdit de publiciser les accusations.

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  4. Je me suis posée la même question en voyant le refus de son éditeur de publier le dernier livre, surtout, comme tu le mentionne, considérant que le premier cas semblable a continué de publier.
    Non seulement c'est salopard pour le présumé innocent, mais ça l'est également pour les lecteurs qui se sont investit depuis 5 tomes dans cette série et qui ne pourront en connaître la fin. Je ne peux m'empêcher d'espérer que l'éditeur a réagit sur le coup de la surprise et qu'il reviendra sur sa décision.

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    1. Effectivement,le fait que ce soit du 6e et dernier tome d'une série dont il est question pose un problème supplémentaire puisque cela pourrait être perçu comme un manque de respect envers le lectorat que de ne pas le publier, surtout que le manuscrit est déjà entre les mains de l'éditeur.

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  5. Ça sent la "punition" à plein nez, à mon avis. Le côté judéo chrétien prend le dessus.

    Ce n'est pas sain, et je trouve très à propos que tu mettes le sujet sur la table.

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    1. J'espère effectivement que ce billet conduira à une réflexion constructive...

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  6. Il y a tout de même un problème éthique qui se pose du point de vue de l'éditeur et c'est d'abord et avant tout à son sens de l'éthique qu'il est soumis, pas à la jurisprudence.

    Le problème est complexe et je dois avouer que je ne sais pas trop qu'en penser.

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    1. Pour ma part, j'ai de la difficulté à voir où est le problème éthique puisque le travail de l'éditeur est de publier un récit de fiction suite à la signature d'un contrat d'édition. L'éditeur a donc à juger de la qualité du manuscrit qu'il reçoit et non de ce qui se passe dans la vie privée de l'auteur.

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  7. @Gen et Nomadesse: C'est aussi un aspect de l'affaire auquel j'ai pensé, à savoir que les dommages à long terme sur la carrière de l'auteur risquent d'être très semblables, qu'il soit ou non coupable. Et ça ne devrait pourtant pas.

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    1. Tu vois, si au moins ce qu'il écrivait était condamnable... On republie les écrits antisémites et racistes de Céline, pourtant interdits par lui-même!, et on se demande si on devrait publié un auteur qui écrit quelque chose de moralement acceptable, parce qu'il est sous une accusation... Étrange.

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    2. Exactement. On lit encore, entre autres, Hitler et le Marquis de Sade... Difficile de comprendre.

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  8. Je suis contente que le sujet soit abordé ici, il me turlupine depuis quelques jours...

    Connaissant l'auteur en question, la situation me désole. En effet, qu'il soit coupable ou non, sa carrière est gravement remise en question. Ça m'attriste. Et ça m'enrage pour le dernier tome de la série, car si ce n'est pas publié, j'aurai l'impression de m'être fait avoir par la maison d'édition, en achetant les autres tomes à ma fille!

    Les présumées victimes, que leurs accusations soit fondées ou non, ne sont pas exposées aux médias à l'heure actuelle, n'est-ce pas? Normal, si ce sont (ou c'était au moment des événements présumés) des mineurs. Mais l'accusé, lui, les médias l'exposent sur la place publique tout de suite, sans même savoir s'il est coupable ou non. Sensationnalisme oblige.

    Présomption d'innocence, mon oeil. Ça, c'est pour le système de justice, mais la société juge et condamne bien avant.

    Triste histoire. J'ai hâte de voir ce qu'il en ressortira au final. Coupable ou non? Pour l'instant, je m'efforce de garder l'esprit ouvert à toutes les possibilités.

    Mais je n'en reviens pas de voir à quel point le vent peut tourner vite parfois... et tout bousculer sur son passage...

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    1. C'est aussi pour ta dernière phrase, Isa, que je souhaitais faire réfléchir sur la question... parce qu'on ne sait jamais ce qui peut arriver. Comme le disait anonyme, plus haut, ça pourrait être vous ou moi, l'accusé...

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  9. L'oeuvre de l'auteur et la "vraie" personne. Une grande question. Nous ne reviendrons pas sur l'épisode de Bertrand Cantat. J'écoute encore Noir désir. Mais est-ce que j'acceptais personnellement le projet de Wajdi Mouawad. Moins sûr. Plusieurs artistes, dont Pol Pelletier, étaient dégoûtés par l'idée de Mouawad. Alors les éditeurs connaissent les réticences du public à cet égard. D'autant qu'ils s'agit de mineurs ici. Présomption d'innoncence. Difficile de vivre avec l'épée de Damoclès au-dessus de la tête. Il devra faire du service aux tables en attendant ou un autre travail clérical. Il n'y a pas de sot métier et il y trouvera peut-être l'inspiration pour un autre roman. Personnellement, j'attendrais le verdict avant d'acheter le prochain tome.

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  10. Une maison d'édition est une entreprise qui doit gérer les risques. À partir du moment où un de ses auteurs a d'importants problèmes judiciaires, il devient un sérieux risque. Même si la présomption d'innocence subsiste, n'importe quelle compagnie hésiterait à miser et investir sur une personne pouvant leur faire perdre de l'argent et les mettre dans l'embarras (la nature du crime reproché n'aide pas ici!), s'il était jugé coupable éventuellement. L'attente est peut-être longue pour l'accusé, qu'il soit accusé à tort ou à raison, mais on pourrait difficilement en vouloir à une compagnie d'être prudente à cautionner un écrivain potentiellement agresseur sexuel, peu importe qu'il en soit rendu au tome 6 de 18.

    Je sais bien que l'auteur et l'oeuvre sont deux choses distinctes, mais personnellement, je ne voudrais pas non plus encourager un auteur criminel, s'il égait jugé coupable, et encore moins pour des abus sur des enfants. J'aurais un sérieux problème éthique, et je préfèrerais que mon 24$ aille à la victime!!! Tant pis pour la fin de l'histoire. Il y a d'autres aventures écrites par différents auteurs qui n'ont rien à se reprocher!

    Si l'auteur peut travailler dans l'intimité de sa maison, reste que l'oeuvre, elle, est dans l'espace public. Et la vie publique se conjugue difficilement avec la criminalité. Ce n'est pas trop bon pour le marketing!

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  11. @Anonyme et Dionra: Je comprends vos réticences. Mais ce sont là des choix personnels à chacun d'entre nous. J'ai lu et entendu autant de "pour" que de "contre" dans ce débat, d'où la confirmation de mon impression que ce n'est pas à l'éditeur de décider, mais bien au lectorat. Quant à la notion d'argent, l'éditeur peut toujours faire un tirage plus limité et réimprimer selon la demande.

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