jeudi 28 février 2013

Parler du travail de l'écrivain ou l'art de prêcher dans le désert


Je ne suis pas abonnée aux journaux, mais mon voisin l'est. Il y a quelque temps, il a décidé que ses journaux n'avaient pas fini leur vie simplement parce qu'il les avait lus. Il a donc rallongé sa promenade quotidienne pour venir déposer dans ma boîte aux lettres La Tribune et le Journal de Montréal. 

C'est ainsi qu'au début de février, je suis tombée sur une chronique de Jean Barbe qui était passée sous mon radar internet (et pour cause, l'article n'est disponible en ligne qu'aux abonnés). Toujours est-il que M. Barbe avait intitulé son texte L'éloge du travail et faisait un lien entre le livre de Malcolm Gladwell, Outliers, the story of success et celui de Michel Vézina sur l'écriture, Attraper un dindon sauvage au lasso.


Ce qui m'a frappée, dans le texte de Jean Barbe, c'est le fait qu'il dise, noir sur blanc, que l'écriture demande du travail. Je me suis presque étouffée en lisant ça. L'écriture demande du travail, vraiment? Ne riez pas, mais quand je vais dans un salon du livre, il se trouve toujours au moins une personne pour me demander des conseils d'écriture. Je réponds toujours la même chose : Lisez, lisez, lisez, réfléchissez, réfléchissez, réfléchissez, écrivez et réécrivez, réécrivez et réécrivez. La réplique que j'obtiens est immanquablement la même : J'ai pas le temps de faire ça. Je veux juste écrire.


La vérité, c'est que le travail de l'écrivain consiste moins à écrire qu'à lire, à réfléchir et à réécrire. La partie écriture, c'est celle qui prend le moins de temps. Mais on n'est pas écrivain parce qu'on écrit. Malcolm Gladwell (celui dont parlait Jean Barbe) a élaboré la théorie des dix mille heures. Après des années de recherches, Gladwell est arrivé à la conclusion que ceux qui réussissent dans un domaine travaillent beaucoup. Environ dix mille (10 000) heures de travail et de pratique avant de goûter au succès. DIX MILLE. À six heures par jour, mettons, tous les jours de l'année sans exception, ça donne presque cinq ans. Cinq ans d'écriture à temps plein pour produire enfin un roman réussi, c'est pas rien!


Pourtant, l'écrivain en herbe continue de penser qu'écrire c'est facile et que ça se fait vite. Je vais vous donner un exemple qui m'a bouleversée récemment. À ce temps-ci de l'année, je donne des conférences dans les écoles secondaires. La semaine dernière, dans une classe de jeunes de 15 ans, plusieurs élèves m'ont dit rêver de devenir écrivains. Je leur ai dit la même chose qu'aux autres. Écrire, c'est lire, lire, lire, réfléchir, réfléchir, réfléchi, écrire, réécrire, réécrire et réécrire. À la fin de la période, quelques-uns sont venus jaser avec moi. Leur première question : « Si mon texte est prêt et que je veux le faire publier, je fais comment? » Quinze ans, et déjà, ils sont pressés!

Le pire, c'est qu'ils ne sont pas les seuls! Il y a plein de jeunes écrivains (et je ne parle pas d'âge, ici, mais d'expérience) qui écrivent d'une traite pour passer au suivant au plus vite. Quand j'entends l'un d'eux me dire qu'il vient de finir son roman et qu'il l'envoie dès demain à un éditeur, je lui demande : Tu l'as laissé reposer combien de temps? On me répond la même chose que lorsque je parle de lire, de réfléchir et de réécrire : Pas le temps.


J'en suis rendue à me demander dans quelle course se trouvent donc tous ces gens.

Dans son livre Écriture, mémoire d'un métier Stephen King explique que quand il a terminé un roman, il le laisse reposer deux mois avant de le relire pour le retravailler. Stephen King! On ne parle pas d'un deux de pique, ici. Pensez-y! Même Stephen King laisse reposer son roman afin de le reprendre pour le retravailler au max AVANT de l'envoyer à son éditeur. Je vous entends me dire : Pourquoi perdre tout ce temps? La réponse est simple : pour faire une bonne job. Parce que l'auteur qui relit un texte fraîchement écrit ne voit pas ce qui est écrit, mais plutôt ce qui se trouve encore dans sa tête. Ce qu'il faut, c'est prendre de la distance par rapport à son texte de manière à pouvoir lire ce qui se trouve vraiment sur le papier. On peut ainsi apporter toutes les corrections nécessaires afin de s'assurer que le roman qui sera publié reflète vraiment ce qu'on voulait écrire et non ce que le réviseur et/ou le correcteur de notre éditeur pense que l'on voulait écrire. N'importe quel écrivain sérieux vous le dira : jamais un texte ne traduit la pensée de l'auteur du premier coup. Ou si ça se produit, c'est que l'auteur est un Mozart de l'écriture. À en croire ce qu'on me dit dans les salons du livre, dans les écoles et sur Facebook, ils sont nombreux au Québec à se prendre pour Mozart…


L'agent littéraire américain Donald Maass a écrit un livre pour conseiller les jeunes écrivains. Ça s'intitule The Fire in Fiction. Comme on le sait, aux États-Unis, l'auteur n'envoie pas son manuscrit à un éditeur. Il lui faut en premier lieu se trouver un agent qui, lui, contactera les éditeurs pour défendre les manuscrits auxquels il croit. Donald Maass, donc, est arrivé à la conclusion qu'il existe deux types d'écrivains: les storytellers et les status seekers. En français, on dirait qu'il y a ceux qui écrivent de bonnes histoires et il y a ceux qui recherchent la gloire.

Voilà peut-être pourquoi certains sont pressés et d'autres pas.

7 commentaires:

  1. Juste l'avant-dernière phrase donne à réfléchir sur ceci: si on n'est pas l'un est-on nécessairement l'autre?

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  2. Ton commentaire me fait rire...et réfléchir.

    Un jour, un éditeur m'a répondu non parce que son calendrier de production ferait paraître mon roman beaucoup trop loin (2-3 ans). Très franchement, je l'ai contacté pour lui dire que je me foutais pas mal du temps que ça prendrait et que ça me permettrait de le retravailler.

    Le temps.
    Il me semble que pour écrire, c'est important d'en avoir. Beaucoup.

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  3. Voilà, tu l'as bien dit. Plusieurs aspirent à devenir écrivains pour être des vedettes. Mais, comme tu l'affirmes, c'est du travail l'écriture. Lire, réfléchir, écrire et réécrire. Je fais les trois premiers, mais je manque de la persévérance pour la dernière étape, car j'ai de la difficulté à organiser mes idées.

    Je suis en train d'essayer de lire " Le Maître et Marguerite" de Mickhail Boulgakov. Il a mis dix ans à écrire son roman. Et moi, je prendrai bien un an, car c'est complexe.

    Marithé

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  4. Excellent ton article Mylène... Je suis convaincue qu'écrire est un long processus de maturation, de réflexion et de travail et tu viens conforter ce que pensent tous les vrais écrivains, ceux qui ne cherchent pas la gloire mais qui souhaitent laisser derrière eux un témoignage, un message avec lequel leurs contemporains pourront comprendre et mieux connaître leur époque.
    Bravo! Puissent nos éditeurs penser de cette façon!
    Nadine Grelet

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  5. C'est la même chose pour le dessin. Quand les lecteurs ont sa bande dessinée entre les mains, ils demandent à Marsi, combien ça a pris de temps et quand ils entendent deux ans et demi, les bras leur tombent. Et quand Marsi commence à parler des étapes, ils ouvrent les yeux grands, mais grands ! Tant d'étapes, juste pour dessiner ! Je les observe à ce moment-là et ils se mettent à douter ...mais pas d'eux, de Marsi ! C'est un lent, un maniaque, ou quelque chose du genre. Peut-être pas assez de talent pour être vite.

    Pourtant, en danse, on est beaucoup plus prêts à croire les heures et les heures d'entraînement.

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  6. Vraiment tres bien ce billet et devrais être lu par tout ces apprentis écrivains :)

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  7. Je vous remercie pour vos commentaires. Veuillez excuser mon silence, mais j'ai écrit ce billet avant d'être opérée parce que je savais que je ne serais pas en état de le faire en sortant de l'hôpital. Disons que je n'étais pas en état de répondre à vos commentaires, même si je les ai grandement appréciés.

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