jeudi 21 mars 2013

L'écrivain et l'argent (Deuxième partie)

La situation économique des écrivains à temps plein.

La vie des écrivains s'est un peu améliorée depuis 2003 alors qu'une étude de l'Observatoire de la culture et des communications du Québec (voir l'étude ici) annonçait que seulement 9 % des écrivains comptaient sur leurs droits d'auteur comme principale source de revenus. 

En 2008, comme le montre en page 3 le rapport suivant l'Observatoire de la culture et des communications du Québec (voir la deuxième étude ici ), 13 % des écrivains tous genres confondus gagnaient plus de 20 000 $ en droits d'auteur par année. Ce qui veut dire environ 200 personnes. De ceux-là, seuls 2 % gagnaient plus de 60 000 $ en droits d'auteurs. 2 %, c'est 30 personnes. TRENTE. Et je parierais n'importe quoi que la situation ne s'est pas améliorée depuis 2008 parce que les ventes de livres ont baissé partout dans le monde avec l'arrivée de Facebook et compagnie. 

Est-ce que ça veut dire que c'est irréaliste de vouloir gagner sa vie avec ses livres? Pas du tout. Ça demande juste beaucoup de discipline, de détermination en plus d'un certain goût pour une vie minimaliste, histoire d'avoir du temps. Avec beaucoup de chance (La chance sera l'objet d'un billet ultérieur), et à force de travail,  d'années de patience et de publications, certains auteurs finissent par passer le cap du salaire décent. On peut dire qu'ils gagnent leur vie avec leur plume… à condition de ne pas tout dépenser d'un coup quand arrive un gros chèque. Et à condition de continuer à écrire, évidemment.

Mais attention! Il ne faut pas trop publier non plus. Si vous sortez deux livres la même année, vous ne ferez pas deux fois plus d'argent. Il y a trois raisons à cela: 

1. Les règles du marché :
Nul besoin d'avoir la bosse des affaires pour comprendre comment ça marche dans le milieu du livre au Québec (et sans doute ailleurs dans le monde aussi). Il suffit de tremper dedans assez longtemps et d'observer autour de soi. La première chose qui saute aux yeux, c'est que les médias ne parlent de vous qu'une fois par année. Sortez un deuxième livre, vous passez dans le beurre. Et il n'y a pas que les médias qui vont se montrer peu ou pas du tout intéressés. Les libraires aussi. Ce n'est pas parce que vous avez sorti deux livres cette année qu'ils vous donneront deux fois plus de visibilité en librairie. Surtout s'ils trouvent que votre premier livre ne s'est pas vendu assez à leur goût. Dans ces conditions, si votre livre n'a pas eu le temps de rejoindre son lectorat avant la sortie du deuxième, vous venez de vous tirer dans le pied.

Une de mes anciennes attachées de presse disait qu'un livre doit vivre sa vie avant qu'arrive son petit frère. Vivre sa vie, ça veut dire se montrer devant le monde pendant une tournée de promotion, faire sa vedette dans les salons du livre pendant une année et cela, tout seul comme un grand, de manière à avoir le maximum de visibilité possible. Comme ça, quand arrive son petit frère, l'année suivante, le chemin est déjà ouvert. Et le petit frère, à son tour, peut vivre pleinement sa première année de vie lui aussi.


2. Le fonctionnement de notre système d'imposition :
Demandez à n'importe quel auteur d'expérience, il vous confirmera que le livre n'est payant que pendant sa première année de vie publique (Attention, ce n'est pas toujours le cas des romans de série. Voir billet ultérieur.) En dehors de sa première année, le livre rapporte des grenailles. Il est donc sage de faire de la planification fiscale. C'est quoi, la planification fiscale? Je vous donne un exemple. Imaginez que vous avez deux livres prêts pour publication la même année. (Parce que vous êtes productif, mettons, ou parce que vous aviez un des deux dans vos cartons.) Je vous comprends d'avoir hâte de les voir tous les deux côte à côte dans une vitrine. Mais il faut savoir que si on publie deux livres dans la même année, il faudra payer des impôts sur les redevances des deux livres pendant la même année fiscale. Passé un certain niveau de redevances, ça peut être grandement pénalisant. Imaginez que, pour différentes raisons (dont une possible maladie ou un accident ou une panne d'imagination ou même un problème chez votre éditeur), vous ne publiez pas du tout l'année suivante. Vous allez alors frapper un noeud la troisième année puisque vous ne recevrez pas de redevances. Pauvre comme Job, obligé de vous chercher une job, vous vous direz alors: «J'aurais donc dû prendre mon gaz égal et étaler mes revenus!»


3.Une pression déraisonnable :
Quand on publie et qu'on a du succès, on crée une demande. Publier à un rythme très serré crée une demande plus exigeante que publier à un rythme qui correspond à votre équilibre psychologique. Nous ne sommes pas des machines! L'imagination, ça vient pendant un bout. Et si on en abuse, il arrive que ça ne vienne plus du tout. Pendant un moment, en tout cas. En plus, on risque non seulement d'avoir une épicondylite (tennis elbow), mais à trop écrire, on peut aussi se brûler psychologiquement. Sans parler du stress qui nous tourmente parce qu'on se dit qu'il FAUT écrire. On devient esclave de sa plume, et, dans ces conditions, il n'y a plus de plaisir à créer. On a l'impression de toujours travailler et de passer à côté de notre vie. On revient au point de départ, finalement, comme si on avait une job à temps plein qui nous empêchait de faire ce qu'on a vraiment envie de faire dans la vie. 


Tout ça pour dire que la ligne est mince entre écrire assez et publier trop. C'est à chacun de juger si, en tant qu'artiste, il veut brûler comme un feu de paille ou durer comme une braise rougeoyante.


La semaine prochaine: Les écrivains de série, une réalité semblable et différente à la fois.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire