mardi 9 avril 2013

L'image romantique de l'écrivain: mythe et réalité


Comme avril est le mois des impôts, je me dis que c'est un bon mois pour conclure notre série d'articles sur l'écrivain et l'argent. L'écrivain et l'argent, donc, quatrième partie.

Je me souviens de l'image que j'avais du métier d'écrivain quand j'étais adolescente. Dans mes rêves les plus fous, je me voyais assise devant une table couverte de feuilles lignées pleines de gribouillis, dans un bureau dont les bibliothèques étaient remplies de livres poussiéreux, dans une maison silencieuse au fin fond d'une campagne tout aussi silencieuse, mais surtout déserte parce que personne ne devait jamais me déranger. Je me voyais penchée sur une machine à écrire (les ordinateurs étaient rares dans ce temps-là), le regard vide parce que la tête ailleurs, dans quelque château médiéval de ma création où la technologie avait dépassé celle de notre temps. En digne fille de Star Wars, c'est mon personnage, une fille, qui tuait le robot-dragon.
Dans cette vision romantique du métier d'écrivain, l'argent n'existait pas. Ou, s'il existait, il y en avait juste assez dans mon compte en banque pour maintenir ce rythme de vie campagnard et solitaire.

Le destin s'est chargé de me conduire à bien des endroits avant de me ramener à mon rêve d'adolescente. Et ce rêve, quand je l'ai enfin atteint, s'est avéré plus excitant, mais aussi moins romantique que prévu. Qu'on le veuille ou non, l'argent existe et dirige nos vies en exerçant ses contraintes. Et même si j'ai pris le parti de ne jamais en être esclave, je subis les mêmes contraintes que tout le monde.

Au printemps 2012, je donnais une entrevue à Châtelaine. (L'article est ici) La journaliste, Marie-Claude Fortin, voulait dresser un portrait des écrivains à succès au Québec. Je devais être une des dernières personnes qu'elle interviewait parce que sa première question est sortie tout de go : « Considérez-vous que vous opérez une PME? »  J'ai éclaté de rire. Moi, businesswoman? Voyons donc! Je suis juste une écrivaine. Puis l'évidence m'a sauté aux yeux. Ben, oui! J'en étais rendue là!

Businessman. Businesswoman. Voilà bien des mots auxquels nous, les artistes, ne voulons pas être associés. Et je ne connais pas un écrivain à succès qui savait, en commençant à écrire, qu'il deviendrait un jour percepteur de taxes pour le gouvernement, qu'il aurait besoin des services d'un comptable pour venir à bout de ses déclarations d'impôts, qu'il pourrait déduire desdits impôts un pourcentage des frais reliés à l'entretien de sa maison, de son automobile, et de ses achats de matériel de bureau. Il n'imaginait pas non plus qu'il lui faudrait tenir un registre précis des redevances pour chacun de ses titres publiés en fonction de clauses de contrat, qu'il apprendrait la négociation, qu'il inscrirait ses numéros de TPS et de TVQ pour la moindre prestation en public, qu'il collectionnerait les reçus comme d'autres ont jadis collectionné les papillons, qu'il devrait préparer des remboursements pour des taxes consciencieusement perçues et préparer des acomptes provisionnels (pour les impôts anticipés l'année suivante).

La réalité n'est pas aussi romantique que mon rêve d'antan parce que, entre autres choses, aux yeux du fisc, l'écrivain qui a le statut de travailleur autonome est considéré comme une business. Et si ce même écrivain déclare des revenus de plus de 30 000 $ par année, il doit percevoir la TPS et la TVQ auprès de ses éditeurs (et autres «cllients») et remettre ces taxes à la consommation au gouvernement. Vous avez bien lu. Pour le gouvernement (au fédéral comme au provincial), l'écrivain à succès est une entreprise. Et à moins d'être aussi doué avec les chiffres qu'avec les lettres, cet écrivain a besoin d'un comptable à qui il doit fournir le Guide de l'impôt préparé par l'Uneq et mis à jour chaque année. Et à moins d'être doué en négociation, de posséder une mémoire d'éléphant, d'être doté d'une capacité d'analyse et de synthèse exceptionnelle et d'un détachement à toute épreuve, il peut trouver pratique d'avoir un agent pour s'occuper de ses contrats.

La première fois que j'ai signé un chèque adressé au Ministère du Revenu du Québec, j'ai fait rire ma comptable. Elle m'a dit qu'elle n'avait jamais vu quelqu'un adresser un gros chèque au gouvernement avec autant de satisfaction. De tous ses clients, j'étais la seule auteure. Cela expliquait sans doute pourquoi elle ne voyait rien d'extraordinaire dans ce que moi je considérais comme un exploit. J'aurais peut-être dû lui montrer les statistiques sur les revenus des écrivains (v. études 2003 et 2008). Aurait-elle compris la fierté que je mettais à signer ce chèque si je lui avais dit qu'à peine 10 % des écrivains québécois tiraient plus de 20 000 $ de leurs revenus de création et que de ce nombre, seulement 2 % dépassent 60 000 $?

Le hasard a fait que les gens aiment ce que j'écris. (V. billet ultérieur sur le rôle de la chance dans la carrière d'un écrivain). Le hasard a fait aussi que ces gens achètent mes livres en grand nombre. Malgré les contraintes fiscales et organisationnelles liées au statut de l'artiste, je considère que je fais partie des Québécois privilégiés qu'on paie pour mettre sur papier les histoires qui peuplent leurs rêves. Nous sommes une quarantaine. Une quarantaine instable, où se retranchent et s'ajoutent chaque année de nouveaux noms. Et malgré aussi les incertitudes inhérentes à ma situation de travailleuse autonome gestionnaire d'une PME, je considère que je pratique le plus beau métier du monde, même s'il n'est pas aussi romantique que l'image que je m'en étais faite autrefois.

Moi, femme d'affaires? Qui l'eut cru? 

2 commentaires:

  1. Le romantisme saupoudré de gestes pratico-pratique ! Mais tu as raison, cet angle est rarement mis à jour. Ceux qui ne sont pas dans les 10% en arrachent, car ils ne peuvent se permettre ni comptable, ni agent.

    J'ai sursauté au presque 10% tirent plus de 20,000$. J'estimais un gros maximum, 5%. Tu dois le savoir mieux que moi. Mais si vous êtes une quarantaine et que la quarantaine représente à peu près 10%, il y aurait 400 écrivains au Québec ? Petit nombre. Tu dois parler des auteurs inscrits à l'Union des écrivains et écrivaines du Québec, j'imagine.

    Quoiqu'il en soit, quand je parle de la réalité de gagner sa vie en tant qu'écrivain au Québec, je te nomme toujours :-)

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  2. @Venise : Je crois que la quarantaine d'écrivains, c'est le 2% qui gagne plus de 60 000$.

    Et heureusement quand, comme moi, on ne gagne pas encore assez avec sa plume pour en vivre ou pour se permettre les services d'un comptable, on ne gagne pas non plus assez pour devoir percevoir les taxes, ce qui sauve pas mal de paperasse! ;)

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