mardi 2 juillet 2013

Les éteignoirs ou ces profs tueurs de rêves

Éteignoir :  Petit cône que l’on place sur la flamme d’une chandelle, d’une bougie ou d’un cierge pour l’éteindre. [Figuré] [Familier] Ce qui freine l’élan de l’esprit, de la gaieté; rabat-joie. (Antidote et Petit Robert) 

J'ajoute à cette définition officielle ma définition personnelle : professeur qui s'efforce de tuer dans l'œuf les aspirations de ses étudiants.

C'est une chronique de mon hebdomadaire local qui m'a donné l'idée d'écrire ce billet. Pour comprendre mon indignation, je pense qu'il est important pour vous d'aller lire la chronique en question. C'est pas long, de toute façon. Enchantée, moi c'est Hani. Ben oui, avec un H

Bon. J'ai été enseignante. Je connais le pouvoir du prof sur ses élèves. Il peut encourager et décourager, faire aimer et faire détester. Il a le pouvoir de donner de la confiance en soi et de la miner. Malgré tout ce qu'il dit, le prof ne fait que transmettre sa vision du monde. Et si sa vision du monde va à l'encontre des rêves de ses élèves, il ne lui viendrait même pas à l'idée de questionner sur ce qu'il sait, ce qu'il croit, ce qu'il pense. Le plus facile, c'est de détruire le rêve importun. Pour le bien de l'élève, évidemment.

J'ai eu, il y a longtemps, un élève passionné du Japon. Il avait 12 ans quand il est arrivé dans ma classe. Je lui ai enseigné deux ou trois ans, je ne me souviens plus très bien. Il pratiquait toute sorte d'arts martiaux, tripait manga, et à l'Halloween de sa cinquième secondaire, il est venu dans ma classe de première secondaire déguisé en ninja pour distraire mes élèves. Il disait qu'il voulait partir au Japon dès qu'il aurait 18 ans. 

Aujourd'hui, il en a 28. Il vit au Japon depuis sept ans. Il a épousé une Japonaise. Il fait des films, tourne des vidéoclips, écrit des scénarios. Et dernièrement, il a rencontré Quentin Tarantino dans un party. Pas de farce! Ce gars-là s'appelle Alex. Sa vie n'est probablement pas parfaite, mais il l'assume et je l'admire. C'est un ancien élève devenu mon idole parce qu'il a fait preuve de courage en continuant à rêver passé le secondaire. Et il en fallait du courage pour réaliser ses rêves avant 60 ans. Ça aurait sans doute été plus facile de se dire : « Quand je prendrai ma retraite, j'irai visiter Tokyo. En attendant, il faut que je gagne ma vie. »

Il y a certainement eu des éteignoirs dans la vie d'Alex. Je ne pense pas avoir été un de ceux-là. En tout cas, j'espère que non. Et j'ose croire que s'il s'est rendu là où il est, c'était parce que sa volonté était plus forte que tous ce qu'on pouvait lui dire de faire et de ne pas faire. Plus forte que le désir de se conformer à la réalité dans laquelle vivent 90 % de nos concitoyens.

Je comprends le prof qui veut ouvrir les yeux à ses élèves. Il regarde sa propre vie, repense à ses propres rêves et se dit : « Les pauvres petits, je vais leur épargner de telles désillusions. » Je suppose que je suis hors norme, mais j'ose croire que chaque personne doit vivre ses propres désillusions. Elles font partie de la vie, et les lui épargner, c'est l'empêcher de croître. Si renoncer à ses rêves avant même d'avoir essayé de les réaliser me semble d'une paresse incroyable, s'efforcer de convaincre quelqu'un d'y renoncer relève, à mon sens, d'une prétention ridicule, voire de la jalousie.

Elle n'est pas facile, la vie d'artiste. Je ne suis pas la première à le dire et j'ai déjà écrit sur ce blogue ce que je pense de l'importance de ne pas avoir de dettes si on veut gagner sa vie avec sa plume. J'ai écrit aussi sur l'importance aussi de mettre toutes ses énergies dans la poursuite de son rêve. Et c'est vrai qu'on ne peut pas avoir le beurre, l'argent du beurre et le cul de la fermière par-dessus le marché. Un écrivain à temps plein n'a pas de sécurité d'emploi, pas d'assurance chômage, pas d'assurance invalidité, pas de vacances payées, pas de fonds de pension autre que celui qu'il va réussir à se créer au fil des ans s'il est chanceux et organisé. Mais s'il aime ce qu'il fait, il ne verra pas ces choses comme des contraintes ni comme des sacrifices.

Nous n'avons qu'une seule vie. Aussi bien en faire quelque chose à notre image. Et si nos rêves vont dans le sens contraire de ce que prêche un professeur d'université, il importe de se dire : « Lui n'a peut-être pas réussi, mais ça ne veut pas dire que moi, je ne réussirai pas. » L'université est un lieu d'apprentissage. Ce n'est pas la vraie vie. La vraie vie, c'est quand on met nos tripes sur le tapis pour montrer au monde ce dont on est capable. Comme le fait Alex, à la sueur de son front, malgré les hauts et les bas, et avec cœur.

p.s. La Sorcière de ce blogue a aussi goûté à cette médecine universitaire. Deux profs s'étaient vantés de pouvoir lui prédire son avenir: Selon eux, jamais elle ne deviendrait écrivaine. Je vous laisse juger de leur talent de devin. 
  • Sa série Filles de Lune s'est vendue à 150 000 exemplaires.
  • Elle est distribuée partout dans la francophonie.
  • Le premier tome été adapté au théâtre. 
  • Les droits des cinq tomes de la série ont été cédés aux éditions Pocket pour publication dans deux collections simultanément. Ce qui fait dix livres publiés chez Pocket.  DIX!!!!!

So much pour les diseurs de bonne aventure universitaires! Pour ma part, je remercie l'orienteur qui m'a guidée vers l'enseignement du français plutôt que la littérature, la rédaction ou la création littéraire. J'ai la nette impression de l'avoir échappé belle.

16 commentaires:

  1. Très beau message, Mylène ou devrais-je dire... chère doyenne !

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  2. J'ai enseigné huit ans. Et pas que le français. Il faut dire que c'était au secondaire. Quand même, je sais aussi pour avoir été élève (comme tout le monde)l'influence que certaines professeurs peuvent avoir sur un jeune. J'espère que j'ai surtout éveillé la curiosité chez les élèves.
    Le prof aurait dû parler plus de cuisine que de cancers, franchement!
    Ou parler tout à fait objectivement, comme le font de bons animateurs d'ateliers d'écriture, du monde de l'édition, donner une liste des éditeurs, leur spécialité. Inviter un écrivain qui "vit de sa plume". Laisser les étudiants s'aventurer sur la voie qui les attire. Leur donner des outils et non des motivations ou pire, les démotiver.
    Bref, bien d'accord avec toi.

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  3. Moi j'ai fait littérature et on ne m'a jamais demandé si je voulais écrire. On étudiait les grands classiques, ceux qui écrivent de vraies choses. Et je dois avouer que ça m'a donné un complexe: je ne pourrais jamais faire quelque chose comme cela.

    Eh bien, comme Hani, j'ai fini par sortir de cette ambiance pour écrire des choses pour moi, au lieu de les écrire "pour impressionner les autres". Et tiens, ça plait aussi aussi aux autres...

    Je retiens davantage les profs qui m'ont inspirés que ceux qui m'ont découragés. Il faut aussi faire confiance à l'enfant et à sa volonté.

    Et en tant que prof, on peut être réaliste et encourageant en même temps.

    Quand je fais mes conférences sur le Japon (parce que moi aussi, je suis une passionnée!), j'essaie toujours de faire ressortir ce côté-là: j'étais unilingue jusqu'à 20 ans. Pis là, ben, je parle pas pire japonais, alors c'est possible pour tous, si l'on s'en donne la peine. :)

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  4. Je pense que c'est le propre de notre bonne société québécoise judéo-chrétienne de toujours vouloir frapper sur le clou qui dépasse - on ne veut pas que les autres soient différents de nous, qu'ils accomplissent des choses que nous-mêmes on n'a pas eu le courage de tenter. Il faudrait que tout le monde fitte dans le même moule, celui de la moyenne, de la normalité, de la routine du 9 à 5, du "comme tout le monde". Mais si on veut voler avec les aigles, il faut commencer par quitter la basse-cour.

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    1. «...c'est le propre de notre bonne société québécoise judéo-chrétienne de toujours vouloir frapper sur le clou qui dépasse...» Excellente image pour décrire la réalité, et c'est à pleurer.

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  5. Je me demande combien de carrières les profs de littérature brisent chaque année... De mon côté, ce sont mes profs du cégep qui m'avaient découragée. Il m'a fallu le temps de mon bac et de ma maîtrise en histoire avant d'oser recommencer à espérer.

    D'un autre côté... C'est peut-être pas mauvais que les profs préviennent les élèves des difficultés qui les attendent. Histoire que ceux qui s'imaginent être écrivain tout en ayant les deux voitures de l'année devant la maison de banlieue, le voyage annuel dans le sud et le REER bien garni puissent choisir une profession mieux appropriée à leurs attentes salariales...

    Faudrait juste tenir le milieu entre les avertissements réalistes et les éteignoirs.

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    1. Bien d'accord. Ce serait vraiment plus honnête. Et plus utile.

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  6. Bon. À titre d'éteignoir en chef, je tiens quand même à clarifier une couple de trucs. La chroniqueuse, je le rappelle, a signé un billet humoristique. Hu-mo-ris-ti-que. Je ne crois pas que le public se serait beaucoup amusé si elle s'était mise à résumer mes exposés sur les rouages de l'institution littéraire, lesquels - je prends soin de le signaler - occupaient pas mal plus d'espace que ce "moment" d'introduction à un cours dont l'objectif consistait, entre autres, à bien faire comprendre aux étudiants les modalités stratégiques et esthétiques qui gouvernent l'univers de la littérature. Me faire porter le chapeau d'éteignoir, c'est délibérément s'empresser de confondre la partie avec le tout et ce, avec un enthousiasme qui me désarçonne. Je suis persuadé, pour ma part, que les étudiants sont sortis de mon cours non pas désillusionnés, mais mieux informés des conditions objectives prévalant dans ce milieu dont on ne viendra pas me dire qu'il est "facile". Pour s'y mouvoir, il n'est pas inutile de le connaître. Nous l'avons disséqué, nous l'avons analysé d'un point de vue sociologique.
    Des écrivains québécois réussissent ? Mais bien sûr ! Tant mieux et bravo ! Cependant, il ne faut pas non plus sombrer dans l'angélisme pour autant - genre : "le talent est toujours récompensé" ou "quand qu'on veut, on peut". L'université n'est pas un cpe ; c'est un lieu de réflexion critique et de débats qui s'articulent à partir d'une documentation fouillée.
    Voulant faire de l'humour, Hani Ferland a simplement caricaturé, grossi une boutade qui occupait 20 secondes dans un cours de 45 heures. Il vous en faut bien peu pour transformer un parfait inconnu en briseur de carrière.

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    1. @Anonyme : On se doutait bien que vous ne passiez pas 45 heures à marteler vos étudiants! ;) Je crois qu'on avait tous compris qu'Hani donnait un exemple amplifié. C'est juste que c'est fragile un ti-coeur-d'artiste-encore-à-l'école! On s'est tous fait bousculer et je pense qu'on voit bien ici que ça nous a fait mal, même si on s'est obstiné malgré tous les avertissement (ou à cause de...) ;)

      Personnellement, j'ai réellement eu un prof qui commençait systématiquement CHAQUE cours avec un laïus sur le fait que nous étions des incultes qui n'iraient nulle part et qui nous écrivaient des commentaires du genre "j'espère que vous n'aspirez pas à être auteur" sur nos examens. Lui, il mérite vraiment le titre de briseur de carrière. Je ne le nommerais pas nulle part, de peur qu'il se sente flatté!!!

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    2. @ Anonyme :Comme Gen - et comme il est mentionné en ps de ce billet-, j'ai goûté aux commentaires peu flatteurs et aux remarques désobligeantes de la part de quelques professeurs - tous écrivains eux-mêmes, soit dit en passant - et je peux vous garantir qu'il n'y avait pas d'humour dans le ton, ni la volonté de simplement donner un aperçu réaliste de la situation des écrivains au Québec. Vous n'êtes peut-être pas un éteignoir, mais certains n'éprouvent aucune gêne à l'être et en retire même de la fierté.

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    3. Pour ma part, je n'ai jamais traité mes étudiants d'incultes parce que je n'ai jamais cru qu'ils l'étaient. Pour moi, la culture n'est pas un résultat, c'est une recherche, c'est un "aller-vers" ce qu'on ne connaît pas déjà. Bien des étudiants ont des expériences de lecture qui leur sont propres et je ne pense pas non plus m'être présenté à eux comme le type dont les connaissances étaient supérieures aux leurs. Que des profs aient eu le mauvais goût de ridiculiser des étudiants en abusant de leur pouvoir est une chose. Me faire porter le chapeau générique de "professeur qui tue dans l'œuf les aspirations de ses étudiants" en est une autre. Voilà ce contre quoi je m'insurgeais.

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    4. J'avais pensé en lisant la chronique d'Hani que si elle vous avait nommé, c'est qu'elle savait que vous ne vous sentiriez pas attaqué...

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  7. Cher Anonyme,
    Je voudrais commencer par rappeler que le titre de ce billet est au pluriel et signaler que ce billet mentionne plusieurs cas. J'ai pris la peine de préciser, au début du texte, que c'est «une chronique de mon hebdomadaire local qui m'a donné l'idée d'écrire ce billet. » Je ne répondais donc pas à la chronique, je partageais mon ras-le-bol des éteignoirs.

    Ce blogue est principalement consacré à l'écriture. Et qui aspire à devenir écrivain rencontrera sur son chemin au moins un éteignoir. Je déplore, exemples à l'appui, que ça se produise surtout dans les cours de littérature à l'université (et je suis bien triste d'apprendre que ça se produit aussi au cégep). Vous avez raison, l'université n'est pas un cpe, mais les profs qui y enseignent ne détiennent pas non plus le savoir universel. Leur champ de compétence se limite à leurs connaissances de la vie et de leur domaine. Or, le monde de la littérature est bien plus vaste que ce qu'ils enseignent. Il me semble qu'il serait sage de leur part de se garder une petite gêne.

    Je vous suggère de relire le billet à tête reposée. Vous pourrez mieux en apprécier les nuances. Vous verrez que je ne vous ai pas proclamé éteignoir en chef, vous l'avez fait vous-même.

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    1. "Pour comprendre mon indignation, il suffit de relire le billet en question"... Tête reposée ou pas, j'interprète que la source ayant éveillé votre indignation parlait d'abord d'un prof appelé François Landry, que la suite de l'argumentaire a tendance à traiter ainsi que la représentation-type et coooombien répandue d'un MODÈLE autoritaire, nuisible et castrateur que vous n'avez de cesse de pourfendre en réglant vos comptes. Je répète que l'amalgame gratuit que vous faites entre le légitime objet de vos doléances et la personne (moi) dont les propos ont été rapportés de façon sciemment loufoque méritait d'être relevé par le principal intéressé. Je n'ai aucune intention de jouer passivement les boucs-émissaires ou les faire-valoir dans votre croisade. Ceci dit à tête reposée. Bonne chance dans vos projets.

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  8. Il y a aussi des "allumeuses", comme Louise Gérin-Duffy qui dirigeait des ateliers d'écriture au collégial. J'en ai suivi deux, suis tombé en amour avec la nouvelle, suis devenu journaliste puis auteur à temps très partiel. Mais je travaille en communications depuis maintenant 24 ans, toujours avec les mots et c'est parti de là. Simplement.

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  9. Le parallèle est aussi possible au niveau du lecteur. Tout au long de son parcours scolaire, l'enfant/ado se fait imposer des livres à grands coups de "c'est bon pour votre connaissance générale", tuant par le fait même l'envie souvent fragile de lire. La lecture devient alors un fardeau, une tâche scolaire à accomplir que l'enfant est loin de vouloir reproduire dans ses temps libres.

    Pour ma part, j'ai eu la chance, très jeune, d'avoir une enseignante qui était amie avec Chrystine Brouillet. Lors d'une pige au sort pour récompenser nos efforts, j'ai gagné un signet d'un de ses romans jeunesses. Il n'en a pas fallu davantage pour piqué ma curiosité, et je me suis empressée d'aller l'emprunter à la bibliothèque municipale. Depuis, je lis avec une passion grandissante! :)

    L'écrivain en herbe peut facilement être découragé par des commentaires "éteignoirs", mais pour connaître le plaisir d'écrire, il faut d'abord connaître celui de lire!

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