jeudi 17 octobre 2013

La Directive première de Star Trek

J'avais des scrupules en écrivant ce billet cette semaine parce que je n'y parle pas d'écriture. J'y parle du Monde dans lequel on vit. Puis je me suis dit que si la littérature est une tentative pour traduire notre vision du Monde, parler du Monde lui-même, au fond, revient à parler de la source de l'écriture. Alors voici la question que je me pose ces jours-ci au sujet de la source.

Je l'ai déjà dit sur cette page, je crois, je suis une fille de Star Wars. Ce que je n'ai pas dit encore, cependant, c'est que je suis également une fille de Star Trek. Mais n'importe quel Star Trek. Je suis une descendante en ligne directe de Deep Space 9, avec ses tensions politiques dignes de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ses problèmes raciaux, ses maquisards sortis tout droit du sud de la France et l'interférence du religieux dans le politique. Ces questions, donc, me taraudent depuis ma jeune vingtaine parce que j'ai vécu avec le capitaine Sisko les dilemmes éthiques imposés par la Directrive première, que tous les fans connaissent sous le nom de Prime Directive.

Les explications qui suivent viennent de Wikipédia. 

La Directive première (Prime Directive) de Star Trek stipule que la Fédération des planètes unies n'est pas censée intervenir dans le développement des autres espèces de l'Univers tant que celles-ci ne sont pas parvenues par leurs propres moyens à voyager plus vite que la lumière. Et même alors, la Fédération n'interviendra qu'à la demande expresse des peuples concernés. (Remplacez Fédération par Occident et changez voyager plus vite que la lumière par égalité homme-femme et vous verrez tout de suite qu'on ne parle plus de science-fiction.)

La Directive première est une « directive » dans le sens où elle indique une « direction » générale, mais son application doit se faire au cas par cas. Ainsi, de nombreux épisodes de la série tournent autour des problèmes d'application de la Directive première ou des conséquences de son non-respect (comme la contamination culturelle, par exemple). Ainsi, faut-il empêcher une catastrophe naturelle d'anéantir une espèce entière? Faut-il fournir à un peuple le vaccin qui le sauverait alors qu'une autre espèce émergente vit sur la même planète? Et comment réagir lorsque la Fédération est impliquée malgré elle? Doit-elle rester neutre, prendre parti ou tenter de maintenir l'équilibre des forces?

En inventant une telle directive, le créateur de Star Trek, Gene Roddenberry, plongeait directement dans le cœur du problème humain. Il abordait ainsi le fameux dilemme qui existe entre ce qu'on juge bon pour une personne et ce que la personne juge bon pour elle-même. C'est aussi le dilemme des parents qui veulent ce qu'il y a de mieux pour leurs enfants, qui désirent pour eux la meilleure carrière et qui oublie de prendre en compte les désirs des enfants sous prétexte que ceux-ci ne savent pas encore ce qui est bon pour eux.

 Pourquoi je vous parle de ça? Parce que, comme le capitaine Sisko, j'en arrache en ce moment avec les différentes prises de position dans le dossier de la charte québécoise de la laïcité. Est-ce que l'État agit d'une manière juste et équitable ou bien intervient-il là où ça ne le regarde pas? Certains jours, j'ai l'impression que notre passé conflictuel avec la religion catholique teinte d'amertume les décisions politiques que nous prenons aujourd'hui. Comme dans le tollé qui a suivi l'histoire de l'interdiction du turban aux jeunes sikhs par la Fédération de soccer du Québec. Qu'est-ce qui était le plus dangereux? Le turban ou les longs cheveux qui descendent jusqu'aux fesses? On ne s'est pas posé longtemps la question. C'est religieux, on n'en veut pas. Point!!! Rendus là, exigeons donc de tous les enfants qu'ils se coupent les cheveux s'ils veulent jouer au soccer! (Je suis cynique, ici, j'espère que vous l'avez compris.)

Ne nous y trompons pas! On peut se fendre en quatre pour essayer de sortir le religieux de la sphère publique, mais on ne peut pas sortir le spirituel de l'être humain. Si c'était le cas, les pays communistes seraient venus à bout de la religion. Or, n'est-ce pas justement la Russie qui vient de passer une loi anti-gay avec l'aide des prêtres orthodoxes? Si soixante-quatre ans de communisme n'a pas tué Dieu en URSS, qui sommes-nous pour penser en venir à bout?

Comprenez-moi bien, je suis pour l'égalité homme-femme (ÉVIDEMMENT! Je suis féministe jusqu'au bout des ongles!). Mais je suis aussi pour la liberté de culte parce qu'il s'agit d'une valeur importante en démocratie. Dans le monde imaginé par Gene Roddenberry, le major Kira Nerys porte, en plus de l'uniforme de la Fédération, un D'ja pagh, sorte de boucle d'oreille, signe ostentatoire s'il y en a un. Elle le porte comme de tout temps les sikhs ont porté le turban à la GRC. C'est chic, c'est propre, c'est modeste. Et si l'uniforme met l'accent sur ce qui l'unit au groupe, son D'ja pagh montre ce en quoi elle croit. Point à la ligne. Nous sommes tous des êtres humains et nous sommes tous égaux. Nous n'avons pas besoin, par-dessus le marché, d'être tous pareils!

Or, si je refuse que l'État m'impose une façon de penser et une manière de me vêtir, donc si je ne veux pas vivre dans un monde qui ressemblerait à celui de 1984 de George Orwell, je ne veux pas non plus laisser à elles-mêmes des femmes qu'on opprime chez nous. Le fait qu'on les opprime ailleurs m'horripile tout autant, n'ayez crainte, sauf que je suis comme Sisko qui ronge son frein en réalisant son peu d'influence au-delà de la station Deep-Space 9. La Directive première, toujours la Directive première. Il s'agit, dans notre Univers, de respecter la démocratie. Et l'histoire nous a montré, avec les guerres en Irak et en Afghanistan, qu'on ne peut pas imposer la démocratie, pas même par les armes.


Tout ça pour dire que je ne comprends pas comment on peut être 100% d'un bord ou 100% de l'autre dans cette histoire de charte québécoise de la laïcité. Parce que moi, certains matins, je vois des arguments pour. D'autres matins, des arguments contre. Et je me dis que si on ne peut pas forcer des femmes à assumer des responsabilités qui les dépassent, on ne peut pas non plus les laisser à leur sort si elles sont soumises contre leur gré à un patriarcat archaïque sur notre sol.

Il me semble donc que si ce qui nous fait grimper sur nos grands chevaux, ce sont les signes qui traduisent la soumission de la femme à l'homme, c'est sur ce point et ce point uniquement qu'on devrait légiférer. Et il faudra faire très attention, en légiférant, de ne pas imposer aux autres notre laïcité (voire notre allergie au religieux et notre athéisme d'état) comme autrefois on nous a imposé la religion catholique. Sans quoi, nous ne ferons pas du Québec un monde meilleur, nous en ferons une dictature de la majorité. Et comme chacun le sait, s'il avait fallu s'en tenir l'opinion de la majorité, jamais les femmes n'auraient eu le droit de voter.



13 commentaires:

  1. Légiférer contre les signes de la soumission de la femme à l'homme? Ok, mais faudra pas oublier d'interdire les robes de mariées blanches (symbole de la virginité conservée pour l'époux) et sans doute un millier d'autres petits symboles dont on a oublié la signification, mais qui font partie de notre culture et de notre esthétisme.

    Je crois qu'on ne peut pas interdire le voile islamique. On peut cependant le baliser : voile, ok, mais qui laisse voir le visage. Pour les plus extrémistes, ce sera déjà une adaptation, mais une adaptation douce. Pour les moins convaincus, le voile deviendra moins automatique au fur et à mesure des générations.

    Les Québécois font les fanfarons parce qu'ils ont, plus ou moins, sorti l'Église de leur quotidien, mais ils oublient que ça leur a pris une couple de siècles. On peut ptêt laisser les croyants qui viennent s'installer ici se détacher tranquillement de leur religion eux aussi? En mettant des balises aux accommodements consentis, on leur montrera qu'ils ont le droit de conserver une partie de leur culture. On les fera se sentir accueillis, acceptés. Et ils auront le goût de s'assimiler.

    En effet, je ne pense pas qu'on peut 100% ou 100% contre la Charte. Personnellement, je suis 100% contre... dans son état actuel. Mais baliser les accommodements, obliger que le visage soit découvert dans certaines circonstances, ça je pense que c'est un compromis souhaitable entre la laïcité des uns et la religion des autres.

    Ceci dit... Je sais pas si c'est parce qu'on est des écrivains, mais je partage tout à fait ton idée à l'effet que le monde serait plate si on était tous pareils. Sans la religion et les mythes, nos histoires de fantastiques seraient plate en tabarouette! :p

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    1. Chère Gen,

      Je pense que la loi ne viserait que les employées de l'État dans leurs fonctions. On n'a donc pas besoin d'interdire la robe blanche à celle qui veut la porter.

      Si tu as le goût de lire un texte avec des arguments solides, je te suggère ce papier de Julie Latour, avocate. J'avoue que quand j'ai eu fini de le lire, je comprenais mieux sa position, à défaut de voir plus clair dans l'ensemble de la situation.

      http://sisyphe.org/spip.php?article4507#.UmB4THtbxfY.facebook

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    2. Je pensais que dans ton billet tu espérais une éradication complète des symboles de soumission (ce que j'entends fréquemment ces temps-ci), de là mon anecdote des robes blanches. ;)

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    3. Je viens de lire l'article, c'est effectivement intéressant, mais je trouve l'article de Boisvert (que tu cites plus loin) plus informé, au sens où il souligne bien que les droits existent déjà et que la préservation de l'égalité homme-femme est déjà une préoccupation. (Et que selon les droits en vigueur, interdire les signes religieux serait illégal).

      La Charte, si elle est mise en vigueur, devrait simplement aider les institutions et employeurs à tracer la limite entre ce qui est acceptable comme accommodement et ce qui ne l'est pas. Parce que c'est là que le bât blesse souvent.

      Par exemple, je connais des gens qui ont obtenu des jours de vacances supplémentaires pour leurs fêtes religieuses, alors que le gros bon sens aurait été de simplement leur accorder priorité s'ils veulent prendre leurs journées de vacances ces jours-là. Cela crée deux classes d'employés : les croyants et les autres. C'est ça qu'il faut éviter.

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    4. Comment ne pas être d'accord avec toi?

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  2. Tu poses de bonnes questions et je me pose les mêmes. Ce matin, la chronique de Josée Legault apportait aussi de très bons éléments à ma réflexion. Merci.

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    1. À force de réflexion, nous arrivons peut-être un jour à voir clair là-dedans.

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  3. Je ne partage pas votre opinion, la raison première étant que les musulmans ne font aucun accommodement et pourtant, ils semblaient heureux de venir vivre ici, alors il faut faire des concessions . La jeune fille, dont j' ai oublié le nom, qui a passé à Tout le monde en parle était maquillée et portait un voile coloré. Pour ma part, celles que je croise sur la rue, sont habillées en noir de la tête au pied et sans maquillage , même si la température est de 25 degrés et son conjoint , lui, est en chemise à manches courtes et en sandales.
    Je partage l' opinion des Janettes.

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    1. Je ne comprends pas votre commentaire. Vous dites que vous n'êtes pas d'accord avec mon opinion, mais vous dîtes la même chose que moi tout de suite après. Je pense que je suis arrivée à la conclusion que je trouve raisonnable qu'on interdise le port du voile aux employées de l'État dans leurs fonctions parce qu'elles représentent l'État que leur voile traduit une subordination de la femme à l'homme. Voici un texte qui abonde dans ce sens, publié hier matin par Julie Latour, avocate. http://sisyphe.org/spip.php?article4507#.UmB4THtbxfY.facebook

      Je pense cependant qu'on ne peut pas interdire tous les signes religieux sous prétexte qu'ils sont religieux.

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  4. Même quand je pense que je viens de me faire une idée, le moindre argument bien appuyé peut venir tout chambouler.

    Voici un texte d'Yves Boivert qui me trouble parce qu'il me montre à quel point, malgré toute la bonne volonté dont je fais preuve pour m'instruire, je nage encore en plein brouillard.

    http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/yves-boisvert/201310/18/01-4700952-la-charte-des-valeurs-dans-le-tordeur.php

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  5. Je crois aussi que le point épineux relève de l'égalité homme-femme. On aimerait dire à ces femmes qu'elles n'ont pas besoin, ici, au Québec, de porter le voile pour travailler ou être respectées, mais on ne pourra jamais les obliger à le croire. En ce qui me concerne, s'il s'agit réellement d'un choix personnel de croyance religieuse, ça ne me cause aucun problème. Si on porte le voile par soumission, là oui, je m'offusque. Mais comment faire la différence?

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    1. C'est exactement ça le problème, je trouve.

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    2. En effet, le problème est là : comment départager la croyance libre de la soumission? Voile ou pas, je crois qu'on ne peut pas l'imposer.

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