lundi 28 octobre 2013

L'accès au livre en dehors des grands centres

Le meilleur remède contre l'ignorance
J'habite un quartier populaire. Le prix moyen des maisons tourne autour 130 000 $, mais juste depuis cinq ou six ans. Avant ça, c'est bien moins cher. Le salaire annuel des ménages doit avoisiner la moitié du prix des maisons.

Dans mon quartier, il y a deux Tim Hortons, un McDo (le plus grand au Canada, il paraît), un Burger King, un PFK. On a aussi plusieurs brasseries et des bars de quartier où les clients arrivent ben de bonne heure. On compte une pharmacie à tous les coins de rue, un peu moins d'épiceries, mais pas de Maxi-et-Compagnie. Ni de Costco. Mais on a un Walmart, un comptoir familial et ben des friperies.

On n'a pas de librairie. Pas même de librairie d'occasion, sauf le Club Rotary. Oh, on en avait bien une autre dans le temps! Mais il faut en vendre des livres à 2 ou 3$ pour payer un loyer, même dans un quartier comme le mien! Quand la vente par Internet est devenue populaire, la p'tite librairie, au coin de la 8e , a fermé ses portes. À la place, on vend du linge de travailleurs, maintenant. Et des bottes à caps d'acier.

Dans mon quartier, les enfants jouent dans le parc. Ils n'ont pas de iPatentes. Les plus jeunes se poussent à qui mieux mieux dans les balançoires. Les plus vieux se défient entre deux paniers de basket. L'hiver, tout le monde va patiner en arrière de l'école Laporte. Ou bien jouer au hockey.

Dans mon quartier, on a des trottoirs dans toutes les rues parce que bien des gens sont à pied. On a des lumières pour piétons qui fonctionnent à la demande. Et on a ben des autobus.

On appelle les quartiers comme le mien des milieux défavorisés.

Ici, quand l'envie nous prend d'acheter un livre, on ne pense pas trente secondes à descendre au centre-ville à la librairie Pauline. On sait bien quel genre de livres on va trouver là. On se dit qu'on pourrait à la limite prendre un autobus pour traverser la ville et se rendre chez GGC. On en profiterait pour acheter un peu de papeterie parce que ça non plus, on n'en a pas dans notre quartier. Faut se contenter de ce qu'on trouve en pharmacie.

Vous imaginez qu'avec des conditions comme celles-là, on ne lit pas beaucoup dans mon quartier. C'est qu'en partant, mes voisins ne sont pas de grands lecteurs. Ils passent au travers du Journal de Montréal ou de La Tribune en mangeant au comptoir à la pizzeria Demers. À la limite, ils feuillettent des revues chez la coiffeuse. Mais quand ils montent au centre d'achat des Quatre-Saisons, sur la 13e Avenue, il leur arrive de s'acheter un livre chez Walmart. Des fois, c'est le guide de l'auto. D'autres fois, un livre de recettes. Pis si le dernier Marie Laberge est là, je les ai déjà vus le mettre dans le panier avec le sac de plastique qui contient des bobettes pliées en quatre. Ils aiment bien Janette Bertand aussi. Pis Francine Ruel. Pis Pauline Gill et Sonia Marmen pis les autres aussi, qui écrivent des histoires qui les font rêver et qu'ils comprennent à la première lecture. Parce que leur ado leur a déjà parlé de Patrick Senécal, ça leur arrive de ramasser un de ses romans quand il y en a. Et s'ils mettent la main sur un Bryan Pero ou un India Desjardins, ils sont tout contents. Parce qu'ils aiment bien voir lire leurs enfants. Chose certaine, mes voisins qui lisent font toujours bien attention à ne pas dépasser leur budget. C'est un livre à la fois qu'ils achètent, parfois deux, les jours fastes. Mais jamais plus.

Il y a aussi mes autres voisins, ceux qui ne lisent pas. Ceux-là, ils n'achètent pas de livre évidemment. Mais c'est pas par goût. C'est souvent juste parce qu'ils ne savent pas ou qu'ils auraient trop de misère pour comprendre ce qu'ils liraient s'ils lisaient. Paraît qu'ils forment 49% de la population. On appelle les meilleurs d'entre eux des analphabètes fonctionnels. Avec un système d'éducation comme le nôtre, ils ne devraient même pas exister. Ils existent pourtant bel et bien. Et je les croise tous les jours dans la rue.

Ma parenté, elle, vit un peu plus haut. Mes oncles, mes tantes, mes cousins et cousines ont presque tous une auto. Alors plusieurs d'entre eux vont chez Costco faire leur épicerie. Ils ont les mêmes goûts que mes voisins qui lisent, mais ils connaissent plus d'auteurs et ont un peu plus de moyens. Ils passent beaucoup de temps dans les deux rangées de livres, entre les vêtements pour hommes et le matériel saisonnier. Acheter des livres, pour eux, ça se fait avec les autres commissions. Sauf dans le temps des fêtes où là, ils font une virée spéciale chez GGC ou au Renaud-Bray du Carrefour ou au Archambault. Pour faire des cadeaux. Mais en dehors des fêtes, les membres de ma famille achètent des livres en même temps que les autres petites choses dont on a besoin au quotidien.

Dans ma famille, on aime bien Québec Loisirs aussi et on se met tranquillement au livre électronique. S'acheter le dernier roman de Michel David en trente secondes sur Internet, c'est comme plonger la main dans une boîte de chocolats. Et même si on achète aussi le dernier Katherine Pancol, le dernier Diana Gabaldon, le dernier Marc Lévy ou le dernier Guillaume Musso, on est bien fiers de dire qu'on lit majoritairement du québécois. Parce que c'est vrai. Et parce qu'on sait qu'en achetant les livres d'Anne Robillard, de Suzanne Aubry, de Micheline Lachance et de tous ces autres qu'on rencontre au Salon du livre, on fait vivre les écrivains de chez nous.

Le problème avec l'idée du livre à prix unique, c'est que ce sont aux gens comme mes voisins et comme les membres de ma famille à qui on demanderait de payer plus cher pour leurs livres. Et pourquoi? Pour que poignée de clients des librairies, séduits par les prix de Costco, n'hésitent plus à acheter leurs livres dans ladite librairie quand ils sont sur place.   

C'est vrai qu'ils existent, ces gens qui fréquentent les librairies et qui, trouvant les livres trop chers et sachant qu'ils ont aussi des courses à faire chez Costco, vont reporter l'achat du livre qu'ils auraient peut-être achetés si le livre avait été partout au même prix ou à peu près. Mais il s'agit d'une fraction de tous les gens qui achètent en grandes surfaces! Une fraction minuscule. Et il est bien difficile d'imaginer qu'un changement d'habitude chez cette fraction minuscule pourrait sauver les librairies indépendantes. Qu'est-ce qu'on fait des autres? De ceux qui ne vont jamais dans les librairies? De ceux qui n'en ont pas près de chez eux? Tant pis! Ils paieront tous plus cher. Et achèteront moins, faute de budget. 

Une chose est certaine dans tout ça: sous la loi du livre à prix unique, si les grandes surfaces comme Costco et Walmart continuent de vendre des livres, elles feront davantage de profit sur chaque livre vendu. Un profit supplémentaire qui sera fait sur le dos de mes voisins, de ma parenté et de tous ceux qui leur ressemblent. Et pour chaque livre auquel ces clients renonceront à cause du prix, il y aura des écrivains et des éditeurs qui y perdront.

Il me semble qu'il doit bien y avoir un meilleur moyen de sauver nos librairies. Un VRAI moyen. Pas une chimère.


p.s. Pour ceux qui se posent la question, sachez que la grande majorité des écrivains dont les livres sont vendus dans les grandes surfaces reçoivent les mêmes redevances (i.e. le même montant d'argent) que pour leurs livres vendus en librairie. Ceux qui reçoivent moins se font avoir par leur éditeur. La Sorcière vous explique pourquoi dans un prochain billet.


«Il n'y a pas besoin de brûler des livres pour détruire une culture. Juste de faire en sorte que les gens arrêtent de les lire.» Fahrenheit 451


10 commentaires:

  1. Je comprends fort bien ton propos et je viens de ce genre de coin, et j'habite toujours dans ce genre de coin moi aussi. Mais je reste en désaccord avec toi. Et pas tant pour sauver ce qu'il reste de librairies ou quelques éditeurs; ni tant pour les livres québécois. Je vais rester collée sur ton argumentaire.

    Parce que l'affaire qui m'inquiète le plus, avec le fait de laisser les grandes surfaces décider du prix du rabais sur le livre dès sa sortie, c'est la réaction des éditeurs.

    On l'a vu avec les rabais sur le vin à la SAQ: ça fait augmenter les prix de tous les vins parce que si le producteur a besoin de faire X de profits, il va augmenter tous les prix pour le faire.

    Et c'est pareil pour le prix du livre. Quand l'éditeur de Ricardo sait qu'une bonne partie des livres seront vendus à 25$, il sait aussi qu'il veut faire 3$ sur chaque livre. Alors qu'est-ce qu'il décide? De monter son prix, pour être certain que le rabais accordé ne viendra pas gruger sa marge de profit. Et on se ramasse, de même, avec des livres de recettes à 40$ qui en valent 25$.

    En Angleterre, c'est ce qui se passe: le prix du livre a augmenté plus vite que le coût de la vie!

    On fait quoi avec ça? Mes voisins, et les tiens, ne pourront toujours pas plus s'acheter de livres si le prix augmente plus vite que celui des bobettes.

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    1. Voilà bien le premier argument censé que j'entends en faveur du livre à prix unique. Mais ça n'a absolument rien à voir avec la sauvegarde des librairies, alors que c'est justement l'argument utilisé pour justifier une telle loi.

      Il faudra que je m'informe sur la réalité anglaise que tu me décris ici. Je n'en suis pas certaine, mais il me semble que ce n'est pas tant la part de l'éditeur qui est grugée quand Costco réduit le prix, que celle du distributeur. Mais je vais vérifier. Ce dont je suis certaine, cependant, c'est que ce n'est pas la part de l'auteur, dans la majorité des cas. La Sorcière va en parler bientôt.

      Je ne pense pas qu'on puisse appliquer ton raisonnement à la SAQ tout simplement parce qu'il s'agit d'un monopole et que les règles du marché ne fonctionnent pas dans un monopole.

      Mais peu importe la raison, il faudra bien accepter que si on augmente artificiellement le prix des livres, on en vendra moins. Je dis artificiellement parce qu'une loi fixant le prix du livre ne respectera aucun des règles du marché. Et ce sont justement les règles du marché qui ont permis une plus grande diffusion des livres au Québec. Et cette large diffusion a amené des ventes qui, elles ont permis l'émergence de plusieurs écrivains vivant de leur plume aujourd'hui.

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    2. En effet, le pourcentage versé à l'auteur ne diminue pas. D'ailleurs, je reçois le même pourcentage quand je vends un livre électronique aussi, même s'il est moins cher.

      Le distributeur ou l'éditeur: quelqu'un tient à faire son argent et ça augmente le prix à la longue! Ça m'inquiète.

      Et si le moyen proposé (un prix à peu près fixe pour 9 mois) pour diminuer l'augmentation du prix des livres est discutable, discutons-en pour un trouver un meilleur, je suis à 100% d'accord là-dessus. Mais ne rien faire n'est pas non plus la solution, j'en ai bien peur.

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    3. Hum... la notion des "lois du marché" me fait tiquer. C'est la plus grande illusion du capitalisme. Du moment où un acteur fixe un pourcentage qu'il veut, peu importe les conditions économiques, ou se calcule une marge de profit fixe, les lois du marché sont contournées.

      Cela dit, tant qu'à moi, le prix unique du livre ne sauvera pas les librairies. Seul un retour massif des gens à la lecture sauvera les librairies. On en est loin.

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    4. Il ne peut pas y avoir un retour massif de gens à la lecture tout simplement parce qu'il n'y a jamais eu d'aller. Les gens n'ont jamais autant lu que maintenant.

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    5. Lol! Ouais, bon point! ;)

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  2. Les ennemis des librairies, en ce moment, ce ne sont pas les grandes surfaces, mais Amazon et ses semblables et, malheureusement aussi, le livre numérique. Ce sont deux méchants gros ennemis et on ne sait trop par quel bout les affronter. Je vais écrire un billet là-dessus à un moment donné...

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  4. À propos des marges de chacun. De façon générale, la vente de livres en grande surface ne modifie pas (comme tu le mentionnais) le revenu de l’auteur ou de l’éditeur. Cela ne modifie pas non plus le revenu du distributeur. C’est essentiellement le détaillant qui rogne sur sa marge pour offrir ce prix de détail réduit.

    Luc

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    1. Wow! Un éditeur qui vient lire notre blogue! On ne rit plus.

      Un immense merci pour cette précision. Fallait que j'aille poser la question chez VLB alors tu m'évites un téléphone.

      On se voit à Montréal!

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