mardi 22 octobre 2013

Littéraire ou populaire, épiphanie au Salon du livre de l'Estrie

Avertissement: Je sais que ce billet est un peu long, mais j'ai voulu faire le tour de la question. Alors, indulge me, comme on dit en anglais, et suivez-moi jusqu'à la fin, s'il vous plaît.

La semaine dernière, une journaliste de Radio-Canada m'a demandé comment j'expliquais le mépris que les écrivains dits littéraires affichent vis-à-vis les écrivains grand public comme moi. Je ne m'attendais pas à cette question alors je lui ai cité Katherine Pancol qui disait que c'était le rêve de tout écrivain que d'être lu et que seule la jalousie pouvait justifier autant de mépris de la part des premiers vis-à-vis les deuxièmes.

Puis, en fin de semaine avait lieu le Salon du livre de l'Estrie. Nous étions 260 auteurs en dédicace. Ça faisait du monde à la messe, comme on disait quand j'étais jeune. Une des tables rondes de samedi portait le titre : Les livres ont-ils tous la même valeur? Il était facile de prévoir la dérape. Je ne participais pas à cette table ronde, mais j'en ai eu des échos. On y avait d'abord manifesté l'animosité habituelle des écrivains grand public envers les universitaires. Heureusement, quelqu'un a eu la bonne idée de modifier l'orientation de la table ronde en demandant s'il y avait un public pour tous les genres de romans. Cette initiative a sauvé la mise et le reste de la table ronde s'est déroulé dans le respect dû à un événement de salon du livre.

Enfin, dimanche s'est produit un autre événement qui m'a fait réfléchir. Il s'agissait au départ d'une conversation entre trois écrivains de l'Estrie, dont moi-même. J'étais en train de nier la rumeur voulant que ce soit Hugues Corriveau qui m'aurait dit à quel point il détestait mon dernier roman (Pour comprendre de quoi il s'agit, prière de lire le billet : Ce qu'il faut d'humilité )

Une auteure de l'extérieur s'est approchée.

— Quoi? a-t-elle demandé. Hugues Corriveau a fait une mauvaise critique de ton dernier livre?

J'ai sorti ma réponse aussi vite que Lucky Luke ses révolvers.

— Voyons donc! Hugues Corriveau ne toucherait pas à mes romans même avec une perche de dix pieds!

Ces mots m'ont surpris moi-même. Et plus tard, ce soir-là, je me suis demandé pourquoi j'avais été aussi prompte à penser que Hugues Corriveau méprisait ce que j'écris. C'est peut-être le cas, je ne le sais pas. Nous nous sommes parlé une seule fois depuis que je vis en Estrie, au 5 à 7 de l'Association des auteures et auteurs de l'Estrie, il y a un mois. Ce soir-là, il m'a avoué ne jamais avoir lu ce que j'écrivais. Je me dis qu'on ne peut mépriser ce qu'on ne connaît pas. À moins qu'on méprise par préjugé. Et là, je n'ai aucune preuve de préjugé. Juste d'indifférence. Et c'est ben correct de même.

Si je vous parle de ça aujourd'hui, c'est qu'après avoir lancé ma phrase assassine, j'ai connu une espèce d'épiphanie. Je me suis demandé pourquoi il existait autant de hargne entre les écrivains dits littéraires (souvent universitaires) et les écrivains grand public. Pour y voir clair, j'ai couché sur papier mes observations de ces dernières années.

Tout d'abord, il faut savoir que même s'il existe depuis longtemps des écrivains au Québec, l'écrivain grand public, lui, est relativement nouveau. Yves Thériault fut peut-être un des premiers. Arlette Cousture, Francine Ouellette et Yves Beauchemin ont suivi. Marie Laberge est venue tout de suite après. Et à partir du début des années 2000, c'est toute une brochette d'écrivains de genre qui sont apparus.

La plume des écrivains grand public rejoint un vaste public qui, il y a vingt ans, lisait des traductions de l'américain ou des importations de France. La plume des écrivains littéraires rejoint surtout leurs pairs en plus d'une certaine élite intellectuelle. Les gens lisent l'un OU l'autre. Certains lisent les deux, mais ils sont rares.

 L'écrivain dit littéraire est un universitaire (la plupart du temps) qui excelle à manier la plume. Son style est travaillé, ses phrases, ciselées. Elles sont en elles-mêmes de petits bijoux. Les livres dits littéraires suivent le courant actuel, une école ou une filiation littéraire avec un professeur.

L'écrivain grand public est un conteur né qui possède une imagination débridée. Il n'a pas nécessairement d'études en lettres ou en création littéraire, mais il est capable de produire une brique de 600 pages par année, des fois plus. Ses histoires fascinent, mais on ne lui reconnaît pas un style élégant, ce qui ne veut pas dire qu'il ne travaille pas son texte. C'est juste que la langue, chez lui, est un outil et non une fin en soi. C'est vrai qu'il est facile à lire, mais comme on dit en anglais, Easy reading is hard writing. Et pour écrire un page turner, il faut travailler fort.

Là s'arrêtent les différences, parce que pour le reste, ces deux types d'écrivains sont pareils. Ils ont un ou plusieurs éditeurs avec lesquels ils s'arrachent parfois les cheveux. Quand ils publient un livre, ils espèrent qu'on va mentionner la chose dans le journal… au moins une fois. Ils s'enflent la tête pendant un temps, convaincus que ce qu'ils font est important, puis redescendent sur Terre au bout de quelques années en réalisant qu'ils n'ont pas inventé l'eau tiède. Ils rêvent en secret du jour où on adaptera leur livre à l'écran et prie pour aimer le résultat. Mais surtout, ils veulent qu'on les aime et que quelqu'un, quelque part, reconnaisse leur talent.

Depuis mon arrivée en Estrie, je milite pour une reconnaissance de l'écrivain grand public. Je milite pour que dans les jurys des différents prix, on n'ait pas que des universitaires. Parce que les universitaires valorisent rarement autre chose que ce qu'on leur a appris à l'école, c'est-à-dire l'écriture dite littéraire. Ils font fi de l'imagination, du souffle, du talent, parfois brut, mais toujours naturel, de ceux qui rejoignent les masses. Trop souvent, la plume moins travaillée, voire parfois malhabile, des écrivains grand public les lasse. Je les comprends. Mais choisir uniquement des universitaires-littéraires comme membres d'un jury signifie qu'on ne valorise qu'un seul type de roman : celui qu'on enseigne à écrire à l'université.   

L'adage qui consiste à dire que si ça se vend, c'est nécessairement mauvais m'horripile. Les gens ne sont pas des imbéciles. Ils recherchent quelque chose dans un livre. Une voix qui les touche, des personnages qui résonnent en eux comme un appel mystique. Nier la valeur des livres qui les rejoignent, c'est comme nier que certains dessins ou tableaux nous touchent plus que d'autres. Il suffit de voir les œuvres des gens comme Sybiline ou Denis Jacques pour réaliser que si on peut tous apprendre à dessiner, certains artistes le font avec une spontanéité et un réalisme si naturel qu'il en est déroutant. Le même phénomène existe en littérature. Il ne s'explique pas, et on ne doit pas en diminuer la valeur à cause de ce qu'en pense telle ou telle école littéraire. Surtout que ces écoles ne s'entendent pas entre elles.

 Je me souviens du jour où une écrivaine littéraire de ma connaissance est tombée sous le charme de Millenium. Toute penaude, mais quand même émue, elle m'a avoué: « C'est pas drôle! Même moi, j'aime ça!» Ça veut tout dire.

Jean Pettigrew, de chez Alire, a trouvé une comparaison très juste pour illustrer les deux groupes d'écrivains qu'on met (ou qui se mettent) trop souvent en opposition. Il compare le style à un marteau. Certains auteurs ont un marteau tout bossé, avec un manche usé. Avec ce marteau, cependant, ils sont capables de bâtir des cathédrales. D'autres écrivains ont un marteau digne d'une œuvre d'art, avec des incrustations de pierres précieuses et de l'or plaqué sur le manche. Un tel marteau, on le ménage et il est bien rare qu'on s'attaque avec lui à une construction d'une grande ampleur. On l'utilise pour des ouvrages délicats, aussi délicats que le marteau lui-même. Le meilleur compromis, selon Pettigrew, c'est d'avoir un marteau pas trop mal et de ne pas avoir peur de s'en servir pour ériger de grands bâtiments.

Le reste n'est que question d'ego. De part et d'autre. Et j'en ai ras le bol de l'ego qui nous empoisonne la vie. Celui des uns comme celui des autres comme le mien. Notre littérature est plus vivante qu'elle ne l'a jamais été. Les Québécois lisent plus de livres québécois que jamais dans l'histoire de notre nation. Il suffit d'aller dans les librairies pour constater les présentoirs qu'on nous réserve (et qui n'existait pas il y a 20 ans). Il suffit de se promener dans un salon du livre pour voir à quel point les visiteurs achètent québécois. Ces ventes sont bonnes pour tout le monde. Un éditeur qui garde un écrivain grand public populaire dans son écurie a les moyens de publier davantage d'auteurs littéraires dont les livres, à petit tirage, ne font pas leurs frais. Tout le monde y gagne.

Alors, s'il vous plaît, enterrons cette hache de guerre née de la jalousie, de l'orgueil, du mépris et de l'ignorance et célébrons la vitalité de notre littérature en toute amitié.

p.s. J'ai confondu deux des tables rondes du SLE. Dans la première version de ce billet, j'ai mentionné celle qui s'appelait Est-ce que tout ce qui s'écrit est bon à lire? En fait, je voulais parler de celle-ci: Les livres ont-ils tous la même valeur? Avouez que ça se ressemble. Je viens de faire la correction dans texte. 

13 commentaires:

  1. Ça me rappelle mes études en littérature. À l'époque, j'avais dans l'idée de faire une maîtrise, justement sur les écrivains "de masse" pour tenter de montrer ce que le public allait chercher dans ses lectures-là. Pour faire ressortir la valeur de ces textes.

    Parce que moi, je venais d'un monde "de masse" et mes lectures de l'époque, principalement des romans historiques ben ben romantiques, m'ont donné toute une culture générale sur l'histoire des rois de France, de la politique européenne lors des révolutions, etc. Ce qui m'a bien servi après. :)

    Peut-être que la culture générale en sadomasochisme qu'on acquiert maintenant (étant donné la mode) servira des couples, qui sait? ;)

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  2. Je pense qu'il y a un élément qui est important et que tu ne mentionnes pas dans ce billet : je crois qu'on ne choisit pas si on sera grand public ou pas.

    Je pense que chacun écrit, du mieux qu'il le peut, selon sa compréhension de ce qu'est un livre, l'histoire qui le touche. Ensuite, cette histoire pogne avec les universitaires ou avec le grand public. Et l'auteur devra s'en accommoder. S'il est franc, il réalisera souvent qu'il pogne avec le public qui le représente le mieux. S'il fait dans le déni, il se demandera pourquoi le grand public (ou les littéraires) ne l'aime pas, mais lui-même ne lira pas beaucoup et n'aimera pas tellement les trucs grands publics (ou littéraires).

    Cela dit, pour les prix littéraires, je mettrais un bémol : je crois qu'il faut réserver certains prix pour les trucs littéraires-universitaires, parce que comme ils ne reçoivent pas beaucoup de publicité, sans les prix même les meilleures œuvres littéraires passeraient inaperçues de leur public d'intellos!

    Par contre, ce serait une bonne idée de créer des prix plus "populaires", histoire d'aider le public à faire le tri. Parce que parmi les édifices bâtis au marteau, y'a les cathédrales et y'a les HLM. Ce serait bien que le tri se fasse via un jury et non au hasard des budgets de pub des éditeurs!

    Personnellement, j'suis une transfuge assumée, qui lit autant du grand public que du littéraire. Pour le moment, par contre, semblerait que mon marteau est pas encore assez usé pour que je me lance dans les cathédrales! ;)

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    1. Je suis d'accord avec tout ce que tu dis, mais en ce qui concerne les prix littéraires, on est mieux de spécifier la chose au départ. Parce que demander aux auteurs en tout genre de soumettre leurs livres en sachant très bien que le prix ira aux seuls livres dits littéraires, c'est abuser de la confiance des gens. C'est surtout profiter de la situation si, en plus, on crie sur les toits que quarante livres étaient en compétition alors qu'il n'y avait que trois romans littéraires dans le lot.

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    2. Alors là, j'suis parfaitement d'accord! Ça économiserait aux deux catégories d'écrivains des frais de poste et des copies de leur œuvre!

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    3. Et l'ego! N'oublie pas de dire que ça économiserait l'ego. Celui d'un groupe comme celui de l'autre.

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  3. Très intéressant ce billet. Pour avoir récemment emprunté le premier "Mémoires d'un quartier" de Louise Tremblay-d'Essiambre... et dévoré toute la série (douze tomes!), je trouve assez dommage le snobisme littéraire auquel s'astreignent de nombreux lecteurs (dont moi, mais je me soigne). Non, ce n'est pas travaillé comme de la dentelle, mais ça se lit très bien, et on ne peut pas en dire autant de tous les livres "universitaires", même les plus encensés ("Le ciel de Bay City" de Mavrikakis a été une des lectures les plus désagréables de ma vie).

    Cela dit, c'est drôle, mais vite comme ça - sans avoir encore lu vos livres, mais c'est sur ma liste, promis - , je vous aurais plutôt classée comme "universitaire", madame la doyenne... Comme quoi des fois les préjugés vont dans les deux sens! ;)

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    1. Hi! Hi! Hi!
      Chère dame, on ne vit pas de sa plume quand on est littéraire. À moins d'écrire aussi pour un journal. Dans mon cas, j'écris juste des romans... assez populaires pour me faire vivre et me permettre d'en écrire d'autres.

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    2. Je ne pense pas qu'on ne vive jamais de sa plume lorsqu'on est littéraire, mais je crois que c'est plus difficile. Ça prend plus de prix, plus de bourses et plus de temps.

      Cela dit, tous les exemples de littéraire qui vivent de leur plume qui me viennent à l'idée sont "hors Québec" (Alice Munroe, Julie Otsuka...).

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  4. Et que dire des ceux qui "osent" (pour toutes sortes de raisons) publier à compte d'auteur! J'ai déjà entendu une "auteure" de masse dire que les livres à compte d'auteurs ne sont pas de "vrais livres" puisqu'ils n'étaient pas publiés dans des maisons d'édition agréées.

    Dans ce genre de littérature comme dans tous les autres, il y a de bonnes et de moins bonnes choses qui se font! L’élément qui me dérange au plus haut point et que tu pointes très bien dans ton texte est le jugement gratuit, le snobisme qui se fait quelquefois (heureusement, ces cas sont rares) d'un palier à l'autre. Là où la solidarité devrait prendre tout son sens! Et que dire des critiques littéraires!

    Être auteur(e) ça ne s'invente pas... ça se vit. Point. Peut-on le vivre dans le respect, simplement?

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  5. Merci Mylène pour ce papier qui remet les pendules à l'heure. Ces trips d'ego sont improductifs et suspects. La diversité devrait nous enchanter au contraire. Le plus difficile, quand on écrit, étant de trouver sa voi/x pour donner ce qu'on a de meilleur et d'incomparable. La réussite est à ce prix.

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  6. Oups, le nom Môman, c'était pour répondre au blogue de ma fille. Ma véritable identité : Lynda Dion.

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