lundi 16 décembre 2013

Ces commerces qui auraient dû crever




Avant de vous parler de livres aujourd'hui, je voudrais d'abord vous présenter Jackie. Comme vous pouvez le voir juste en regardant la photo, Jackie est une artiste. C'est aussi une restauratrice. Je prends un moment pour vous parler de son commerce parce qu'il aurait dû disparaître il y a longtemps.

Le Café the Singing Goat a ouvert ses portes en 2010 à la limite de la partie pauvre du centre-ville et du quartier ouest (aussi pauvre), à Sherbrooke. À l'époque, c'était le seul restaurant végétarien en ville. Il était ouvert presque tous les jours et presque toute la journée. Il offrait une nourriture de grande qualité, mais opérait à perte.

Au fil des mois, la propriétaire a ajusté le tir. Elle a réduit ses heures d'ouverture en fonction de la clientèle. Elle a réduit aussi le nombre de plats au menu. Elle a maintenu la qualité cependant. Les clients savent, quand ils vont au Goat, que tout ce qui pouvait provenir de culture locale provient de culture locale et qu'une grande partie des aliments sont bio (dont le beurre). Jackie a aussi révisé ses prix à la hausse pour pouvoir continuer d'acheter la même qualité de produits sans descendre dans le rouge. Jackie a un charme fou et c'est une créatrice. Elle a donc développé son restaurant à son image. Le menu, écrit sur un tableau noir, comporte quelques fautes et quelques maladresses syntaxiques. Normal, Jackie est anglophone (née ici de parents nés ici).  C'est vrai qu'on paie plus cher pour dîner chez elle que dans bien des restaurants en ville. Et pourtant, les clients sont au rendez-vous. D'ailleurs, ne pensez pas avoir une table à midi si vous arrivez sans réservation. Tentez plutôt votre chance à 13h.


Je vous présente maintenant Sam, du Tassé, café de quartier.

Sam a ouvert ses portes un peu après Jackie, dans l'est de Sherbrooke, un quartier ouvrier où les gens ont l'habitude de fréquenter le Tim Hortons (qui se trouve à un pâté de maisons de là).

Son resto non plus n'aurait pas du survivre parce que Sam sert des assiettes soupe-panini-salade, des pâtisseries, du café et du chocolat chaud. Ses prix sont pas mal plus élevés que chez Tim Hortons. La raison de son succès est simple: Il utilise des produits de première qualité. Tout y est excellent, de la garniture des paninis au chocolat chaud fait avec du vrai chocolat noir en passant par ses grains de café, moulus sur place. Sa tarte aux pacanes et sucre d'érable et ses scones n'ont rien d'un beigne ou d'une brioche bon marché. Et Sam a aussi créé un restaurant à son image.

Le commerce de Sam est ouvert cinq jours semaine. Et il y a toujours du monde. Comme Jackie, Sam anime la place. Les étudiants viennent y faire leurs travaux, les nouvelles mamans s'y rencontrent avec leur bébé, les tricoteuses viennent y tricoter en jasant de tout et de rien. Et il y a même  une diseuse de bonne aventure le mercredi après-midi. Sam connaît ses clients par leur nom et, comme un barman d'expérience, il connaît les habitudes de chacun.

Pourquoi je vous parle de ça sur un blogue lié à l'écriture? Parce que Jackie et Sam opèrent des commerces qui auraient dû crever. En restauration, les investissements de départ sont astronomiques, les risques de se planter sont élevés, les pertes sont énormes et les marges de profits, minimes.

Qu'est-ce qui explique le succès du Café the Singing Goat et celui du Tassé, café de quartier? On y sert de la nourriture de qualité, en lien avec une certaine philosophie, mais en plus, les propriétaires ont fait d'une visite en ces lieux une expérience.

Vous me voyez venir?

Dans son édition d'octobre, la revue Books avait un encadré sur le regain de vitalité chez les libraires américains. Étant donné que la revue est difficile à trouver, je vous copie le passage ici.

« Le déclin accéléré du nombre de librairies indépendantes aux États-Unis s'est interrompu en 2010, année où la tendance a commencé à s'inverser. Le solde net des fermetures et créations est devenu positif : +9 en 2010, +163 en 2011, +77 en 2012. Dans la même veine, le chiffre d'affaires des  enseignes indépendantes a augmenté de 8 % en 2012. L'on voit à présent des magasins accroître la surface de leurs rayonnages, quand ils n'ajoutent pas un étage. Dans certaines villes, on ne trouve plus de succursale de grande chaîne, mais uniquement un libraire indépendant. Et l'on voit de plus en plus de jeunes choisir la profession. Parallèlement, la fermeture de la chaîne Borden a profité à Barnes and Nobles dont l'activité libraire est rentable et qui a annoncé l'ouverture de cinq nouveaux magasins en 2013.

Cette évolution positive traduit plusieurs phénomènes. Il y a le mouvement “buy local” qui concerne également d'autres produits que le livre. Mais, comme l'observe Daniel Raff, professeur de management à la Wharton Business School cité par le New Yorker, de nombreux acheteurs ont compris que le libraire vous aide mieux qu'Internet à découvrir des livres intéressants dont vous n'avez pas entendu parler. Une étude récente du Codex Group a d'ailleurs montré que se rendre dans une librairie reste le moyen habituel de trouver de nouveaux livres. Qui plus est, l'attachement au livre papier reste extrêmement fort, souligne la même étude : 97 % des Américains qui lisent des e-books disent tenir infiniment au papier et 3 % seulement des grands lecteurs utilisent uniquement une liseuse ou une tablette. D'autre part, quel que soit l'âge, les Américains préfèrent le papier à l'écran pour la lecture “sérieuse”. De fait, selon une autre étude, l'écran favorise un survol plus superficiel. Enfin, de nombreuses librairies indépendantes ont su diversifier leurs activités, en ouvrant un café, voire un restaurant, et vendent d'autres produits. Certains se sont mis à vendre des e-books et des liseuses. L’un d'entre eux est même devenu éditeur de science-fiction. »

Quand j'ai lu ça, j'ai pensé à la librairie L'Imaginaire, de Place Laurier, à Québec, un endroit spécialisé en science-fiction, fantasy, fantastique et bandes-dessinées. 

 J'aime entendre les gens raconter comment ils sont passés chez GGC, à Sherbrooke, qu'ils ont fouiné dans les livres et qu'ils ont trouvé le dernier Guillaume Musso, qu'ils se sont acheté, tant qu'à être là, des ciseaux neufs et un bel agenda, qu'ils ont aussi trouvé de beaux collants de scrapbooking et un casse-tête pour le p'tit neveu. 

Ou encore qu'ils sont allés boire un chocolat chaud chez Clément Morin, à Trois-Rivières, le samedi matin et en ont profité pour acheter et lire sur place le dernier d'Arlette Cousture parce qu'ils l'ont vu sur une table en entrant.

Ou qu'ils sont allés fouiller à la librairie Perro, à Shawinigan, en sachant que même si on y trouve toute sorte de livres, ils pourraient mettre la main sur des perles de science-fiction, de fantastique et des bandes dessinées, grâce à une association avec la librairie L'Imaginaire de Québec.

Imaginez une librairie où le libraire affiche sur sa page Facebook les nouveautés à mesure qu'elles arrivent. Imaginez un endroit spécialisé en SF ou en histoire ou en polar ou en littérature très pointue. Imaginez un libraire qui tisse des liens avec ses clients parce qu'il lit les mêmes livres qu'eux (la spécialisation facilite grandement les choses). Le client peut même jaser avec le libraire après sa lecture. Imaginer maintenant un libraire qui organise des rencontres entre lecteurs le samedi matin, qui fait venir des auteurs en lien avec la spécialisation de sa librairie et qui fait de la pub en conséquence (parce que les lecteurs ne sont pas télépathes). Imaginez qu'il y sert lui-même le café. 

Vous allez me dire que c'était comme ça dans le temps. Je vous dirai que, dans le temps, on ne trouvait pas de café en librairie et que le libraire n'avait pas besoin d'annoncer ses nouveautés étant donné qu'il tenait captifs tous les lecteurs de la ville. On y trouvait aussi toute sorte de livres, mais pas de collection exhaustive dans un aucun domaine. Et on n'y trouvait que des livres. Ces jours-là sont révolus. 

Vendredi dernier, René Hormier-Roy jasait livres avec Christiane Charette.(Vous pouvez écouter l'entrevue ICI. Cliquez sur Audio Fil) À 13:30, Hormier-Roy dit, en parlant des libraires:  «Je ne suis pas sûr que la nouvelle loi sur le prix du livre va régler leurs problèmes.» Non, une réglementation sur le prix du livre ne réglera pas les problèmes des libraires parce que leurs problèmes dépassent le prix des livres.

Se plaindre en espérant que les clients vont nous prendre en pitié n'est pas une stratégie gagnante en affaires. Il faut innover, se renouveler, se redéfinir si c'est nécessaire. Et c'est vrai qu'on doit donner les moyens aux libraires de se repositionner et de s'adapter au XXIe siècle. Le plus efficace, à mon avis, est une subvention directe. Ce sont d'ailleurs des subventions qui ont permis à Jackie et à Sam d'ouvrir leurs restaurants. 

Par la suite, cependant, le libraire doit trouver des moyens pour séduire ses clients, leur offrir plus que juste des livres parce que ça, Costco, Walmart et Amazon le font très bien et pour moins cher (Même advenant une réglementation, les livres y seront 10% moins chers.). On doit trouver une valeur ajoutée à la librairie, offrir quelque chose que le lecteur ne trouvera pas ailleurs: une expérience. 

Les restos de Jackie et de Sam prouvent que lorsque les gens sentent qu'ils en ont pour leur argent, ils ne rechignent pas à payer plus cher. 

Nous oublions trop souvent qu'un libraire est aussi un commerçant. Même que dans la chaîne du livre, c'est lui qui fait le plus gros pourcentage sur chaque livre vendu. (L'auteur reçoit 10 %, le distributeur 17 %, l'éditeur 33% et le libraire 40 %). Mais pour faire de l'argent, encore doit-il attirer ses clients dans son commerce. Et ça, ça dépend de sa créativité, de sa compréhension de la clientèle et de ses aptitudes en gestion. 

Comme le dit si bien Christine Ferrand, rédactrice en chef de Livres Hebdo, dans le numéro d'octobre de la revue Books, l'«avenir est à ceux qui se décarcassent pour aller au-devant du public, en organisant des rencontres, un coin café, un espace pour les enfants, un restaurant... voire en vendant de surcroît d'autres choses que des livres.»

Et vous, connaissez-vous des librairies dynamiques équipées pour affronter le XXIe siècle?



15 commentaires:

  1. Je ne sais pas si on peu classer ça dans la même catégorie, mais la nouvelle bibliothèque Monique-Corriveau de Sainte-Foy est équipée au nucléaire, si on peut dire, pour affronter le XXIe siècle. Tout y est : beaucoup de place pour lire, café, salle de jeu insonorisée (playstation & ludothèque pour les petits), système à puces pour rendre les prêts ultra simples, stationnement abondant. Mais c'est quand même un investissement de 17 millions... Reste qu'avant les rénovations, il régnait dans cette bibliothèque une ambiance monastique qui me donnait froid dans le dos. J'haïssais vraiment aller là. Et quand j'étais obligé d'y aller, je voulais ressortir au plus vite.

    Maintenant, c'est le Nirvana. Je vais probablement y aller une fois par fin de semaine, avec la famille. Et si j'avais un portable, j'irais travailler là.

    Je me suis demandé autrefois s'il était possible pour les librairies de m'attirer à nouveau chez eux en adoptant les stratégies que tu évoques. Parce que pour l'instant, j'aime ça moyennement, j'ai toujours l'impression que quelqu'un regarde par-dessus mon épaule (en général, on est juste 2 ou 3 clients dans l'établissement), je ressens la pression d'acheter et les conseils des librairies rejoignent rarement mes gouts. J'aime explorer, seul. Pour cette raison, je suis souvent mal à l'aise en librairie. La bilbiothèque a réglé ce problème.

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    1. On peut dire effectivement que ta bibliothèque est équipée au nucléaire.(J'adore l'image.)

      Merci beaucoup de nous en avoir parlé.

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  2. Je préfère que je gouvernement essaie d'abord la réglementation du prix du livre plutôt que de verser des subventions; avec l'ampleur de nos déficits, pourquoi ne pas essayer autres choses que de verser encore et encore des subventions. On verra d'ici 3 ans si ça a réglé une partie du problème.

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    1. Vous savez, la réglementation du prix du livre telle que proposée par le PQ est une forme de taxation où on ne taxe que les lecteurs de best-sellers. Le problème, c'est son peu d'efficacité par rapport aux coûts qu'on fera peser sur l'ensemble des lecteurs de best-sellers. Le prix des livres en grandes surfaces augmentera de 25 à 30%. Une poignée de lecteurs se tourneront peut-être vers les librairies, mais les autres vont juste payer plus cher. Pire, une telle augmentation des prix affectera à la baisse les ventes de livres au Québec, et, en conséquence, les revenus des écrivains baisseront eux aussi. C'est pourquoi je préférerais qu'on trouve une meilleure solution.

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    2. Vous présumez deux choses: le peu d'efficacité de la mesure et la baisse des ventes de livres. Je ne suis pas certain que c'est ce qui se produira et j'aimerais donc que le gouvernement essaie autre chose que de taxer encore une fois l'ensemble de la population. Ce sont deux des options. Le PQ a choisi la sienne, mais les partis d'opposition sont contre; ils préfèrent le libre marché. Ce sera donc probablement le statu quo à moins que le PQ ne devienne majoritaire au printemps s'il y a des élections.

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    3. Je ne peux pas parler pour les autres, mais il est certain que MOI, je vais acheter moins de livre. Parce que j'en achetais quand même relativement souvent, et que j'en achetais à prix moins cher chez Walmart, s'ils viennent à avoir le même prix qu'en librairies, je ne vais pas en acheter autant. Et si je le fais, il y a des chances pour que d'autres le fassent aussi (d'ailleurs, des gens que je connais m'ont dit qu'ils feraient la même chose). Donc je suis d'accord avec La doyenne ici. Je ne crois pas en cette solution, qui n'en est pas une à mon avis.

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  3. Euh... Je dois avouer que je suis un peu perdue avec ce billet. La situation idéale des librairies que tu décris est LA réalité de la grande majorité des librairies. Pas le choix au fond! Des gens dynamiques, impliqués, désireux d'élargir leurs horizons, ouverts sur les nouvelles technologies et l'internet. On y trouve souvent plusieurs libraires spécialisés dans une même surface. Chacun son dada et la discussion avec les clients fait partie du lot. Bon, ce ne sont pas toutes les librairies qui vendent du café, mais ça fait longtemps que le tandem papeterie-cadeau-jouets-livres fonctionne au Québec. J'ai l'impression que l'on ne parle pas du même milieu du livre. Je visite la quasi-totalité de la moitié des librairies du Québec une fois par mois, je sais de quoi je parle. Je ne reconnais pas la réalité des gens que je rencontre au quotidien dans ce que vous décrivez, ou plutôt, je vois beaucoup plus de gens dynamiques comme les libraires de Clément-Morin et Monet que d'apathiques, même si je reconnais que ce sont des leaders et des modèles d'excellence à suivre. Quand aux subventions directes, personnellement, je trouve dans le registre des mauvaises idées, c'est la pire: et si on retire les subventions, le domaine du livre fait quoi? Il crève? On alourdit encore le fardeau fiscal des Québécois? Si c'est le cas, pourquoi ne pas plutôt augmenter les subventions d'achats aux bibliothèques, ce qui profiterait à tout le monde et aux librairies en même temps (puisque les écoles et les bibliothèques doivent acheter dans des librairies agrées, excluant d'office Amazon et les grandes surfaces), investir dans les programmes d'alphabétisation pour élargir la clientèle des librairies dans le temps? Dans les activités littéraires dans les écoles et les CPE? Personnellement, j'aimerais bien qu'on rétablisse la TVQ sur les livres achetés en grande surface et que ce montant servent justement à améliorer la qualité des services dans les bibliothèques, les écoles et les garderies. Le prix réglementé sert à aider les libraires en leur donnant un peu de répit par un petit neuf mois de sursis sur la concurrence. Ce n'est pas un prix unique, c'est un prix réglementé. Ça va leur permettre de faire face à tous les changements que leur milieu exige et tout le monde est prêt à mettre la roue à l'épaule. Ce n'est pas se plaindre en espérant que les gens prennent les librairies en pitié. C'est donner un petit coup de pouce aux gens qui cherchent par tous les moyens à aller de l'avant.

    En tant que libraire, je me suis déjà fait traiter de voleuse parce que nos livres coûtaient plus chers qu'au Wal-Mart. De VOLEUSE. Ce n'est pas les librairies qui fixent le coût des livres, c'est l'ÉDITEUR. Et la marge de profit de 40% est déterminée par ce prix, déterminé par EUX! La norme de profit dans le commerce de détail? Minimum 50%, quand ce n'est pas 200% dans certains commerces (à prix régulier on s'entend!). Certes les libraires touchent plus de sous que l'auteur par unité vendue. Une réalité. Ils supportent sur ce 40% un vaste inventaire, des employés (très peu payés!) et un local, sans compter les autres frais. Sont-ils si gâtés? Pas sûre. C'est d'ailleurs là que le bât blesse avec l'alliance papeterie-cadeau-jeux-livres: si on fait plus d'argent avec moins d'inventaire et moins de troubles, n'est-il pas tentant de laisser tomber le livre sur lequel on ne fait que 40%?

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    1. (Désolé, manque de place...)
      Ce que je vois dans les commentaires, autant ici qu'ailleurs, c'est une profonde méconnaissance du milieu réel des librairies. Des efforts qui ont déjà été fait et qui le sont encore, au jour le jour. Des gens qui portent le livre à bout de bras bien souvent. Et malheureusement, beaucoup de préjugés. Je lis quand même avec attention chacun des billets publiés ici, parce que ça m'aide à comprendre les gens qui ne sont pas dans le milieu et qui regarde tout ça de plus loin. Je comprends certaines réflexions et je vois certains schémas de pensée. Beaucoup de gens arrivent avec l'idée que tadam! ils ont trouvé la solution. Malheureusement, souvent, celle-ci a déjà été testé depuis longtemps. Ce qu'on ne peut pas savoir si on ne bosse pas dans une librairie, je suis parfaitement prête à le reconnaître.

      J'ai vu plusieurs références à la revue Books d'octobre dans vos derniers billets. Je me suis procurée la revue (merci bibliothèque municipale!) et je vais la lire dans les prochains jours avec un très grand intérêt. Je vous conseillerais en retour la lecture des livres d'André Schiffrin, un acteur important du milieu de l'édition aux États-Unis au cours des cinquante dernières années, en particulier son livre L'argent et les mots. Il regarde le milieu du livre dans une perspective très large, de l'édition à la librairie, incluant le milieu de médias dont le livre fait partie. Il aide à donner un regard neuf à tous les débats qui agite le milieu, en grand partie parce que français d'origine et ayant travaillé aux États-Unis toute sa vie, il est capable d'analyser en profondeur les enjeux des deux milieux. Les effets du prix unique et de la libre concurrence sans restriction compris. :)

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    2. Comme toujours, Prospéryne, tes commentaires nous éclairent. Merci de prendre le temps de commenter sur ce blogue.
      Tu comprendras, j'en suis certaine, que si je m'oppose à la réglementation du prix du livre, je ne m'oppose pas aux libraires. Loin de là! J'ai cité d'ailleurs des librairies dynamiques. Et tu sais comme moi que les librairies en difficulté sont celles qui le sont moins.
      Je te dirai que depuis le début de ce débat, on utilise beaucoup trop à mon goût la pitié comme argument. (Les linceuls m'ont fait lever les yeux au ciel.) Et on me dit que je dois renoncer à une part de mes revenus par solidarité. Tu sais sans doute aussi bien que moi que la solidarité est plus facile à digérer quand on l'a choisie. Si elle nous est imposée, on veut au moins avoir des arguments solides. Je te lis, je comprends que les intentions sont louables. Et je te crois quand tu me dis que ça donnera du répit aux libraires. Mais ça ne ramènera pas tous de clients de Costoc en librairie. Ni ceux de Walmart. Il y en aura quelques-uns, peut-être, qui n'hésiteront plus quand ils verront le livre dans une librairie. C'est mieux que rien, sans doute. Mais il faut voir quelles seront les autres conséquences.
      Si tu suis ce blogue depuis un bout, tu sais que ce qui m'inquiète, dans la réglementation, c'est une baisse de revenus pour les écrivains grand public. Ce sont les seuls dont les livres se retrouvent en grandes surfaces. Et personne ne me fera croire que le principe de l'élasticité du prix d'un bien (un principe de micro-économie) ne s'appliquera pas au livre. Si le prix de mes livres en grandes surfaces monte de 25 à 30%, les ventes vont baisser. C'est le cas dans tous les domaines de l'économie sauf pour les biens essentiels comme la nourriture et l'essence. Et les livres, n'en déplaise à certains, sont un bien commercial comme les autres. Une si grosse augmentation du prix se traduira par une baisse des ventes. Et si les Québécois achètent moins de livres, mon salaire annuel va baisser. On déshabille Pierre pour habiller Jacques. Il me semble qu'on doit être capable, en tant que société, de trouver un meilleur moyen.

      (Comme toi,je suis obligée de couper mon commentaire en 2. La suite, donc, juste en dessous. ;-) )

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    3. Tu me dis que les employés des librairies sont peu payés. Penses-tu que les auteurs font des millions? Un best-seller au Québec est un livre qui se vend à 3000 exemplaires. Mettons que le livre se vend 30$. L'auteur fait 3$ du livre. Multiplie ça par les 3000 exemplaires vendus, ça te donne le total des redevances que l'auteur recevra pour ce livre. 9000$. S'il en vend davantage, c'est d'autant mieux pour lui. Mais il faut garder en mémoire que la moyenne de vente de livres au Québec est de 800 exemplaires. Il est déjà loin au-dessus de la moyenne, cet auteur, avec ses 3000 exemplaires. Je te dirai d'expérience que la grande majorité des écrivains grand public, ceux qui publient régulièrement, vont vendre environ 4000 exemplaires de leur livre. Je te laisse faire le calcul.
      Tu me parles aussi du délai de neuf mois. Savais-tu que les livres québécois ne sont chez Costco que trois semaines? Quatre, peut-être, quand on s'appelle Marie Laberge. Et ce ne sont pas tous les auteurs de best-sellers qui entrent chez Costco. Et ce n'est pas parce qu'un auteur a vu un de ses livres y entrer qu'il verra le deuxième faire pareil. Entrer chez Costco, c'est s'assurer un minimum de revenu parce que Costco distribue le livre dans toutes les succursales de la province. Le livre n'a que trois semaines pour produire son boum de ventes. Après ça, les exemplaires invendus sont retournés au distributeur. Dans ces conditions, un délai de neuf mois est inutile. Aucun auteur n'a jamais vu son livre neuf mois chez Costco. Sauf peut-être Anne Robillard. Et c'est parce qu'elle en avait toute une série.
      Il faut évaluer toutes les conséquences quand on passe une loi. Et la réglementation du prix du livre, telle que présentée par le gouvernement du PQ, fera non seulement reculer les ventes de livres au Québec, mais également le salaire des écrivains qui vivent de leur plume. Tant qu'on va refuser d'admettre que nous serons lésés sans compensation, je vais continuer de répéter que cette loi est injuste.

      Cela dit, répondre à tes commentaires est toujours un plaisir parce que tu es un bon challenge. ;-)

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    4. En passant, l'écrivain qui vend 4000 exemplaires de son livre ne fait pas pitié. Il est TRÈS content d'être arrivé là. Ce qui ne veut pas dire qu'on doit lui couper l'herbe sous le pied.

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  4. Que fait-on de la hausse des prix des livres qu'il va nécessairement résulter quand toutes les librairies seront bel et bien mortes? Ce n'est pas compliqué: en éliminant la concurrence, les grandes entreprises sont libres de mettre les prix qu'elles veulent ensuite. C'est le cas en Angleterre: maintenant que les petites librairies sont enterrées, le prix des livres augmente plus vite que le coût de la vie.

    Et ça, personne ne l'avait souhaité. Mais il est un peu tard pour y penser.

    Très franchement, même sur Amazon, on commence à le voir: un article confirmait que si certains livres restaient moins chers qu'ailleurs, on payait maintenant plus cher les livres plus spécialisés (par exemple ceux pour l'école, ou pour le bébé...). Ceux qu'Amazon sait bien qu'on ne pourra pas acheter ailleurs.

    Ces entreprises ne nous feront pas de cadeaux quand ils seront les seuls à offrir du stock livresque. Pour eux, le livre, c'est comme une autre marchandise: un moyen de faire du profit et de faire entrer les gens. Un rabais pour quelques ouvrages, puis hop! le plein prix pour les autres.

    De toute façon, c'est l'opinion que tu présentes qui a gagnée: la loi qu'a présentée le ministre ne passera pas, ce n'était que pour "bien paraître" aux yeux du secteur du livre.
    La loi n'est pas populaire non plus dans le public. Les gens, pensant rarement à long terme (il n'y a qu'à regarder ce qu'on fait avec l'environnement), préfèrent payer moins cher tout de suite que de s'assurer un prix compétitif à long terme ET une diversité de livres.

    Je ne me fais pas d'idée là-dessus.

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    1. Chère Nomadesse,

      Je te comprends d'être confuse dans tout ça. C'est très «confusant», comme disaient mes anciens élèves anglophones.

      J'ai fouillé l'aspect augmentation de prix sans la réglementation parce que les phénomènes que tu décris m'effraient aussi. Et ce que j'ai trouvé m'a étonnée. En fait, il y a des études pour dire que c'est le libre marché qui fait monter les prix. Il y en a d'autres pour dire que le prix réglementé n'empêche pas les prix de monter.

      Par exemple, j'ai trouvé cette étude sur le Danemark où le prix des livres est réglementé depuis 2000. Le prix des livres y a grimpé un tiers plus vite que l'inflation depuis 1985, et le nombre de livres vendus a diminué de 66% pendant la même période. http://www.ingentaconnect.com/content/routledg/gcul/2004/00000010/00000003/art00007

      Le problème, je trouve, avec le prix des livres, c'est que ça ne suit pas la courbe de l'inflation. Le marché du livre est un marché fragile et les éditeurs hésitent à monter le prix de peur de perdre des ventes. Ils attendent donc longtemps, et quand les prix montent, la hausse est souvent brutale. De 2002 à 2008, mes livres se vendaient 24.95$ pour un roman de 300 pages. En 2008, le prix a grimpé à 29.95$. Une augmentation de 25%! Comme le prix n'a pas bougé depuis, on pourrait s'attendre à une hausse dans les prochaines années. Mais voilà! Les éditeurs savent que le prix d'un bien a un effet psychologique. Mon éditeur va donc éviter le plus longtemps possible de franchir la barre des 30$.

      Pour cette raison, je suis sceptique quand on me dit que le prix des livres en Angleterre a augmenté 11.5% plus vite que l'inflation. Il faudrait savoir combien d'années s'étaient écoulées depuis l'augmentation précédente.

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    2. "En fait, il y a des études pour dire que c'est le libre marché qui fait monter les prix. Il y en a d'autres pour dire que le prix réglementé n'empêche pas les prix de monter."

      Donc, si je paraphrase ta citation:
      - des études lient le libre marché avec une hausse des prix.
      - mais aucune étude ne prouve que le prix réglementé EMPÊCHE une augmentation des prix. Ce qui est normal. Pourquoi le livre n'augmenterait pas de prix, alors que le reste augmente?

      J'attends une étude qui me dira que le prix réglementé fait augmenter PLUS VITE le coût du livre que la sacro-sainte liberté et ses conséquences bien établies.

      Parce que si je suis convaincue, tout comme toi, que cette loi ne pourra pas régler tous les problèmes du livre (les défis sont nombreux), mais je reste convaincue qu'elle en règle une petite part.

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