lundi 10 février 2014

Le roman historique au Québec

Même s'il y a quelques hommes dans le lot, la très grande majorité des auteurs et des lecteurs de romans historiques sont des femmes. Afin d'alléger le texte, j'utiliserai ici le féminin. Sentez-vous quand même inclus, messieurs.
Avertissement : Selon la sorcière, quand la diplomatie est passée, je n'étais pas née. Sans doute. Il me semble quand même qu'on se doit de jeter un regard lucide sur notre monde de temps en temps. Sachez donc à l'avance que, dans le texte qui suit, je dis les choses crûment.
La semaine dernière, je vous parlais d'un article dans La Presse qui dressait le portrait du roman historique au Québec. J'ai trouvé cette lecture rigolote parce que la journaliste découvrait tout juste un phénomène qui dure depuis vingt ans et qui, contrairement à ce qu'elle croit, n'en est pas du tout à son apogée.
Cette semaine, je vous explique pourquoi je pense que, si la tendance se maintient, le roman historique s'en ira sur son déclin. Et je trouve ça plate en titi.
Tout d'abord, rendez-vous dans n'importe quelle librairie et vous constaterez qu'il pleut des romans historiques au Québec. Ça dure depuis cinq ans. Depuis, en fait, que de nouvelles maisons d'édition se sont mises à publier des textes sans direction littéraire. Vous envoyez votre roman, on trouve qu'il a de l'allure, on le fait corriger et on l'imprime. Pas de réécriture, pas de remaniement du récit, pas de vérifications historiques. Qu'est-ce que ça donne? De la littérature destinée au pilon souvent moins d'un an après l'impression.
Il s'agit d'une attitude purement commerciale qui consiste à publier beaucoup et à coût dérisoire des manuscrits d'auteures peu ou pas expérimentées. On se fiche des conséquences puisqu'on en vendra juste assez pour couvrir nos frais. Mais ces conséquences, si elles ne dérangent pas l'éditeur, ont pourtant plusieurs effets néfastes sur le monde du livre.
Premièrement, ça produit des romans décevants. Les lectrices qui s'aperçoivent que le roman qu'elles lisent contient plusieurs erreurs historiques (internet leur fournira toute l'info nécessaire pour vérifier les détails) hésiteront ensuite à acheter un autre roman de cette auteure. L'effet est plus sournois encore chez celles qui ne s'en rendront pas compte parce que le roman véhicule ainsi de fausses informations historiques que les lectrices vont croire vraies.
Deuxièmement, l'auteure n'apprend pas. Ni à mieux écrire, ni à mieux raconter. Son deuxième roman contiendra les mêmes faiblesses que le premier. Idem pour les suivants. Pire, elle sera persuadée qu'elle est une bonne écrivaine parce qu'on la publie, alors qu'elle n'est qu'une machine à produire des textes qu'on va mettre à la poubelle au bout d'un an. Deux ans, si elle est chanceuse.
Si on m'avait dit que je travaillerais autant sur un roman qu'on pilonnerait au bout d'un an, je vous jure que je serais restée dans l'enseignement. Aucun écrivain ne souhaite produire une œuvre aussi éphémère. Je ne vous dis pas qu'on sera tous immortels, mais on espère au moins être lus et disponibles pendant quatre ou cinq ans. Plus, même, si l'œuvre continue d'intéresser les gens. Parce que dans ce cas, le livre est souvent réédité en format poche.
Ce n'est pas que ces auteures de livres jetables ne font pas de recherche (quoique ça arrive). Ce n'est pas non plus que leur récit soit invraisemblable (quoique ça arrive aussi). C'est juste que c'est mal écrit, mal raconté, mal édité finalement. Comme je le dis souvent : l'inspiration est peut-être divine, mais le canal, lui, est faillible. Il faut beaucoup de travail pour mettre convenablement par écrit l'idée de génie qui a jailli un matin au réveil. Croire qu'on peut se passer d'un regard éditorial tient de l'orgueil et/ou de la paresse. Si j'étais une auteure qui commence et que j'avais envie de faire une vraie carrière d'écrivain, je songerais à me trouver un éditeur qui fait du vrai travail éditorial.
Troisièmement, non seulement ces romans de mauvaise qualité ont peu d'espérance de vie, mais en plus, ils nuisent à l'ensemble de la production de romans historiques québécois. Comment distinguer justement les bons romans des mauvais? Les auteures qui font de la recherche des autres qui écrivent n'importe quoi ou qui arrangent l'Histoire au gré de leurs fantaisies? Comme on dit, chat échaudé craint l'eau froide.  La lectrice hésite. Et je la comprends!
Nous avons au Québec de bonnes maisons d'édition de romans historiques. Nous avons aussi de bonnes auteures à la plume soignée, qui épluchent les essais des historiens dans le but d'écrire le moins de niaiseries possible. Je ne dis pas qu'elles ne font jamais d'erreurs, mais ces auteures sérieuses vont chercher longtemps pour vérifier les détails de leur récit. Et si elles ne trouvent pas de réponse, elles sont bien capables de changer leur histoire pour éviter l'écueil plutôt que d'être prises en défaut.
Dans leur étude intitulée Du bon sauvage au beau sauvage, Un roman d'amour politically correct[1],  Julia Bettinotti et Chantal Savoie sont arrivées à la conclusion que ce qu'on appelle aux États-Unis l'Indian Romance «suit une des conventions ou un des contrats de lecture les plus stricts de la littérature de grande consommation. » Pour avoir écrit sept romans historiques moi-même et pour avoir longuement discuté avec mes lectrices au fil des ans, je peux vous assurer que cette conclusion s'applique également au roman historique québécois. Disons plutôt qu'elle s'appliquait. Jusqu'à il y a cinq ans.
Le déferlement de romans historiques dans les librairies et les grandes surfaces du Québec cause aussi un problème mathématique. Parce que si le nombre d'auteures a explosé depuis cinq ans, le lectorat, lui, est resté à peu près stable. Cela veut dire qu'on doit séparer la tarte en plusieurs morceaux. En beaucoup de morceaux. Beaucoup plus qu'au début des années 2000. Ça fait donc des pointes de tarte plus petites. Ça veut dire des revenus moins élevés pour chacune des auteures.
Tout le monde est touché. De la machine à produire des textes destinés au pilon jusqu'à l'auteure chevronnée, en passant par la nouvelle auteure qui a fait un travail remarquable et qui est publiée chez un éditeur qui a fait, lui aussi, un travail remarquable.
Certains pensent que cette baisse de revenus s'explique parce que les lectrices veulent juste lire du roman historique qui se passe au Québec. Je ne le crois pas. Les Québécoises ont lu en masse Jeanne Bourin et Maryse Rouy avec leurs histoires médiévales, Régines Desforges et ses romans de la Deuxième Guerre mondiale. Elles ont lu en grand nombre Diana Gabaldon qui parlait du 18e siècle en Écosse. Vrai qu'on aime lire sur notre propre histoire et que, pendant longtemps, on n'avait rien à se mettre sous la dent. Mais il ne faut pas se fier à ce qu'on voit dans les journaux. Les journalistes qui écrivent sur les romans populaires (historiques ou pas) n'en lisent pas.
Un bon roman, c'est un bon roman. Et le fait que les revenus des auteures de romans historiques diminuent n'a rien à voir avec la période ou le lieu de l'action. La faute en revient à cette production incontrôlée où le bon grain est mêlé à l'ivraie.
Comme le dit l'adage yukonnais:  Quand les journaux se mettent à parler du filon, il est déjà trop tard pour se prendre un claim. Quand c'est rendu qu'on étudie le phénomène du roman historique à l'université, c'est qu'il est trop tard pour en écrire.
Mes conseils aux auteurs en devenir :
1.     N'écrivez pas pour suivre la mode parce que quand votre roman sera prêt pour publication, la mode sera passée. (À moins que vous souhaitiez être publiés dans une de ces maisons d'édition productrices de livres jetables.) Suivez votre instinct. Écrivez ce que vous aimez lire, ce que vous avez profondément envie d'écrire. Faites preuve d'imagination. Pensez à Stephenie Meyer qui, s'installant dans le vide laissé par Anne Rice, a réinventé le roman de vampires. On peut aimer ou non la série Twilight, mais on est obligé de se montrer humble devant un tel succès.
2.     Si on publie votre texte sans vous demander de réécrire, de resserrer, de développer, si on ne relève pas d'incohérence, si on trouve vos personnages impeccables, si on vous dit que votre texte s'en va tout de suite en correction et qu'il sortira dans un délai très court (moins de six mois), posez-vous des questions. Voulez-vous vraiment une carrière de machine à écrire des romans destinés au pilon ou voulez-vous voir vos œuvres durer?
Un bon roman, c'est un livre écrit avec le cœur et retravaillé jusqu'à ce que l'auteure elle-même en ait la nausée. Un bon roman, ce n'est pas un roman à la mode.
Et pour ce qui est de l'argent, c'est comme en restauration. Ceux qui ont les reins solides vont pouvoir attendre que l'invasion finisse… si elle finit.



[1] Ce texte se retrouve dans le recueil Les hauts et les bas de l'univers western, publié chez Triptyque en 1997) Voici les deux places où j'ai trouvé ce livre de référence pour vous : 

10 commentaires:

  1. Je mettrais juste un bémol à ce texte : je ne crois pas que la mode des romans historiques va s'éteindre. S'essouffler suffisamment pour que les "publieurs" (par rapport aux éditeurs) lâchent le créneau, oui. Mais s'éteindre? M'étonnerait.

    Après tout, quand on y pense, l'Illiade et l'Odyssée étaient déjà des romans historiques, qui racontaient un lointain passé glorieux! (anachronismes en prime! ;)

    Par contre, les périodes historiques subissent parfois des effets de mode (il y en a eu des livres sur l'Écosse après le phénomène Gabaldon). C'est surtout de cet effet d'engouement qu'il faut se méfier.

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    1. Ah, Gen! Je savais que je pouvais compter sur toi!

      Je ne pense pas non plus que le roman historique va s'éteindre complètement. Mais on a commencé la disette. Tous les écrivains qui étaient là avant l'invasion le sentent.

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    2. J'pense que c'est comme ça dans plusieurs domaines. Les publieurs ont investi les tablettes. Et c'est triste, parce qu'il y a quelques auteurs potentiellement talentueux dans le lot des exploités.

      Mais bon, on peut espérer que le public finisse par arrêter de se faire avoir. Ce qui est triste, c'est que le phénomène du publiage donne mauvaise réputation aux œuvres québécoises toute entière. Parce que le "publiage" américain ou français ne se rend pas sur nos tablettes. Pour le lecteur moyen, il y a donc "la scrap québécoise" et les bons produits importés.

      Lamentable. :(

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    3. Je suis d'accord, c'est triste. Et je ne trouve pas ton texte si méchant que ça... Surtout réaliste! C'est tellement plaisant d'avoir un bon éditeur qui s'intéresse à ton texte et le connaît par coeur lui aussi! :)

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  2. Je pense qu'il ne faudrait pas commettre l'erreur de généraliser. Publier un livre chez un éditeur sans direction littéraire n'est pas automatiquement synonyme de mauvaise qualité, et encore moins d'un manque de talent. Certains auteurs qui publient chez de tels éditeurs se soucient de la qualité de leurs écrits et vont compenser cette lacune de leur éditeur en allant chercher de l'aide extérieure tout simplement. Ils vont passer des mois à réécrire, corriger, élaguer leur texte dans le but de l'amener au meilleur de son potentiel. Et tout ça en espérant qu'un jour, peut-être, ils auront la chance de travailler avec un autre éditeur qui offre de la direction littéraire et ainsi pouvoir continuer à progresser et à apprendre. Alors de l'orgueil? de la paresse? Il faudrait peut-être commencer par chausser les souliers de ces auteures avant de prétendre savoir ce qu'elles ont dans le coeur et juger leur façon de travailler.
    Merci.

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    1. Cher(e) Anonyme,

      Je n'ai jamais parlé de manque de talent. Du talent et de l'imagination, il y en a tout plein dans les ouvrages que ces éditeurs publient pour les pilonner un an après. En plus d'être un gaspillage de fonds publics, il s'agit justement d'un gaspillage de talent et d'imagination qui ne sert personne sauf le porte-feuille de ces éditeurs.

      Les auteurs sont les premiers lésés, eux qui travaillent autant et aussi longtemps sur leur livre. Ne veulent-ils pas ajouter leur grain de sel à la culture québécoise? Et vous, n'avez-vous pas envie de voir votre livre encore sur les tablettes dans cinq ans? N'avez-vous pas envie de le voir réédité en format poche dans quelques années?

      Ces éditeurs offrent une voie facile et rapide à des auteurs pressés ou qui ne prennent tout simplement pas conscience qu'ils sont en train de saboter leur carrière. Parce que ce sont de nouveaux auteurs dont on parle ici. Des gens qui ont peu d'expérience du milieu et dont il est facile d'abuser en faisant miroiter des chiffres de vente. Mais être écrivain, c'est pas juste vendre des livres une, deux ou trois années. Si c'est là votre but, assumez-le. Mais si vous voulez durer, vous devriez vous inquiéter.

      Relisez mon billet attentivement et vous verrez que ce n'est pas les auteurs que je vise, ici, mais ces éditeurs qui n'ont d'autre but que de faire un maximum d'argent et ne tiennent absolument pas compte du peu de qualité des ouvrages qu'ils publient. Tant qu'ils en vendent assez, ils sont contents. Que ces livres ne durent pas les indiffère. Que ces écrivains ne durent pas ne leur fait pas un pli non plus.

      Et le public, là-dedans? N'est-il pas en droit d'avoir entre les mains un livre de qualité, lui qui a acheté le livre et qui, en plus, subventionne la culture avec ses impôts? N'a-t-on pas le devoir de lui soumettre un livre dans lequel l'éditeur s'est investi autant que l'auteur?

      Le travail éditorial, c'est un travail d'éditeur. Ça mérite rémunération. Vous donne-t-on un % de redevances plus grand parce que vous avez vous-même assumé les frais reliés à cette partie de la tâche de l'éditeur?

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  3. Que vous en ayez conscience ou non, dans votre billet, vous véhiculez une image non seulement fausse et dégradante de ces auteurs (je n'en suis pas une contrairement à ce que vous semblez croire), mais qui démontre aussi toute votre ignorance de leur réalité.

    De plus, je vous suggèrerais à mon tour de relire mon commentaire. Ai-je pris la défense de ces éditeurs? Aucunement. Selon moi, un éditeur ne devrait jamais publier un livre sans l'avoir retravaillé avec l'auteur d'abord. Mais malheureusement, certains le font. Il y a heureusement des auteurs, parmi ceux qui sont publiés chez eux, qui ont le souci d'offrir des livres de qualité au public. Et je trouve déplorable que vous les jugiez avec autant de mépris rien que parce qu'ils publient chez un éditeur que vous méprisez également.

    Je le répète, aucun éditeur ne devrait publier un livre sans l'avoir retravaillé avec l'auteur, on est d'accord là-dessus. Et on peut seulement espérer que ceux qui le font en viennent à modifier leur façon de faire. Mais en attendant, il faut quand même se dire que tout n'est pas si noir et qu'il y a des livres de qualité qui sortent de leurs presses grâce au travail acharné de certains auteurs. Et n'allez surtout pas croire qu'il s'agit d'une voie facile pour eux, bien au contraire.

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  4. Je viens tout juste de prendre connaissance de ce billet et ses commentaires. Toujours la même pensée qui surgit dès qu'il est question d'étiquette: roman historique.
    J'aurais voulu des noms, des titres parce que hé ne vois pas bien de quels éditeurs ou de quels romans tu parles. Mais je comprends que tu décris une situation en général.
    Je demeure convaincue que les ''mauvais'' romans (mot très utilisé par Laferrière dans son journal en pyjama et là encore, j'aurais voulu des titres) ne font pas de tort aux romans plus...travaillés d'Isis. Pas plus que la littérature dite populaire n'empêche celle qui sera peut-être lue dans le milieu scolaire.
    Et que l'histoire y soit maltraitée, tout est relatif. Après tout l'histoire qu'on a apprise à l'école n'était-elle pas truffée de faussetés. L'histoire n'e pas de l'arithmétique. Et pour qui veut la vérité, il la cherchera bien et s'il la trouve, qu'il l'écrive.
    Quant à la durée du roman dit historique, je ne peux prédire l'avenir, mais je crois qu'il y a encore beaucoup à explorer. N'as-tu pas été chercher ton public grâce à l'originalité du sujet? Louise Simard aussi. Francine Ouellet aussi. Et quelques autres.
    Mes pauvres petites Têtes rousses auraient mérité une meilleure visibilité, mais il y aurait encore place à bien des romans sur ''mes'' Irlandais.
    Bref, plus on en parle...

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  5. Excuse les fautes et coquilles, j'écris à partir d'une tablette qui choisit les mots et j'ai publié avant de relire pour ne pas tout perdre.

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