mardi 6 mai 2014

Game of Thrones et le syndrome de la trame narrative stressante pour rien



Je vais vous le dire tout de go. Le premier tome de la série Songs of Ice and Fire (Le trône de fer), intitulé Game of Thrones, fait partie des cinq meilleurs romans que j'ai lus de ma vie. Sérieux. Ça m'a pris deux mois pour le lire parce que je tenais à le lire en anglais et que c'est une méchante brique. C'était il y a deux ans.  Je peux encore citer des bouts par cœur. Je feuillette les pages de temps en temps, histoire de me remémorer comment je me sentais en lisant tel ou tel passage. Histoire aussi de ressentir encore le plaisir que j'avais de découvrir Tyrion, de rire de ses traits de génie. J'ai même mis un bout du roman en exergue dans mon propre roman Les deux saisons du Faubourg parce que, au début de l'histoire, on voit de haut un homme marche dans la rue Sainte-Claire par une nuit d'hiver. Son corps est  fouetté par le vent, un vent qui, on dirait, essaie de lui arracher ses vêtements comme une amante insatiable. Cette scène m'a été inspirée directement par ce que je considère comme l'une des plus efficaces du roman de George R. R. Martin, quand Tyrion marche sur le Mur et qu'il y vente à écorner les boeufs.

Pourtant, aussi fan que je puisse l'être du roman de Martin, je n'ai regardé que la première saison de la série télévisée Game of Thrones et le premier épisode de la deuxième saison. J'ai ensuite rangé les DVD dans la bibliothèque en disant à mon chum qu'il pouvait regarder le reste s'il le voulait, mais sans moi.

L'an passé, j’ai acheté la première saison de la série américaine Breaking Bad. J'ai regardé deux épisodes et j'ai donné les DVD à ma fille.

Parce que je m'en viens méfiante, j'ai loué le premier disque de Vicking. J'ai regardé un épisode et demi et j'ai rapporté le disque au club vidéo.

Même chose pour les films. Je les loue au club vidéo et souvent — trop souvent! — je les rapporte sans les avoir terminés. Je ne vais presque plus au cinéma. Je refuse d'être immobilisée et agressée pendant deux heures par des scènes d'une violence invraisemblable doublée d'une tension artificielle, inutile et exagérée. J'étais pourtant une grande cinéphile!  

C'est le mal du siècle, cette tension artificielle, inutile et exagérée. On dirait que les producteurs, réalisateurs et scénaristes ne savent plus produire autre chose. Pire, il y a surenchère! C'est à qui va y aller de la série la plus stressante pour rien. Mais on s'entend, ça n'améliore pas l'histoire. Je dirais même que ça lui nuit. Ça attire l'attention ailleurs, ça l'éloigne de ce qui devrait être le vrai propos du film ou de la série, c'est-à-dire de parler de la vie. La plus grande qualité des romans de George R. R.Martin n'est-elle pas justement d'avoir l'air vrais, malgré le monde inventé? Tous ses personnages, du plus vieux au plus jeune, peu importe le sexe, possèdent un réalisme qui décoiffe le lecteur et rend jaloux ses collègues écrivains. 

Ne croyez-vous pas qu'un tel niveau de violence et de tension pourrait servir à détourner notre attention et nous en passer une petite vite de temps en temps?

Anecdote qui m'a jetée à terre: La semaine dernière, je donnais une entrevue au sujet de mon dernier roman. La journaliste, qui l'avait lu, m'a dit qu'elle avait toujours peur que mon personnage rencontre un méchant, qu'il lui arrive un grand malheur (un viol?), parce qu'elle était seule sur la route dans un pays étranger. Faut-tu être rendu assez habitué, en tant que société, pour que notre imagination s'emballe et qu'on cherche le stresse là où il n'y en a pas? Tout simplement parce qu'il y en a partout, parce que c'est devenu… instinctif d'avoir peur quand on regarde un film, une série ou qu'un lit un roman? C'est pourtant pas normal.

(Attention, spoilers!)

Je suis tombée lundi matin sur cet article dans le Courrier international. L'auteure Danielle Henderson s'insurge devant la violence et le sexisme qu'on retrouve dans la série télévisée Game of Thrones. Elle dénonce en particulier des scènes de viol et le fait qu'Alex Graves, l'un des réalisateurs, affirme que la scène de viol (Quand Jaime viole Cersei devant le cercueil de leur fils) était concensuel puisque les deux personnages ont l'habitude de coucher ensemble. Je vous laisse juger par vous-même s'il s'agit ou non d'un viol. La scène se trouve ici.

Toute cette violence gratuite n'est pas sans effet pervers, même au niveau artistique. Voici un article d'une auteure du Guardian qui explique comment la scène de viol vient fausser le personnage de Jaime qui, jusqu'à maintenant, n'était pas totalement méchant. Tous les écrivains vous le diront: ça ne prend pas une grande incohérence pour que le lecteur cesse de croire au personnage.

Avons-nous vraiment besoin de toute cette violence, de toute cette tension, de tout ce stress? Ou bien avons-nous affaire à une dérive qu'on a fini par accepter parce qu'on ne nous présente pas autre chose? Je commence à penser qu'il s'agit de la faiblesse artistique du XXI siècle. Quelque chose qui ressemble à une béquille. Quelque chose qui viendrait de la paresse et du manque d'imagination des auteurs.

8 commentaires:

  1. Oh! que je suis d'accord. Même en substituant les violence-tension-stress par sensations extrêmes ou seulement le mot drame, c'est encore trop pour moi. Pourquoi faut-il un drame, un conflit? Pourquoi des simplifications à l'extrême entre le bon et le méchant, tout blanc et tout noir? Des rebondissements explosifs. On peut pas avoir juste des histoires, des portraits, des vies. Comme du temps des Maria Chapdeleine, Marie-Didace, Florentine ou plus récemment Les filles de Caleb, La fille du pasteur Cullen.

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  2. Ah! oui, bien sûr, j'oubliais... comme Yukonnaise ou Sophie Parent.

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  3. Pour ce qui est de Game of Thrones, sous prétexte de "simplifier" la trame narrative (pas simple, c'est vrai), on a gardé uniquement les scènes de violence, on a rajouté quelques scènes de sexe (alors qu'on en manquait pas!) et le résultat est une boucherie. La scène entre Jaime et Cersei existe dans le livre et on peut l'appeler "viol" si on s'en tient au strict sens du terme (il la prend violemment), mais avec le dialogue et la relation des deux personnages, on se demande ensuite qui a poussé qui à bout et qui a été le plus violent des deux.

    Évidemment, une relation aussi complexe est impossible à passer à l'écran, à moins d'en faire le sujet d'un film tout entier.

    Autre exemple des "fausses tensions" que je suis incapable de voir au cinéma maintenant : l'ostie de compte à rebours qui va absolument être arrêté seulement à la dernière seconde. C'est rendu ridicule comme c'est fréquent.

    Et oui, l'obligation de conflits aux proportions cataclysmiques, avec des bons et des méchants bien définis, c'est rendu une faiblesse. Qu'est-ce que vous voulez : notre société est persuadée que si on laisse un enfant de dix ans tout seul au parc, il va se faire enlever, violer et découper en morceaux. Parce que c'est arrivé une fois et qu'on en a parlé dans les journaux. Alors les personnages de roman, c'est sûr qu'il va leur arriver malheur un moment donné!

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    1. Je vois, Gen, que tu as longuement réfléchi à la question toi aussi. Je pense également que c'est en partie lié aux médias, mais pas seulement. Il y a cette obligation d'écrire des scénarios qui gardent le spectateur sur son divan pendant les pauses publicitaires. C'est à croire qu'il existe un canevas, tsé, comme pour les Harlequins.

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    2. Le pire c'est que l'industrie du "visuel" ne semble pas avoir encore compris que les mécanismes de "tension" sont devenus si prévisibles qu'ils créent l'effet inverse. Ça fait deux films de suite où, quand le compte à rebours part, je calcule que j'ai le temps d'aller à la toilette sans mettre le film sur pause : je sais qu'il va y avoir un combat ou un autre contre-temps qui va faire que le héros va arrêter le maudit compte à rebours à la dernière seconde.

      En plus, les pauses publicitaires, entre Netflix et la possibilité de louer les séries en DVD, c'est de plus en plus dépassé comme concept!

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    3. Je ferai un parallèle un peu hors sujet mais qui démontre que cette culture de la tension est imposée très jeune aux enfants : Écoutez une émission (n'importe lequel, vraiment) de l'Agent spécial Oso

      C'est un ours qui vient en aide à un enfant qui veut faire quelque chose tout seul, mais ne sais pas comment le faire. Le parent n'est jamais présent pour aider son enfant. Oso arrive et lui explique en 3 étapes comment faire. Puis il y a ce compte à rebours pour réussir vite vite vite à apprendre cette nouvelle activité.

      C'est à croire que l'enfant doit non seulement réussir dès la première fois, mais surtout, le faire en moins de 7 secondes! 7-6-5-4-3-2-1 Terminé!

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    4. Et attends qu'il entre à la garderie: on va lui demander la même chose pour mettre ses habits et s'il n'est pas assez rapide, on va le soupçonner d'avoir un déficit d'attention... Il y a une telle importance à faire vite-vite-vite qu'on dirait qu'on ne sait plus faire la différence entre le moment où c'est vraiment important et celui où il est en apprentissage...

      Et quant à cette tension, qui doit être constante, à chaque page tournée, ce sont des procédés trop souvent utilisés, je suis entièrement d'accord!

      En sociologie, on l'associe beaucoup au monde des actualités qui a convaincu toutes les régions du Québec que la grande ville était très dangereuse... Alors que la criminalité est en baisse partout au Canada! Les gouvernements en profitent pour parler sécurité et augmenter leurs dépenses là-dessus (en baissant ailleurs). On fait la même chose avec l'austérité financière: on parle de la dette sans perspective (en pourcentage par rapport au PIB, elle n'a pas augmentée depuis plusieurs années) et on va couper partout...

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  4. Je suis heureuse de constater que je ne suis pas la seule que cette tension (pression???) artificielle dérange.

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