mardi 17 juin 2014

Ma relation amour-haine avec Amazon



Anecdote 1: En novembre dernier, une amie a commandé trois livres dans une librairie. Des cadeaux de Noël pour son chum. Comme le libraire ne les avait pas en stock, il lui a dit que ça prendrait deux semaines.

(Veuillez noter que deux semaines est un délai normal dans les librairies du Québec à cause des distributeurs qui ne font pas une livraison spéciale chaque fois qu'on leur commande un livre. )

Bon. Ma copine est repassée à la libraire au bout de deux semaines. Les livres n'étaient toujours pas arrivés. « On va vous appeler dès qu'on les a.» qu'on lui a répondu.

Elle a attendu. Noël a passé. Elle a donné une carte à son chum avec une petite note genre Désolée du retard. Et au début de janvier, elle est repassée à la librairie où elle a appris que deux des trois livres étaient arrivés. Elle a demandé pourquoi personne ne l'avait appelée pour l'avertir. On lui a répondu qu'on attendait que le troisième livre arrive pour ne pas qu'elle se déplace deux fois.

Anecdote 2: Pendant le Salon du livre de Québec, j'ai marché dans le quartier Montcalm. En voyant mon roman dans la vitrine de la librairie Cartier, je suis entrée pour remercier les libraires qui m'avait fait une belle pile devant la porte. Au fond du magasin, une dame voulait un livre X. Le libraire ne l'avait pas en stock alors il lui a dit: « Je peux vous le commander, si vous voulez. Je l'aurais dans deux semaines.» La dame a dit non et, en sortant, je l'ai entendu dire à son mari qu'elle allait commander le livre sur Amazon.  Quelques semaines plus tard, j'apprenais dans les journaux la fermeture de la librairie Cartier.

Anecdote 3:  À  la fin du mois de mai, une amie écrivaine m'a vanté Amazon. Je l'ai écoutée, ahurie. Une écrivaine littéraire qui achète sur Amazon? Qui s'en vante en plus? Dans le contexte actuel?   Ils ont toujours le livre que je cherche, qu'elle m'a dit. Et je le reçois dans ma boîte aux lettres deux jours plus tard.

Anecdote 4: Il y a quelques semaines, je cherchais un livre qu'une amie m'avait recommandé. Comme ce n'était pas un livre récent et qu'il s'agit d'un essai spécialisé, aucune librairie de Sherbrooke ne le tenait stock. J'ai regardé sur Amazon.ca. Le livre était là, mais on annonçait un délai de deux mois. Leslibraires.ca. l'annonçait sans mentionner de délai.  J'y ai donc passé ma commande. (Note: j'ai commandé deux livres pour obtenir la livraison gratuite.)

Dans les cinq minutes qui ont suivi, j'ai reçu un courriel pour me dire que leslibraires.ca n'avait pas les livres en stock, mais qu'on les demandait à l'instant aux fournisseurs. Je m'attendais à devoir attendre deux mois, mais SURPRISE! J'ai reçus mes livres une semaine plus tard, emballés dans un beau papier, avec une petite note manuscrite.  J'étais tellement contente que j'en ai fait un statut Facebook. 




Pourquoi je vous raconte ça? Pour vous parler de la relation bien spéciale que j'entretiens avec Amazon.  Elle est très semblable, en fait, à celle que j'entretiens avec Walmart. Faut savoir que «j'haïs» Walmart! «J'haïs» son attitude antisyndicat, son pouvoir trop grand, sa façon d'assurer des prix très bas en  mettant une pression terrible sur les fournisseurs et sur les fabricants. Sauf que depuis la fermeture du Zellers, c'est Walmart qui a pris sa place au seul centre commercial de mon quartier.  Alors, quand j'ai besoin de quelque chose (des bobettes pour mon chien, mettons), je dois choisir entre traverser la ville en voiture pour aller magasiner au Carrefour (ce qui me bouffe plusieurs heures selon le trafic) ou bien monter la côte jusqu'au Walmart (ce qui prend 5 minutes, trafic pas trafic). Je vous laisse deviner ce que je fais.

Amazon tient beaucoup de Walmart en ce qui a trait aux pratiques abusives. On n'a qu'à voir la pression qu'elle met en ce moment sur Hachette et quelques autres éditeurs. (Voir à ce sujet cet article de Livres Hebdo)

Mais revenons à Amazon.  J'ai passé ma première commande sur Amazon.ca en 2004.  Faut savoir, là aussi, que je ne lis jamais la même affaire que tout le monde parce que je lis beaucoup en anglais et je lis aussi beaucoup pour faire de la recherche. Surtout dans ce temps-là parce que j'écrivais du roman historique. Les livres que je voulais ne se trouvaient tout simplement pas en librairie.

Amazon est devenue une habitude. Je voyais ça comme un façon drôlement pratique, efficace et rapide d'acheter un livre. Aucun libraire ne pouvait rivaliser avec Amazon.  C'était il y a dix ans. Quelqu'un peut-il rivaliser avec Amazon aujourd'hui?

En 2004, pour obtenir la livraison gratuite, il fallait commander pour plus de 40$. Quelques années plus tard, c'est descendu à 25$. Méchante bonne méthode pour créer une dépendance. Un peu comme les pushers qui se tiennent aux abords des écoles et qui donnent aux jeunes leurs premiers joints ou leurs premières pilules de cochonneries.

Depuis deux ou trois ans, on mesure les effets d'Amazon sur les librairies partout dans le monde. Les petits commerces meurent les uns après les autres pendant qu'Amazon étend son empire.  On ne compte plus les reportages qui dénoncent ses abus. Elle s'est même lancée dans l'édition où elle cause autant de dégâts qu'en distribution. (Voici un excellent reportage à ce sujet).

Tout ça parce qu'Amazon s'est installée un jour dans un espace où il n'y avait personne et qu'elle a rendu accro chaque nouveau client en livrant rapidement la grande majorité de ses livres (souvent en seulement deux jours!). Et en offrant tout un tas de produits « complémentaires » (On peut même acheter des armes sur Amazon.com!), livrés aux mêmes conditions.

Or la grosse bête qu'est Amazon commence à en arracher, elle aussi. À cause justement de sa livraison gratuite. Depuis un an, elle offre un service Amazon Prime. Pour environ 70$ par année, elle donne un service spécial. À peu près le même qu'elle offrait jusqu'ici, mais sans commande minimale.  Ça ne doit pas fonctionner très bien puisqu'il y a un mois, au moment où je passais une commande, elle m'a forcé la main. Une fenêtre s'est ouverte pour m'offrir le service Prime gratuit pour un mois. Après ça, si je ne décochais pas la petite case Prime dans mon compte Amazon, Amazon prendrait 70$ sur ma carte de crédit. Il y avait bien un petit bouton où cliquer pour refuser l'offre, mais il ne fonctionnait pas. Le seul bouton qui marchait, c'était celui qui disait ACCEPTER. Furieuse, j'ai cliqué dessus, mais dès ma commande passée, je suis allée dans mon compte pour décocher le service Prime.

Cette manière de ruser avec des clients trahit une soudaine vulnérabilité. Je vous prédis que lorsque toutes les petites librairies auront fermé leurs portes, Amazon exigera des frais de livraison pour les livres acheter en ligne.

Qu'est-ce qu'on peut faire pour éviter la domination mondiale d'Amazon? Fouillez-moi! Je n'en ai aucune idée. Ma mère aurait dit qu'on combat le feu par le feu.  Au Québec, notre système de distribution de livres est essentiel pour assurer une offre équitable dans toutes les librairies, mais il est lent sans bon sens. Aucune librairie de la province ne peut combattre à armes égales avec Amazon parce qu'Amazon a basé son entreprise sur la vitesse et sur une offre incroyable de livres, récents ou non.

On ne ramènera pas en librairie les gens qui achètent désormais sur internet parce qu'il est impossible de faire reculer la technologie. C'est plate, mais c'est ça! On peut cependant sensibiliser la population et orienter les achats, comme le font les producteurs d'aliments québécois. Mais pour cela, il faudrait offrir des conditions équivalentes.

Mon expérience avec leslibraires.ca m'a convaincue qu'on peut compétitionner avec Amazon quand il s'agit de livre en français. Mais il y a un hic. Mes achats faits sur leslibraires.ca n'ont rien rapporté aux librairies de Sherbrooke. Même chose lorsque j'ai acheté mes livres numériques sur archambault.ca ou renaud-bray.ca.

Peut-être qu'il faudrait réviser notre système et repenser la loi. En tout cas, il faut regarder l'ennemi en face et évaluer ses forces et ses faiblesses. En ce moment, l'ennemi du milieu du livre partout dans le monde, c'est Amazon. Et sa faiblesse semble se trouver dans sa plus grande arme de séduction massive: la livraison rapide et gratuite.

P.-S. Quand j'ai commandé sur leslibraires.ca, je me suis d'abord trompée d'adresse et j'ai tapé lelibraire.ca.  Qui vendait sur lelibaraire.ca? Amazon! J'ai ressayé ce matin avant de publier ce billet, mais la page n'est plus en ligne. Heureusement!

P.-P.-S. Je viens de trouver ce reportage sur les raisons de la vitesse d'Amazon. C'est à tomber en bas de sa chaise. http://www.livreshebdo.fr/article/la-bbc-filme-les-conditions-de-travail-chez-amazon

23 commentaires:

  1. Tu dis "Mes achats faits sur leslibraires.ca n'ont rien rapporté aux librairies de Sherbrooke"
    Pourtant, quand on achète sur leur site, il y a une case qui permet de sélectionner un libraire indépendant de notre choix. Il n'y a pas d'options à Sherbrooke?

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    1. Le site permet de sélectionner une librairie qui va s'occuper de notre achat. Entre aller commander mon livre à la librairie et demander à la librairie, via internet, de s'occuper de mon achat, sérieux, je ne voyais pas grand différence. J'ai donc testé le site lui-même. Et c'est lui que j'ai trouvé efficace. Sur les quatre librairies de Sherbrooke, une seule était listée, la librairie Pauline, où je très très rarement étant donné que les livres qu'on y vend ne m'intéressent pas.

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    2. Moi, à Québec, une librairie que j'aime beaucoup (Vaugeois) fait partie de la liste des librairies qui recevront la petite part de pourcentage de mon achat. Je la sélectionne donc toujours.

      Mais si tu ne fais aucun choix de librairies en particulier, c'est sans importance, car ce site appartient aux libraires indépendants du Québec. C'est pourquoi l'infime pourcentage de ton achat qui retournera aux libraires sera divisé entre toutes les librairies québécoises du réseau.

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  2. En effet, comme le souligne Annie, avec Les Libraires.ca , on peut choisir de faire bénéficier une librairie spécifique de notre achat. Si on ne choisit rien, le profit est, si j'ai bien compris, distribué à travers le réseau.

    Ma méthode d'achat de livres en ligne est désormais la suivante : d'abord LesLibraires.ca. Puis, s'ils n'ont pas ce que je veux (parce que c'est en anglais ou trop spécialisé), ben là je me rabats sur Amazon.

    J'pense qu'Amazon finit malheureusement par être incontournable, mais qu'il y a moyen de l'utiliser en dernier recours et non d'en faire notre première destination.

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    1. Je confirme ce que dit Gen, c'est possible de commander via le site, mais de faire en sorte que les profits aillent à notre librairie de quartier. Par contre, je ne connais pas assez Sherbrooke pour pouvoir dire pour quelles librairies on peut le faire. :(

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    2. Il n'y a que la librairie Pauline sur le site pour la région de Sherbrooke.

      Il me semble, quand j'ai commandé, que ça disait qu'on pouvait choisir la librairie «qui allait s'occuper de notre commande». J'en ai conclu que c'est elle qui recevrait les profits, mais j'ai pensé aussi que c'était elle qui allait commander le livre comme si j'étais passée le commander en magasin. Ça m'a fait un peu peur, mettons, alors je n'ai rien coché.

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    3. Il y a deux options: si on commande par le site web et qu'on demande livraison à la maison, cela veut dire que le livre part de l'entrepôt. Si on demande à passer le chercher en magasin, ce sera à la librairie de prendre en charge le livre et donc, la commande. Donc, si on commande par internet et qu'on fait livrer à la maison, même si on coche une librairie, cela part de l'entrepôt, mais les profits de la vente iront à la librairie sélectionnée. Sinon, comme dit Gen, c'est réparti des librairies membres de la Coopérative des LIQ (librairies indépendantes du Québec) à travers la province.

      Le site des LIQ mentionne en effet uniquement une seule librairie pour la région de Sherbrooke, Médiaspaul. Je ne sais pas si c'est la même que Pauline. :(

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    4. Oui, c'est la librairie Pauline.

      Merci beaucoup pour ces informations. Je SAIS maintenant comment procéder. ;-)

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    5. Ça fait plaisir la Doyenne! :)

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  3. J'aime beaucoup leslibraires.ca, mais faut pas être pressés. Tant mieux si tu as eu une bonne expérience, mais pour nous, ça a toujours été long! On s'y prend d'avance pour les fêtes... Et comme Annie, j'allais dire qu'il y a possibilité de donner des redevances à une librairie de notre choix. Moi, j'aime bien la librairie Vaugeois à Québec.

    Personnellement, j'utilise Amazon, mais jamais pour des livres québécois. Souvent, leurs données ne sont pas bien entrées (pas de couvertures, lettres en majuscules partout, fautes dans les titres) et ça ne m'inspire pas confiance, j'ai peur de pas avoir le bon truc. C'est souvent bien mieux sur leslibraires.ca.

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    1. Je vis la même situation avec Amazon. Ça fait trois mois que j'attends certaines bd et je viens tout juste une commande qui date de quatre mois... Ça dépend vraiment de ce qu'on commande.

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  4. Ce que je me demande, c'est pourquoi il faut deux semaines à une librairie pour obtenir un livre, mais que Leslibraires.ca peut me le faire parvenir en moins d'une semaine.

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    1. Peut-être que le site a une entente différente avec les fournisseurs? S'ils ont centralisé leurs commandes, ils peuvent peut-être faire bouger les fournisseurs plus vite et plus souvent?

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    2. Si c'est le cas, il me semble que ce serait bon d'appliquer l'entente aux librairies.

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    3. Bon, ça, je peux fournir une partie de la réponse ;) Les délais de commande en librairie sont souvent un peu plus long parce que l'on regroupe les commandes pour éviter les frais de transport qui peuvent parfois être assez élevés. Ils commandent donc une ou deux fois par semaine, dépendant du fournisseur. Les libraires qui chargent des frais de transports à leurs clients qui commandent des livres en bas d'une valeur de 25$ sont rares. J'en aie entendu parler, mais c'est davantage l'exception que la règle. Ce montant est directement déduit de la marge de profit des libraires. Pour ce qui est des délais plus longs, il faut aussi prendre en compte que les livres sont parfois indisponibles à l'entrepôt du distributeur, ça aussi peut rallonger les délais (ce qui serait la même chose pour Amazon)

      Pour leslibraires.ca, c'est que tout part d'un entrepôt centralisé. Il peut donc commander chaque jour aux distributeurs un montant suffisant pour éponger les frais de transports. Amazon fonctionne, selon ce que je sais de l'entreprise, sur le même principe.

      J'espère que ça vous éclaire un peu!

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    4. Yes, madame! Merci beaucoup pour cette réponse éclairante.

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  5. Même technique que Geneviève: je vais toujours voir sur leslibraires.ca en premier, surtout si le livre est en français. En plus, comme j'achète beaucoup d'essais, je remarque que les supposément "prix-à-rabais" d'Amazon ne s'appliquent plus quand on entre dans les domaines plus spécialisés! Un article de journal avait confirmé cette constatation l'an dernier... Les "rabais" ne sont plus universels, mais maintenant ce sont surtout sur les gros gros vendeurs.

    Pour les livres jeunesse (j'achète beaucoup là aussi), c'est souvent le même prix (Amazon sait bien que les parents sont prêts à tout pour acheter le prochain Ernest et Célestine, alors pourquoi le réduire?). J'achète toujours sur leslibraires.ca

    Finalement, je n'achète que les livres en anglais sur Amazon. Et encore, si je les veux usagés, je vais voir sur BetterWorldBooks avant (des bibliothèques qui élaguent leurs livres, etc.)

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    1. BetterWorldBooks??? V'là un site que je ne connaissais pas! Je vais souvent sur Abebooks.com (livres d'occasion), mais je n'y trouve pas toujours ce que je cherche. Là, j'aurai une nouvelle possibilité. Hé! Hé! Merci!

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  6. Je viens de trouver sur ce reportage sur la vitesse d'Amazon. C'est à tomber en bas de sa chaise.

    http://www.livreshebdo.fr/article/la-bbc-filme-les-conditions-de-travail-chez-amazon

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  7. Beau billet. Je sympathise avec toi ;)
    J'ai aussi la drôle d'habitude de lire des trucs obscurs et rares comme des albums pour enfants du Japon ou des théories environnementalistes finlandaises... C'est pas mon libraire qui trouve des trucs comme ça :(
    J'ai été libraire pendant deux ans, alors j'ai une bonne connaissance de ce que Renaud-Bray peut encaisser comme demande. Le reste du temps, je me tourne vers abebooks pour faire affaire avec des librairies indépendantes. Les frais de transport sont souvent calculés de façon à ce que le livre revienne au même prix qu'au RB.

    M'en va regarder ton reportage :)

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    1. Merci pour le tuyau, Carl. Je ne savais pas pour le calcul des frais de transport chez Abebooks. J'achetais sur Abebooks dans le temps où il fallait encore envoyer un chèque au libraire par la poste. Comme quoi, c'est pas parce qu'on fréquente un site web depuis longtemps qu'on connaît bien comment il marche aujourd'hui.

      Il y a vraiment des gens qui lisent sur les théories environnementalistes finlandaises? ;-)

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  8. Voici un article de la presse sur les nouveaux moyens de livraison par drones qu'envisage Amazon!!! (http://techno.lapresse.ca/nouvelles/internet/201407/11/01-4783035-amazon-veut-commencer-a-tester-ses-drones-de-livraison.php

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