jeudi 14 août 2014

Pourquoi je déteste «espoir» et «inertie»

Bout d'allée préparé pour l'événement du 12 août au Archambault de Sherbrooke
(photo de Manon Tremblay)

Le 12 août dernier, on a eu la preuve que l'imagination et l'esprit d'initiative n'étaient pas morts au Québec. Et on a vu que quand on les sollicite et qu'on leur laisse beaucoup de liberté, les lecteurs sont au rendez-vous. 

Patrice Cazeault et Amélie Dubé avaient eu une idée de génie deux semaines plus tôt: créer un événement sur Facebook pour stimuler les ventes de livres québécois. Parce qu'on l'a dit assez souvent merci (sur ce blogue et ailleurs), le livre va mal partout dans le monde, et le Québec n'échappe pas à la tendance. Sauf que comme nous sommes un petit marché — Sur 8 millions d'habitants, combien sont des lecteurs? —, un ralentissement des ventes de livres québécois affecte durement nos créateurs parce qu'ils ont peu ou pas accès aux marchés extérieurs. (Contrairement aux écrivains français. Lire à ce sujet l'analyse de Pierre Caron dans le Huffington Post.)

Voilà pourquoi j'ai levé mon chapeau devant l'initiative d'Amélie et de Patrice. Leur idée était novatrice. Je me suis réjouie de voir que la page Facebook est devenue virale le temps de le dire. Plus de 10 500 personnes se sont engagées à acheter un livre québécois le 12 août. C'est pas rien!  Et à 10 500, on peut être certains que c'était pas juste des auteurs. Autour de midi, le site web leslibaires.ca annonçait sur Facebook que les ventes de livres atteignaient un record. Et le soir, ça faisait chaud au coeur de voir les photos des gens qui posaient fièrement avec leur(s) nouveau(x) livre(s). Il y avait de tout, pour tous les goûts, acheté partout, selon les moyens et les occasions.

Deux incidents cependant sont venus ternir un peu la joie que j'ai ressentie devant ce succès. Il s'agit de deux tentatives de récupération. Vous savez, ceux qui ont voulu détourner l'événement pour lui faire épouser une cause qu'il n'épousait pas. Et ceux qui ont créé un événement identique, mais pour servir une autre cause.

Dans les deux cas, j'appelle ça Surfer sur la vague. Et j'«haïs» ça, les gens qui surfent sur la vague parce que ça leur permet de se conforter dans leur petite misère. Autant Patrice et Amélie ont fait preuve de créativité, autant les autres groupes ont fait preuve d'inertie. Et l'inertie, ça m'énerve.

Un écrivain qui fait preuve d'inertie n'innove pas. Soit il gosse sur le même roman sans jamais en venir à bout, soit il répète la même maudite recette parce que, la première fois, ça a fonctionné.

Dans les listes des malédictions qui peuvent frapper un écrivain, l'inertie arrive tout juste après l'espoir. L'espoir que le livre va se vendre. L'espoir que les lecteurs seront là. L'espoir que l'éditeur va se forcer, et le distributeur et le libraire. L'espoir de devenir célèbre. Quand on a ce genre d'espoir, c'est qu'on attend que la solution vienne de l'extérieur, que quelqu'un, quelque part, fasse le miracle qui va nous sauver, nous servir, nous enrichir.

L'espoir et l'inertie sont deux concepts qui ne s'appliquent pas aux gens qui veulent. Vous savez, le verbe vouloir comme dans l'expression : « En tout cas,  lui, il veut.» Vouloir dans le sens de se forcer, de tout mettre en oeuvre pour atteindre un objectif. Agir partout où on peut agir et ne pas se casser la tête avec les facteurs sur lesquels on n'a pas d'influence. Dans le milieu de la construction, on dit  Se pogner. Par exemple: Ce gars-là, lui, il se pogne. Ça veut dire qu'il travaille fort. (C'est la Sorcière qui m'a expliqué le sens de cette expression. J'avoue que, sur le coup, j'avais pas vraiment compris.)

Revenons au 12 août. Ce jour-là, j'ai jasé avec une libraire, et on était toutes les deux d'accord pour dire que si le milieu du livre québécois veut prendre la part de marché qui lui revient, il doit se forcer. Se forcer pour écrire les meilleurs livres possible (pas juste publier pour publier). Se forcer pour mettre sur les livres des couvertures invitantes (pas des images cheap pigées sur internet parce que c'était gratis). Se forcer pour faire un travail éditorial digne de ce nom afin que le lecteur ne soit pas déçu et ait envie d'acheter un autre roman du même auteur.

Les gens qui ont de l'espoir et/ou qui ont de l'inertie sont des gens qui ne se forcent pas. Faire pitié, supplier, copier et détourner, ça marche juste un temps. Si on veut durer, il faut créer, agir, innover, attirer, séduire, convaincre et conquérir. Et ça ne se fait pas en cultivant l'espoir ni en ayant les deux pieds dans la même bottine. Allez, milieu du livre québécois! On se pogne!

9 commentaires:

  1. Je suis bien d'accord qu'il faudrait que les livres québécois sont meilleurs, en général. Évidemment, il y a plusieurs qui sont excellents, mais souvent, on a l'impression qu'ils ont été écrits vite, et édités à peu près pas, simplement par volonté de sortir plus de livre. Dur de blâmer autant auteurs qu'éditeurs quand les subventions vont au nombre de publications et que les droits d'auteur pour valoir la peine doivent venir de plusieurs livres, mais le problème reste là.

    Je suis aussi vraiment d'accord que les couvertures doivent être plus belles. Il est temps qu'on ne se dise plus "Ah, un livre de [maison d'édition]", mais bien "Ah, un livre de [auteur]". Vous êtes une des seules auteurs dont je reconnais les couvertures au premier coup d'oeil, parce qu'il y a un "style Mylène Gilbert-Dumas". Le canevas pareil pour tous les auteurs, avec une photo différente mais la même typo, la même organisation des éléments, bof. Ça s'améliore, heureusement, mais y'a encore du travail à faire.

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    1. L'idée de vendre une auteure autant qu'un livre en s'assurant que les lecteurs reconnaissent qu'il s'agit d'un Mylène Gilbert-Dumas, c'est l'idée de mon éditeur, Martin Balthazar. Une de ses grandes idées, je dirais.

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  2. Il y a des "publieurs" et des éditeurs. Dommage que les uns noient les autres.

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  3. Wow, chère Doyenne, je crois qu'on a des idées semblables sur ce sujet! Je n'aurais pas pris les mêmes mots, mais je partage ce que tu écris. Quoiqu'il en soit, qu'attache sa tuque avec d'la broche, qu'on mette ses souliers ou qu'on s'attelle à la tâche, l'idée reste la même: on a fait un pas, maintenant, au boulot tout le monde, la job est pas finie! :D

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    1. Choisir les mots pour créer un effet particulier, c'est un des privilèges d'une auteure qui écrit sur son blogue. Parce que quand elle écrit un roman, cette même auteure sent peser sur elle le jugement du réviseur linguistique qui va passer son roman au hachoir à viande. Ici, je règne! ;-)

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    2. Lol! Excellent billet et j'aime le commentaire sur les mots qu'on peut se permettre sur le blogue! ;) Si ma directrice littéraire voyait mon "vocabulaire de blogue" (sans parler de ma syntaxe), elle m'étriperait! :p

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    3. Welcome back, Gen! Et toutes mes félicitations!

      Pour le vocabulaire, je sais que tu connais le plaisir qu'on a d'écrire quand on est libre. C'est donc ben plus le fun!

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