mardi 5 novembre 2013

C'est une question de contrat et non une question de Costco

Depuis que le débat sur la nécessité – ou non – d’adopter une politique de prix unique pour les livres fait rage, il s’est écrit bien des commentaires sur les fils d’actualité Facebook, sur les sites des journaux, dans les blogues et ailleurs. Étant écrivaine de métier, je me fais un devoir de les lire en bonne partie, question de me tenir au courant de ce qui se passe dans «mon » univers. Je ne débattrai pas ce matin de ce qui concerne spécifiquement ladite politique de prix, mais plutôt d’un sujet qui la touche de près, soit la rémunération des écrivains quand leurs livres sont vendus dans les grandes surfaces. Parce qu’il semble que les grandes surfaces soient le « grand méchant loup » dans cette histoire. Un grand méchant loup sur le dos duquel on met même des « problèmes » qui ne le concernent pas. Je m’explique.

Depuis août dernier, j’ai lu des centaines de commentaires différents dont plusieurs répandaient des faussetés. J’en ai choisi deux pour bien illustrer la raison de ce billet:

- «Le prix unique du livre, ce n'est pas augmenter le prix du livre, c'est le garder plus longtemps sur les tablettes à son prix normal avant de le brader aux grandes chaînes... et appauvrir encore davantage les auteurs.» –Dixit une auteure évoluant dans le milieu depuis plusieurs années.

- «Autre ignoble fausseté qu'elle a proférée (lire ici Marie Laberge) comme parole d'Évangile: les auteurs perçoivent le même montant en droit (sic) peu importe le prix auquel le livre est détaillé. Peut-être quand on est une auteure de best-sellers qui dicte ses conditions, mais sûrement pas dans tous les cas.» – Dixit un auteur de renom.

Pour commencer, on va éliminer les grandes surfaces de la problématique parce qu’elles n’ont rien à voir dans la rémunération de l’auteur. Qu’elles vendent un bouquin 10%, 25% ou 30% moins cher que les librairies, ce ne sont pas elles qui décident du pourcentage qui ira à l’écrivain. Les grandes surfaces négocient avec l’éditeur – et parfois le distributeur – mais jamais avec l’auteur. Ce qui détermine la part de l’auteur, c’est ce qui est écrit en petits caractères dans la clause de son contrat d'édition portant sur les redevances. Point. Et cette clause est négociée entre l’auteur (ou son agent) et l’éditeur bien avant que le livre se retrouve dans les points de vente.

Mais qu’y a-t-il donc dans cette fameuse clause pour que certains auteurs se plaignent d’être sous-payés? Je connaissais déjà la réponse pour avoir discuté avec plusieurs de mes collègues et un certain nombre d’éditeurs importants, mais j’ai quand même fait un p’tit sondage maison et quelques recherches pour élargir mes horizons. Voici le résultat.

 -Pour environ 75% des écrivains, la clause de rémunération ressemble à ça :   

  1- L’éditeur paiera à l’auteur dix pour cent du prix de vente au détail suggéré pour tout exemplaire de l’ouvrage vendu au Canada… (bla bla bla)

Ou à ça :

2-L’éditeur paiera à l’auteur dix pour cent du prix de vente au détail pour tout exemplaire de l’ouvrage  vendu au Canada…

Qu’est-ce que ça veut dire concrètement? Qu'environ 75% des écrivains reçoivent une rémunération de 10% du prix de détail suggéré pour chaque livre vendu. Le prix de détail suggéré étant le prix régulier du livre, celui que l’éditeur choisit en fonction des coûts de production, du profit espéré et de la part qui ira à chacun des maillons de la chaîne. Par exemple, pour un Filles de Lune, le prix de vente au détail suggéré est de 24.95$. Ce prix est donc le prix repère pour la rémunération de l’auteur. Ainsi, que votre tante paie 24.95$, 18.71$ (rabais de 25% chez Walmart) ou 16.99$ (rabais de 30% chez Costco) pour un Filles de Lune ne changera rien à mes redevances. Je recevrai 2.50$. Sur mes relevés de ventes, il est inscrit un nombre X de livres multipliés par 2.50$ et le total au bout de la ligne. Simple et efficace.

Pour environ 25% des écrivains, la clause de rémunération ressemble à ça :

3-L’éditeur paiera à l’auteur dix pour cent du prix de vente au détail pour tout exemplaire de l’ouvrage vendu au Canada… (Oui, oui, cette clause est écrite de manière identique à la précédente. J’y reviendrai plus bas.)

Ou à ça :

 4-L’éditeur paiera à l’auteur dix pour cent du prix de vente réel pour tout exemplaire de l’ouvrage vendu au Canada…

Qu’est-ce que ça veut dire concrètement? Qu'environ 25% des écrivains reçoivent une rémunération correspondant à 10% du prix de vente réel pour chaque livre vendu. Si je reprends mon exemple d’un Filles de Lune avec cette clause, je recevrais 2.50$ (10% de 24.95$ en librairie), 1.87$ (10% de 18.71$ chez Walmart) ou encore 1.70$ (10% de 16.99$ chez Costco) pour le même livre. Non seulement l’auteur dans cette situation est moins rémunéré, mais je vous laisse imaginer le bordel sur son relevé de ventes. Difficile d’être plus compliqué, voire plus confus.

Je reviens ici au fait que les clauses numéro 2 et numéro 3 sont identiques. Ne vous inquiétez pas, j’ai bien fait mes devoirs. Malgré une formulation pourtant en tout point identique, il s’avère que les auteurs avec une telle clause dans leur contrat ne sont pas tous rémunérés de la même façon. Certains éditeurs interprètent l’expression prix de vente au détail comme s'il s'agissait du prix de vente au détail suggéré, alors que d’autres éditeurs affirment qu’il s’agit du prix auquel le livre est réellement vendu. Qui a tort, qui a raison? Tout dépend de quel côté on se place.

Qu’en dit l’UNEQ?

Lorsque l’on devient membre de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ), on reçoit un document appelé Contrat-type d’édition. Ce document se veut un modèle du meilleur contrat à signer pour un auteur au Québec. La clause des redevances qui nous préoccupe y est formulée comme suit :

En contrepartie de la licence qui lui est accordée, l’éditeur verse en monnaie canadienne, à l’auteur, les redevances (…) suivantes :

Pour la vente d’exemplaires au Canada, des redevances payables pour chaque vente d’exemplaires de l’œuvre, toute taxe applicable en sus, calculées sur le prix de vente au détail (insérer ici un chiffre référant à la note de bas de page dont je parle dans le prochain paragraphe), selon les taux convenus par l’auteur et l’éditeur (…), lesquels ne peuvent toutefois être inférieurs à dix pour cent (10%) par exemplaire pour tout type de format, sauf dans le cas des exemplaires en format poche (…).

Comme vous pouvez le constater, la formulation de la clause suggérée par l’UNEQ est la même que celle retrouvée dans les clauses 2 et 3 plus haut. Toutefois, une note de bas de page indique ceci :

Il importe que les redevances soient calculées sur le prix de vente au détail hors taxes en librairie. L’auteur ne doit pas accepter que le taux de redevances minimum soit appliqué sur des prix de vente inférieurs, tels le «prix de vente au catalogue» (…), le «prix de vente au libraire» (…) ou le «prix de distribution» (…). Cet élément est fondamental dans le calcul de la rétribution de l’auteur. A fortiori, l’auteur ne doit accepter que sa rémunération repose sur les «recettes nettes» de l’éditeur, car ce dernier est le seul qui contrôle les dépenses imputés à la confection et la promotion de l’ouvrage.

Bien sûr, l’UNEQ interprète le sens de prix de vente au détail à l’avantage de ses membres. Mais si l'UNEQ ressent le besoin de préciser avec une note de bas de page ce que signifie cette clause, cela ne confirme-t-il pas qu’il y a effectivement place à interprétation? Et comment savoir à l’avance si l’éditeur avec lequel un auteur signe un contrat d’édition interprétera ladite clause à l’avantage de l’auteur et non au sien? L’éditeur est-il censé avoir lu la note de bas de page?   

Contrairement à la croyance populaire, la rémunération au taux de 10% du prix de détail suggéré est rarement une clause négociée. Il s'agit plutôt d'une clause standard du contrat de base de plusieurs maisons d’édition québécoises. Il n’y a donc pas que les auteurs de best-sellers qui peuvent se targuer d’être rémunérés correctement, c’est la grande majorité des écrivains québécois.

Tout ça pour dire que Marie Laberge a peut-être exagéré un peu en disant que TOUS les auteurs recevaient les mêmes redevances peu importe le point de vente, mais c’est quand même une forte majorité. Si un auteur reçoit moins d’argent pour un livre vendu en grandes surfaces plutôt qu’en librairie, c’est un peu de sa faute. Il est de son devoir de négocier son contrat et non de blâmer Walmart ou Costco pour sa perte de revenus. 

7 commentaires:

  1. Sur quoi t'es-tu référé pour dire 75% et 25%?

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    1. Plusieurs écrivains de multiples maisons d'édition différentes m'ont informé sur la clause de redevances du contrat-type de leur éditeur. Des éditeurs m'ont aussi confirmé ces clauses

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  2. Je remarque que l'UNEQ suggère de faire écrire ledit prix de vente dans le contrat. À défaut, l'ajout du mot "suggéré" après "prix de vente" ajoute à la précision et évite les gué-guerres d'interprétation.

    Personnellement, ce qui me fait sortir les yeux de la tête c'est quand je vois un auteur qui accepte un pourcentage moindre parce que son livre est un "format poche"... Mais que le grand format n'existe pas! (Et, à première vue dans ce temps-là, la clause a l'air d'être celle de l'UNEQ!)

    Oh et une note générale : on a toujours le droit de consulter un avocat. S'il y a une clause de confidentialité en bas de votre contrat qui dit que vous pouvez pas le montrer ou en discuter avec qui que ce soit, vous pouvez quand même aller voir un avocat. (Et s'il y a une clause de même dans votre contrat, à moins d'avoir signé 16% de droits d'auteurs sur le prix de détail suggéré (ou autre deal du siècle), vous êtes probablement mieux d'aller voir un avocat).

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    1. Où est-ce que tu vois que l'UNEQ suggère d'écrire le prix de vente au détail? Ce que je dis, c'est qu'il y a, après l'expression "prix de vente" un chiffre référant à une note de bas de page expliquant ce que devrait signifier ledit prix de vente. Mais peut-être me suis-je mal exprimé. Je corrige ;)

      Pour le reste, je suis tout à fait d'accord avec toi! Vaut mieux s'informer avant qu'après...

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    2. Ah non, désolée, ça c'était pas le conseil de l'UNEQ, c'était un conseil que moi j'ai obtenu de quelqu'un d'autre! lolol! ;) (S'il est écrit "prix de détail (24,99$)" dans le contrat, ça devient gênant de tricher!)

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    3. J'ai malheureusement découvert cette interprétation adaptable avec l'un de mes éditeurs. Le prix suggéré était de 7 dollars, je vous laisse imaginer les sous que j'ai ramassé avec les ventes au rabais! J'aime ton idée Geneviève, mais il arrive souvent qu'on signe notre contrat avant le montage, et donc que le prix soit fixé. Mais je garde ça en mémoire!

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    4. @Nomadesse : En effet, c'est pas toujours possible, mais quand c'est des formats fixés par une collection, l'éditeur sait bien souvent combien il va vendre le livre, puisque tous les livres de la collection sont au même prix.

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