vendredi 29 novembre 2013

La niaiserie d'un reportage de Radio-Canada

Radio-Canada a mis cette capsule en onde dimanche:  La précarité financière des auteurs québécois. 

J'ai un malaise avec ce qu'on dit ici du milieu littéraire. De toute évidence, ce journaliste ne sait pas de quoi il parle parce que si on est dans le milieu depuis le moindrement longtemps, on voit qu'il n'a pas approfondi son sujet avant de faire son reportage.

«Au-delà de l'aspect festif du Salon du livre de Montréal, il y a ces écrivains qui vendent mille, deux milles exemplaires de leur roman s'ils sont chanceux et qui reçoivent des redevances. Trop peu disent certains, mais c'est suffisant au niveau des redevances disent les éditeurs que nous avons rencontrés. Le débat est lancé!» Quelle niaiserie, quand même! Tout le monde se trouve toujours trop peu payé et trouve toujours qu'il paie trop. Cette vérité de La Palice ne s'applique pas qu'au monde du livre.

 «Considérant le nombre d'heures passées à écrire, la plupart des auteurs sont loin de gagner le salaire minimum.» J'espère bien! Si on payait les écrivains à l'heure, tout le monde prendrait vingt ans pour écrire un roman. Voyons donc! Le roman prend le temps qu'il prend. Ça diffère d'une personne à une autre, d'un livre à un autre. Il n'y a pas de standards du temps requis pour écrire.  

«Le Salon du livre nous montre des écrivains tout sourire, mais plusieurs en arrachent.» C'est vrai qu'il y a des écrivains pauvres, mais ils ne le sont pas pour les raisons présentées ici. Ils le sont, règle générale, parce que leurs livres se vendent peu. S'ils n'arrivent pas à joindre les deux bouts avec 10%, ils n'y arriveront pas davantage avec 12 ou 15%.  Il faut savoir qu'il y a trois facteurs qui influencent les redevances d'un écrivain. 1. Le pourcentage de redevances (habituellement 10% du prix du livre). 2. Le prix du livre lui-même (entre 20$ et 30$ pour un roman adulte). 3. Le nombre de livres vendus (la moyenne étant de 800 exemplaires par livre au Québec).

Le calcul est simple. Si la moyenne représentait un auteur réel, ça donnerait ceci:
 10% de 30$ (pour les romans les plus chers) X 800 livres vendus = 2400$.

Dans la réalité, il y a des auteurs qui vendent 80 livres et d'autre qui en vendent 50 000. La moyenne dont il est question dans ce reportage ne représente pas un auteur moyen. Il s'agit juste d'une vue de l'esprit.

De plus, en aucun cas il ne s'agit de salaire annuel parce que personne (à part peut-être ce journaliste) ne pense que l'auteur travaille 40 heures/semaine sur son roman pendant un an.

 «Le revenu annuel médian d'un écrivain québécois est de 2450$» S'il y avait vraiment des auteurs pour vivre avec 2450$ par année, je comprendrais qu'on dise ça, mais dans ce cas, c'est une grossière exagération.  Un écrivain qui reçoit si peu de droits d'auteur a une autre job et donc un autre salaire. Si ce n'est pas le cas, il a besoin de se faire soigner parce qu'il est suicidaire.

Comme le dit Michel Vézina, l'auteur a 10% de redevances parce qu'il y a une grosse machine derrière lui. S'il en veut davantage, il peut s'autopublier sur papier ou sur Internet. Dans le monde d'aujourd'hui, c'est plus facile que jamais. Sauf qu'il devra alors assumer les coûts de révision (s'il veut faire un bon travail), de production, de diffusion et de promotion. Et pour réussir à vendre des livres, qu'ils soient en papier ou numérique, il faudra mettre le paquet en promotion ce qui coûte beaucoup d'argent.

Avis aux intéressés: «Si on veut se mettre riche dans la vie, faut pas faire des livres.» dixit Michel Vézina. Je dis à peu près la même chose dans mes billets sur l'écrivain et l'argent quand j'explique que l'écrivain qui veut vivre de sa plume doit faire vœu de pauvreté. Après, quand l'argent rentre, on se trouve riche. Mais il faut avant tout savoir dans quoi on s'embarque. Et il faut en assumer les conséquences. La précarité financière qu'on dit si terrible, c'est le prix que l'écrivain paye pour avoir la liberté de créer. Point à la ligne. Et que je n'en voie pas un s'en plaindre. Faire pitié en affaire, c'est jamais winner.

p.s. Les éditeurs étaient bien furieux (on les comprend) de passer ici pour les méchants qui ne veulent pas payer les pauvres auteurs. Voici deux réactions sur le blogue de l'ANEL (Association nationale des éditeurs de livres)


2. Le rôle de l'éditeur.

Et vous, vous en avez pensé quoi de ce reportage?


9 commentaires:

  1. Anecdote sur le même sujet.
    Quelqu'un est passé à ma table durant le salon, et je ne sais pas si c'est parce qu'il avait vu le reportage en question, mais voici, mot pour mot, ce qu'il m'a dit:
    " Avez-vous remarquer qu'il y a plusieurs auteurs auxquels il manque des dents... c'est à cause de leur pauvreté, ils ne peuvent pas se payer des partiels"!

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  2. C'est bien qu'on martèle le fait que les écrivains ne font pas des millions avec leurs livres, sauf exception.

    Mais je serais curieuse de savoir combien gagnent en moyenne les écrivains qui écrivent à temps plein. Entre les droits d'auteurs et les animations et les bourses, j'suis sûre que ça devient plus décent comme revenu (même si ça flirt avec le seuil officiel de la pauvreté).

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  3. Et je sais pas c'est quoi cette idée de faire passer les éditeurs pour des gros méchants qui exploitent les auteurs!!! (J'veux dire : y'a deux ou trois exceptions, mais on les connaît) Le journaliste qui a conçu le reportage, il s'est fait refuser un manuscrit ou quoi?!? O_o

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    1. Aaaaahhhhhhhh!!!!!!!! Tu viens sans doute de mettre le doigt dessus. ;-)

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    2. Ça fait cliché, mais je crois en effet que c'est le cas... En tout cas, j'ai trouvé cela un peu bas moi aussi...

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  4. merci de corriger le tir !!! J'en discutais justement le coup avec une amie auteure qui, comme moi, gagne bien sa vie dans le domaine (mais oui, il y en a!!!) et on ne se reconnaissait vraiment pas dans ce reportage. merci !
    et je signe avec plaisir
    alain m. bergeron
    auteur jeunesse

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    1. L'avantage de ce reportage, c'est qu'il nous permet d'imaginer la montagne de manuscrits que Bryan Perro va devoir évaluer dans les prochaines semaines.

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  5. Très intéressant ce billet. Je suis en général d'accord, sauf pour le point sur le salaire horaire. Même un livre court qu'un écrivain expérimenté écrit rapidement finit souvent par donner un salaire horaire dans les cennes et ça, oui, c'est frustrant. Okay, on ne devrait pas compter ça en heures, c'est de l'Art, c'est la passion, etc.... mais quand même.

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