vendredi 23 août 2013

Le livre à prix unique, déshabiller Pierre pour habiller Jacques?

Avertissement : Avant qu'on s'empresse de m'écrire une lettre de bêtises, aussi bien vous le dire tout de suite : comme souvent, je pense à contre-courant. Les arguments en faveur du prix unique, je les connais. Tout le monde me les sert depuis des mois. Personne, cependant, n'ose parler des conséquences cachées qu'aurait cette mesure si elle était adoptée. Comme je le dis souvent, attachez votre tuque avec de la broche.

On parle beaucoup ces jours-ci de fixer le prix du livre au Québec. Loin de me rassurer, les arguments qu'on dépose en faveur de cette réglementation me donnent froid dans le dos. Je ne vous cacherai pas que ce qui m'inquiète, c'est mon propre sort. C'est aussi celui de tous les écrivains qui vivent de leur plume au Québec.

Avant de commencer mon argumentation, je veux dire que je ne peux pas passer devant une librairie sans y entrer et sans acheter un livre. C'est une maladie. J'ADORE les librairies. Les grosses, les petites, les lumineuses toutes propres et les racoins encombrés. Celles où on vend des livres neufs, mais aussi celles où on vend des livres usagés. 

Pour rien au monde je ne souhaiterais la disparition de ces alcôves de culture, de connaissances, de plaisirs et de rêves. Ces librairies assurent la variété de l'offre littéraire. Sans leur présence, il serait facile aux grandes chaînes d'imposer leurs choix et de n'offrir aux lecteurs qu'une sélection limitée de livres. Comme tout le monde, je voudrais que, socialement, nous trouvions une solution. Mais le livre à prix unique n'est pas une panacée. Et ce n'est pas une solution sans conséquence négative, quoi qu'en disent certains des mémoires présentés cette semaine à l'Assemblée nationale ou certains textes publiés dans les journaux.

Pour voir dans ce projet une menace, il faut peut-être se trouver de l'autre côté, du côté obscur de la Force. Là où je me trouve, avec les autres auteurs dont les livres sont vendus dans les grandes surfaces.

Tout d'abord, pourquoi en sommes-nous rendus à vouloir déterminer politiquement le prix des livres vendus au Québec? La réponse est simple : les librairies indépendantes en arrachent. Leur chiffre d'affaires a baissé, et plusieurs sont menacées de fermeture (Certaines ont déjà disparu.)  Les librairies indépendantes et plusieurs acteurs du milieu du livre ont identifié trois causes à ces déboires : l'apparition « soudaine » du livre numérique, la vente de livres en ligne et la vente de best-sellers dans les grandes surfaces (Costco, Walmart et cie.). L'idée du livre à prix unique vise à résoudre ce dernier problème.

La croyance du milieu du livre est la suivante : Les grandes surfaces, parce qu'elles achètent en grande quantité, offrent à leur clientèle un rabais substantiel sur les best-sellers. De ce fait, elles font perdre des ventes aux librairies indépendantes, qui, elles, n'ont pas le choix de vendre le livre au prix de vente suggéré. La solution envisagée par le milieu du livre est donc d'imposer un prix unique de manière à empêcher les grandes surfaces de vendre les livres au rabais. On tient pour acquis, ici, que le lecteur se rendait dans une grande surface spécifiquement pour acheter un livre parce qu'il y était moins cher. Dorénavant, il ne devrait plus hésiter à l'acheter en librairie parce qu'il se dira que le livre y est vendu au même prix.

J'ai une grande nouvelle pour tous ceux qui ont foi en une telle vision du monde : les gens qui achètent des livres dans les grandes surfaces fréquentent peu ou pas les librairies. Ils achètent les livres parce qu'ils sont là, sous leurs yeux. Il s'agit d'achats souvent impulsifs. Et advenant que le magasin à grande surface décide que ça ne vaut plus la peine de vendre des livres lorsqu'on aura fixé le prix unique, le lecteur qui avait l'habitude d'acheter le dernier best-seller chez Walmart ou chez Costco n'ira pas à la librairie. Il lira tout simplement autre chose sur Facebook. Et il dépensera son argent autrement.

Pour comprendre l'ensemble de la situation (et non pas juste une dimension), il importe de remonter un peu dans le temps.

Il y a une vingtaine d'années, les distributeurs de livres ont pris l'initiative de multiplier les points de vente de manière à rejoindre davantage de lecteurs. On s'est mis à voir des livres dans les pharmacies, chez Zellers, et à plein d'autres endroits saugrenus. Tout à coup, les clients pouvaient acheter le dernier titre de Marie Laberge en même temps que du dentifrice, un galon d'huile d'olive ou des bobettes pour le p'tit dernier. Évidemment, les ventes en librairie ont baissé. Mais le nombre de gens rejoint par les livres, lui, a augmenté. Et les ventes de livres aussi.

À peu près à la même époque où les livres entraient chez Zellers se produisait au Québec une autre révolution…

Pendant longtemps, les best-sellers qu'on trouvait au Québec étaient des traductions de l'américain ou nous arrivaient de France. Dans les années 1990, des maisons d'édition originales ont pris l'initiative de s'intéresser aux manuscrits boudés jusque-là, parce que jugés pas assez « littéraires ». Surprise! Il y avait dans ce lot des textes capables de rejoindre le même lectorat que les traductions américaines et les romans français. Ces textes étaient écrits dans une langue qui était exactement la nôtre. Ils racontaient des histoires qui nous ressemblaient, avec des lieux qu'on connaissait. Grâce à l'audace de ces maisons d'édition, le Québec a vu naître toute une génération d'écrivains grand public, des conteurs nés qui possédaient une plume accessible à un très vaste lectorat. 

Leur arrivée sur le marché du livre provoqua une explosion de culture québécoise. Les lecteurs, rejoints par ce qu'ils lisaient, ont forcé les libraires à modifier leurs étalages. Avant, quand on cherchait de la littérature québécoise, il fallait aller dans les rayonnages au fond du magasin. En vingt ans, les livres des écrivains québécois sont partis du fond et se sont retrouvés devant, sur des cubes, aussi en évidence sinon davantage que les importations. Et grâce à l'initiative des distributeurs de livre pour diversifier les points de vente, on les retrouve jusque dans les grandes surfaces, à côté des Stephen King et Marc Lévy de ce monde. 

Je fais partie de ces écrivains, comme une cinquantaine d'autres au Québec. Des écrivains dont le tiers des revenus provient des ventes dans les grandes surfaces. Le tiers! C'est pas rien! J'aimerais croire que le lecteur impulsif qui achetait mon roman en même temps que son fromage parmesan chez Costco ira chercher mon roman dans une librairie si Costco décide de ne plus vendre de livres parce qu'on lui interdit d'en baisser le prix. Les libraires pensent que oui. L'UNEQ pense que oui. Plein de maisons d'édition pensent que oui. Moi, j'en doute. Tout simplement parce que ma parenté et mes voisins — vous savez, ces gens ordinaires qui tiennent un budget serré chaque mois — ces gens-là ne vont pas dans les librairies[1]. Et puis pour le prix des trois livres qu'ils achetaient chez Walmart, ils n'en auront désormais que deux… si jamais ils se rendent à la librairie, ce dont je doute. Certes, s'ils y vont, ce sera deux ventes de plus pour le libraire. Mais ce sera une vente de moins pour les écrivains et leurs éditeurs. S'ils y vont...

Mais vous savez, ce qui m'horripile le plus, c'est que ce sont les best-sellers qu'on vise avec cette mesure. Et dans ce lot, il y a beaucoup de romans grand public québécois, ces romans écrits pour nous par nous. Vous me direz que ce sera pareil pour tous les livres, et je vous répondrai qu'on ne trouve que les best-sellers chez Costco, Walmart et compagnie. Et vous savez qui achètent les best-sellers? Les gens ordinaires, la classe moyenne (Je sais, encore eux, mais que voulez-vous, c'est la vérité!), ceux que les livres dits « littéraires » n'intéressent pas. Ceux qui lisaient, autrefois, des traductions de l'américain et des importations françaises. Oui, ils existent. Et oui, ils furent lents à s'intéresser aux livres d'ici. Mais s'ils achètent québécois aujourd'hui, c'est parce que les règles du marché leur ont donné accès à nos livres. 

Un chroniqueur dans la Presse écrivait jeudi que ces gens-là, s'ils n'avaient pas les moyens d'acheter des livres à la librairie, n'avaient qu'à se tourner vers la bibliothèque. Une bibliothèque, c'est bien, ça fait lire une partie de la population. Mais ça ne fait pas vivre un éditeur. Et encore moins un écrivain. Ça le fait connaître, oui. Mais ça s'arrête là.

Je ne sais pas comment on peut sauver les petites librairies. Vrai qu'elles sont en danger. Vrai que leur situation nous concerne tous. Mais en instaurant le prix unique, je me demande si nous ne sommes pas en train de sacrifier toute une génération d'écrivains qui vivent de leur plume pour sauver les libraires indépendants. C'est ce que j'appelle déshabiller Pierre pour habiller Jacques.

C'est certain que quelqu'un doit payer pour maintenir les librairies en vie. Mais changer de cette manière les règles du marché, c'est refiler la facture aux lecteurs de romans grand public. Dans un contexte où éditeurs et auteurs se plaignent d'une baisse marquée des ventes depuis l'avènement de Facebook, rendre ces livres plus difficiles d'accès m'apparaît un choix douteux. Il doit bien y avoir d'autres solutions pour sauver nos librairies. Parce que nous ne sommes que 8 millions. Pas 66 millions, comme en France. Avec une si petite population (dont une fraction seulement est un lecteur potentiel), demander aux écrivains grand public de renoncer à un tiers de leurs revenus, c'est les condamner au silence. Point à la ligne.

Mot de la sorcière : La question du prix unique a souvent été un sujet de conversation entre la doyenne et moi, et nous sommes chaque fois arrivées aux conclusions étayées dans ce billet. Son opinion est donc un reflet de la mienne puisque je fais aussi partie de ces écrivains qui gagnent leur vie avec leur plume. 

Et pour ceux qui auraient envie de me faire remarquer que c’est une pensée égoïste que de me préoccuper de mes droits d’auteurs et non du sort des librairies ou de la diversité culturelle, je répondrai que c’est aussi ce que je fais – me préoccuper des autres – en émettant des doutes sur la solution proposée. Parce que si des écrivains comme la doyenne et moi retirent une large part de leurs droits d’auteurs des ventes en grandes surfaces, leur éditeur également. Et je pense pouvoir affirmer que ces revenus supplémentaires ne sont pas systématiquement réutilisés pour l’unique bénéfice de l’auteur en question, mais pour celui de l’ensemble des auteurs de leur maison d’édition. Plus d’argent pour un éditeur, c’est plus d’argent pour faire la promotion des auteurs québécois, plus d’argent pour offrir des livres de qualités, plus de possibilités que l’éditeur prenne un risque en publiant un livre sortant des sentiers battus, plus de place pour les nouveaux auteurs. 

Si la visibilité et les ventes que nous procurent les grandes surfaces disparaissaient avec la venue possible du prix unique – parce que Costco ou un autre cesserait de vendre nos bouquins, faute de pouvoir le faire à rabais – où irions-nous chercher ce manque à gagner dans une industrie culturelle déjà en difficulté?  Parce que la doyenne a particulièrement raison quand elle souligne que la mère qui doit trouver des vêtements au p’tit dernier, la grand-mère qui va chercher des médicaments ou le père qui fait l’épicerie achètent souvent leurs livres sur un coup de tête dans le commerce où ils sont et ne se déplaceront pas vers les librairies. Rendu-là, non seulement on aura déshabillé Pierre, mais Jacques restera tout nu…






[1] Si vous voulez une preuve de ce que j'avance, venez faire un tour dans l'Est, à Sherbrooke. Il s'agit d'un quartier ouvrier de 30 000 personnes où on ne trouve même pas de librairie. On a un Walmart, cependant, et une vingtaine de pharmacies!

mardi 13 août 2013

Le défi d'adapter son propre roman au cinéma

Voir son roman adapté sur grand écran, c'est le rêve de tout écrivain. Quand on réalise tout à coup que notre histoire va prendre une autre forme, rejoindre un public différent qui va désormais peut-être s'intéresser à nos livres, on doit se pincer pour y croire. Toute notre vie on s'est dit que ces affaires-là, ça existe juste dans les contes de fées. Ben c'est un conte de fées qui s'est offert à moi il y a quelques mois et dans lequel je suis plongée jusqu'au cou depuis quelques semaines.

Dans mon cas, l'achat des droits cinématographiques par Gaëa Films venait avec une condition: je devais accepter d'écrire le scénario. Si je disais non, l'offre tombait à l'eau. J'ai dit oui. Mais j'avoue que je ne savais pas vraiment dans quoi je mettais les pieds. J'y allais au pif. Mais comme l'a déjà dit Ray Bradburry:

« Si nous n'écoutions que notre intellect, nous n'aurions jamais d'histoires d'amour. Nous n'aurions jamais d'amitiés. Nous ne démarrerions jamais d'entreprises, parce que nous serions cyniques... Eh bien, c'est un non-sens. Il faut tout le temps sauter du haut des falaises et bâtir ses ailes dans la descente. »

J'ai donc sauté dans le vide. Au moment d'écrire ces lignes, je descends encore. Et mes ailes ont commencé à pousser.

Ce n'est pas évident de prendre un roman de 360 pages bien denses pour en faire un scénario de 120 pages bien aérées. Ça implique de sortir l'essentiel du récit, de repérer ce qui, au cinéma, deviendrait une digression. Faut « dégraisser » l'histoire, trouver LE fil conducteur cinématographique là où il y en a trois à l'écrit.

Je comprends les écrivains qui refusent le défi, même quand on leur offre sur un plateau d'argent, même avec la paie substantielle qui accompagne ce genre de travail. Parce que ça demande de l'imagination en titi pour prendre un paragraphe qui se déroule en entier dans la tête d'un personnage et le transformer en actions et en dialogues. Des fois, il faut faire des changements, fusionner des personnages, en laisser d'autres de côté. Il arrive même qu'on doive en créer pour conserver la cohérence du récit.

Si, comme le disait Stephen King, écrire un roman, c'est déterrer le squelette d'une histoire avec un petit pinceau d'archéologue, écrire le scénario d'un film à partir d'un roman implique parfois de changer un os du squelette. Ce qui passe bien dans un roman ne passe pas nécessairement bien à l'écran. Ça crève le cœur, mais c'est comme ça.

Pour ma part, j'ai pris le parti de voir les choses autrement. J'écris ce qui serait une deuxième version de l'histoire de Yukonnaise. Quelque chose de plus concentré, de plus intense aussi.  Et j'ai du fun comme c'est pas permis! Certains jours, je m'amuse tellement que je me dis que c'est moi qui devrais payer Gaëa Films pour avoir le droit de jouer avec mes personnages comme je le fais. Heureusement pour mes finances personnelles, mon agent est contre cette idée et se sert de son droit de veto pour s'opposer à  toute proposition de ce genre.

N'empêche, je sais que je vais décevoir des gens. Je suis obligée de couper dans l'histoire, et il y a nécessairement des lecteurs qui vont être déçus de ne pas retrouver à l'écran TOUT ce qui était dans le livre. Mais pour ce faire, il aurait fallu une minisérie étalée sur deux ans!

Je pense beaucoup ces temps-ci à George R. R. Martin, l'auteur de A Game of Thrones. Et je pense aux scénaristes qui ont travaillé à partir des romans. Je leur lève mon chapeau. Parce que même si j'ai beaucoup aimé la première saison à HBO, j'ai été déçue de ne pas retrouver à l'écran tout l'humour, toute la verve et tout le cœur de Tyrion. 

L'expérience que je suis en train d'acquérir en ce moment me prouve que si j'ai tellement aimé Tyrion et si je le connaissais aussi bien, c'est que le roman m'avait permis d'entrer dans sa tête, de penser avec lui et de souffrir avec lui. La lecture m'avait aussi permis d'apprécier les origines de sa bonté. Toutes ces choses sont IMPOSSIBLES à rendre à l'écran. Il aurait fallu une saison complète de la minisérie juste sur Tyrion. Puis une autre sur Jon Snow, puis une autre sur Aria, etc. Ça n'aurait plus eu de fin et nous, en tant que spectateurs, nous nous serions lassés.

J'en arrive à la conclusion qu'il y a des prouesses qu'on ne peut raconter que dans un roman parce qu'un roman, c'est multidimensionnel. Ça s'étire autant qu'on veut, tant qu'on en a besoin. Un film, ça dure deux heures. Mais en deux heures, on peut faire d'autres sortes de prouesses. Comme vous faire chavirer le coeur en vous racontant une bonne histoire et en vous immergeant visuellement et émotivement dans la vie yukonnaise.

J'espère que le film qu'on tournera avec mon scénario vous plaira. Moi, je l'adore!