mardi 29 avril 2014

Le fidèle compagnon de la Doyenne

La semaine dernière, une écrivaine commentait mon billet en me faisant remarquer que je ne parlais jamais de mon caniche sur ce blogue. Ça m'a troublée. Vous savez, comme quand un ami qu'on n'a pas vu depuis longtemps vous demande des nouvelles de vos parents et que vous cherchez comment leur dire: «Ils ne vont pas bien.»

Je me souviendrai toujours du soir où la Sorcière et moi avons eu l'idée de ce blogue. C'était à l'automne 2012, pendant le lancement du dernier roman de Patrick Nicol, au restaurant Kapzak. Le journaliste Dominic Tardif venait de nous payer une bière. C'était notre deuxième pinte. On cherchait un nom pour ce blogue où on parlerait du métier d'écrivain de l'intérieur, sans cachotteries. Où on décrirait aux nouveaux écrivains et aux aspirants ce qu'il en était vraiment du métier. On riait beaucoup (comme toujours). J'ai lancé soudain: «Une doyenne, une sorcière et un caniche.» On a trouvé que ça avait de l'allure. On a testé notre idée auprès de Patrick en lui expliquant qui était qui. Il nous a regardées comme si on était des extraterrestres. On a pris ça pour un signe.

En janvier 2013, donc, on publiait notre premier billet. Depuis, le blogue a reçu 25 404 visites. On n'en revient toujours pas!

Mais venons-en au caniche. Sir Lancelot a longtemps été un jeune chiot. À 8 ans, il était persuadé qu'il avait encore 8 mois et s'excitait longtemps pour un rien. Les chats et les écureuils du quartier venaient le narguer, mais restaient de l'autre côté de la clôture. Vous imaginez qu'autant d'énergie chez un chien nécessitait une LONGUE promenade quotidienne. Ça tombait bien, c'était justement pour ça que j'avais choisi Sir Lancelot. (Je ne suis d'ailleurs pas la seule à avoir fait le lien entre la marche et la créativité. Une étude vient de le prouver.) 

À 9 ans, Sir Lancelot est devenu le chien idéal. Il s'était calmé et je pouvais enfin l'amener quand j'allais au centre-ville pour boire une bière sur une terrasse. Il se couchait sous ma chaise et restait là, bien tranquille. Un miracle! que je me disais.

Il avait 10 ans au moment où la Sorcière et moi avons créé ce blogue. J'étais persuadée que nous avions encore toute la vie devant nous étant donné que l'éleveur m'avait avertie que ses chiens vivaient facilement jusqu'à 18 ans.

En avril 2013, Sir Lancelot a commencé à débouler les marches. Puis il a refusé de sortir pour sa promenade. Il a arrêté de manger aussi. Le vétérinaire a diagnostiqué un trouble neurologique doublé d'arthrite. Et il a réfuté les prétentions de l'éleveur. Un caniche royal vit 12 ou 13 ans.

Depuis, Sir Lancelot a vieilli. En plus de son trouble neurologique et de son arthrite, il ne voit pas très bien la nuit, il est sourd et il développe fréquemment des infections diverses parce que la cortisone, qu'il prend en grande quantité, affaiblit son système immunitaire. Il tombe plusieurs fois par jour et se lève avec tellement de difficulté qu'il faut souvent l'aider. (Il pèse 70 livres, ça vous donne une idée de l'effort.) Mais il mange! Et il a du nez comme jamais il n'en a eu dans sa vie! Il trouve en quelques secondes les biscuits que je cache dans le salon, derrière les livres ou dans mes bottes. Il ne sort que dans sa cour, ne chasse plus les écureuils ni les chats, mais s'allonge toujours au soleil. Il ronronne quand on le caresse, se tourne même sur le dos pour se faire gratter le ventre.  Il est aussi heureux qu'avant quand je rentre d'un voyage ( que ce soit à l'épicerie ou au Yukon) et il me tient toujours compagnie quand je travaille. Il est juste vieux. Et malade, comme bien des vieux. C'est pour ça qu'il se lève tard le matin et se couche tôt le soir.

Pourquoi je ne vous parlais pas de lui? Tout simplement parce qu'il a fallu que j'accepte que l'espérance de vie de mon chien ne se compte plus en années, mais en mois. Parce que mon vétérinaire est sur le point de me décerner un certificat de gérontologie canine. (Je sais même donner des injections!). Je connais tous les trucs pour faire avaler de grosses pilules deux fois par jour à un chien qui n'en veut pas. Mes vêtements sentent le fauve en permanence, que je les lave ou pas. J'ai réduit ma vie sociale pour passer plus de temps à la maison. Déjà que les salons du livre et les voyages prévus depuis longtemps me privent de Lancelot et lui, de moi! J'ai aussi demandé au vétérinaire de me vendre une passe de saison (Comprendre ici que j'ai pété le 3000 $ de soins et d'analyses depuis janvier. Et ça, c'est sans compter les médicaments et la bouffe spéciale.).

Pour ménager ses plaies de lit, Lancelot porte fièrement un coton ouaté
faisant la promotion de l'équité salariale chez les enseignants.
(Je vous ai déjà dit que j'ai épousé un président de syndicat à la retraite.)

S'il fait plus chaud, il enfile un t-shirt à l'effigie du logiciel Antidote.
On est chien d'écrivaine ou on ne l'est pas!

Vivre la vieillesse de son fidèle compagnon d'écriture, ça fait mal et c'est triste. Tous les jours. Alors je préfère vous parler d'autre chose.

La Doyenne

p.s. Prière de ne pas me demander si j'envisage d'adopter un autre chien quand celui-là sera mort. Je ne peux même pas imaginer ce que sera ma vie sans Lancelot, encore moins lui imaginer un remplaçant.

p.s. Prière aussi de vous abstenir de me parler d'acharnement thérapeutique. On n'euthanasie pas les vieux parce qu'ils prennent des pilules, parce qu'ils ont mal au dos, parce qu'ils ont des petites infections, parce qu'ils s'ennuient, parce qu'on doit s'en occuper davantage qu'avant. 

mardi 22 avril 2014

Du temps pour écrire

Vanitas de Philippe de Champaigne
"La nature est belle, mais souviens-toi que tu es mortel, et que passe le temps"

Il y a deux semaines, le blogue enviedecrire.com publiait deux entrevues où des écrivains donnaient leurs trucs pour écrire un roman par année. Dans la première, Douglas Kennedy affirme: «… j’écris 500 mots tous les jours, six jours sur sept. Au bout d’un an, vous avez un roman. »

Dans l'autre entrevue, Marianne Jaeglé écrit: «Vous n'aurez jamais davantage de temps que ce dont vous disposez aujourd'hui.» Et elle cite l'écrivain américain John Crowley:  « Une page par jour = un livre par an. Deux pages par jour = deux livres par an. Et combien de temps cela prend-il d’écrire une page ? Vingt minutes ? Une heure ? Alors vous voyez : En fait c’est très simple, d’écrire un roman. » 
Après avoir lu ça, je me suis dit qu'il fallait que j'en parle sur le blogue parce que, franchement, cette perception du temps d'écriture ne correspond pas du tout à ma réalité.
J'écris depuis que je suis adolescente. Je me suis toujours vue comme une écrivaine en puissance, mais dans la réalité de la vie rationnelle, j'étais censée devenir ingénieure en électricité. Après six semaines en ingénierie, je me suis poussée… et je suis devenue un prof-de-français-au-secondaire-qui-rêve-d'écrire.
Entre un emploi d'enseignante à temps plein (préparation, cours, correction), l'éducation et l'amour qu'une mère réserve à sa fille (que j'ai eue tout de suite après l'université), l'entretien d'une maison et d'une relation conjugale avec un homme qui ne comprenait pas grand-chose à mon envie d'écrire, mon existence avait l'air d'une promenade en Formule 1 sur l'autoroute 20. Tu viens juste de quitter Québec que t'es déjà rendu à Montréal. Tout allait toujours trop vite. Je m'étais donc fait à l'idée que j'écrirais quand je prendrais ma retraite.
J'avais 28 ans quand un de mes amis a fait un AVC. Il venait d'avoir 60 ans. Il avait été courtier en immobilier et avait pris sa retraite cinq ans plus tôt parce qu'il voulait peindre. Dans le lit d'hôpital où il gisait, il m'a dit: « Si tu veux vraiment écrire, n'attends pas. Tu ne sais jamais ce qui peut t'arriver. Regarde-moi!» Un an plus tard, alors que la rééducation lui permettait enfin de marcher, il faisait un deuxième AVC. Quelques mois après, il se suicidait et me servait la plus sérieuse leçon de ma vie.
Du temps, je n'en avais pas une once, je vous l'ai dit. La job, la p'tite, les devoirs, les bains, la maison, le chum, les amis, le reste de la famille et le trafic dans lequel j'étais coincée matin et soir. Oh, j'avais bien trente minutes ici et là, c'est vrai.  En trente minutes, je pouvais développer un plan et gosser quelques phrases que je mettais bout à bout dans l'espoir que ça donne un paragraphe, puis un texte qui se tient.
Ça ne m'a pas pris longtemps pour réaliser qu'un texte qui se tient n'est pas un roman, qu'il lui manquera toujours une âme, à ce texte, pour qu'il prenne vie. Cette âme, je ne suis arrivée à la toucher que lorsque j'ai compris qu'elle dépendait de la qualité du temps que je consacrais à l'écriture. Du vide, du silence, de la solitude et de la durée de ce vide, de ce silence et de cette solitude. Il fallait donc que je bloque des cases dans mon horaire pour me créer une bulle, pour y entrer, pour écouter ce qui montait du fin fond de moi-même et pour l'entendre avec une telle clarté que ça devenait presque facile à mettre par écrit.
Trente minutes, aujourd'hui (dix-sept ans et quatorze romans plus tard!), c'est le temps qu'il me faut pour faire le vide, pour me soustraire aux préoccupations de la vie quotidienne, pour arrêter de penser.
Bien sûr, il faut écrire tous les jours, mais il faut aussi savoir que tout ce qu'on écrit n'est pas toujours bon. C'est parfois — Souvent! — de la bouette. Mais c'est quand même nécessaire d'écrire tous les jours parce que ça crée une discipline. Et c'est de la discipline et de la routine que vient la facilité à faire le vide et à écouter ce qui monte.
L'expérience m'a appris que si on veut vraiment écrire, il faut faire de l'écriture sa priorité. Il faut se réserver des blocs de deux ou trois heures. Évidemment, cela ne se fait pas sans heurt. Il faut couper ailleurs. Soit dans le travail à l'extérieur (Ce que j'ai fait. 25% moins de paye, mais 25% de plus de temps), soit dans le temps consacré à des activités moins importantes (comme la télé ou internet ou Facebook), soit dans le temps qu'on consacre aux autres.
Il est important cependant d'assumer cette décision avec les conséquences qui en découlent. Sachez que si vous coupez dans le temps consacré aux autres, il y aura des gens frustrés autour de vous. Des relations seront négligées, peut-être même brisées. On utilisera tous les trucs possibles pour vous soustraire à ce temps d'écriture. La colère, la pitié, l'urgence. Si rien ne fonctionne, ces gens concluront que l'écriture est devenue plus importante qu'eux. Ce sera le cas, et ça les blessera. Il faut donc se demander s'il n'y a pas moyen de couper ailleurs.
N'oubliez jamais qu'on ne peut pas tout avoir. À essayer de jongler avec le maximum d'activités et de personnes, vous bâclerez tout (et vous vous taperez peut-être même une dépression). Mais le pire, c'est qu'autour de vous, tout le monde sera frustré et vous, vous écrirez de la bouette.  
Trouvez-vous donc un trou raisonnable, à un endroit où ça ne fait pas trop de mal. Personnellement, avant d'écrire à temps plein, j'écrivais entre 4h et 6h30 le matin, avant d'aller enseigner. Ça impliquait toutefois de me coucher à 21h.

C'est donc un pensez-y-bien.