mardi 24 septembre 2013

Ce qu'il faut d'humilité

Aujourd'hui, j'ai envie de jaser de relativité. Et de l'humilité qui en découle. Pardonnez donc les détails personnels qui parsèment ce texte; ils sont nécessaires.

Un des concepts mis de l'avant par Einstein dans sa théorie de la relativité restreinte est le suivant : Les mesures de diverses quantités sont relatives à la vitesse de l'observateur. On parle surtout ici du temps qui peut se dilater (alors que nous aimons le croire immuable) et de l'espace qui peut se contracter (alors que nous croyons notre règle à mesurer impeccable).

Ainsi en va-t-il de l'appréciation d'une œuvre.

Quand mon dernier roman est sorti, je savais que j'allais surprendre des gens. Les deux saisons du Faubourg était différent de ce que j'avais écrit auparavant. Différent dans le ton, dans le type de personnages et même dans sa forme. Ce n'était pas voulu, ça ne l'est jamais. J'écris les histoires comme elles viennent, sans intention particulière de plaire à tel ou tel public. J'écris ce qui mijote pendant des années, qui monte soudain et qui se déploie quand je m'installe au clavier. Ce roman-là, je le portais depuis mes 19 ans (J'en aurai bientôt 46, je vous laisse faire le compte du temps de maturation qu'il lui a fallu.). Dans ce temps-là, je vendais du tissu dans une boutique du quartier Saint-Roch. Une cliente venait souvent avec sa fille. La petite s'appelait Marjolaine. Je les trouvais émouvantes quand je les voyais choisir à deux des ballots de coton fleuri. Elles ont donné naissance aux personnages principaux du roman qui, lui, a exigé toutes ces années pour prendre forme.

Quand mon éditeur a lu Les deux saisons du Faubourg, il a été séduit. Pour lui, c'était le meilleur de mes romans (Comme il n'a pas lu mes romans historiques ni mes romans jeunesse, ça lui donne peu de points de repère, mais quand même.) Mon chum aussi préfère Les deux saisons, et pourtant, lui, il a lu tout ce que j'ai écrit, depuis le début.

Peu après la parution des Deux saisons du Faubourg, j'ai donné une entrevue à Radio-Canada. En sortant du studio, une journaliste m'a interpellée en me disant à quel point elle avait aimé mon roman. Elle avait lu les précédents, qui l'avaient laissée de glace. Mais celui-là! Elle ne tarissait pas d'éloges en me décrivant ce qui l'avait émue. 

Un peu plus tard, une blogueuse, qui avait beaucoup aimé mes deux romans précédents, a moins aimé Les deux saisons du Faubourg. La mère de ma meilleure amie aussi. Et d'autres. Puis, dans les mois qui ont suivi, des hommes m'ont écrit qu'ils avaient été touchés par mon livre, ce qui s'était peu produit après la publication de Yukonnaise et L'escapade sans retour de Sophie Parent.

La critique la plus surprenante est venue samedi soir, lors du 5 à 7 de l'Association des auteurs et auteures de l'Estrie qui célébrait ses 35 ans. Ça ne faisait pas cinq minutes que j'avais mis le pied dans la salle qu'une auteure s'est approchée de moi. « Mylène, il faut que je te dise à quel point j'ai détesté ton dernier roman. J'avais pourtant beaucoup aimé Yukonnaise. » J'ai éclaté de rire. Que pouvais-je faire d'autre? La situation était tellement surréaliste! Je lui ai expliqué que je ne lisais pas les critiques justement parce que je sais qu'on ne peut pas plaire à tout le monde. Loin de comprendre où je voulais en venir, la voilà qui me donne en détail ce qu'elle n'a pas aimé dans mon roman. Je l'ai laissée avec ses amis en lui disant qu'elle ne devrait peut-être pas me lire, puisque ce que j'écris lui déplaît à ce point.

Évidemment, je suis rentrée bouleversée à la maison. Et j'ai passé le lendemain à me demander comment une personne d'expérience (parce qu'elle a plus de 60 ans!) pouvait être à ce point convaincue que son opinion avait de l'importance et qu'il lui fallait absolument la communiquer à l'auteur du livre qu'elle n'a pas aimé. Comme si l'auteur allait changer sa façon d'écrire, tenir compte de ses commentaires, essayer de lui plaire. Imaginez les dégâts si j'avais été une auteure qui commence!


Comme je le dis souvent — et comme le prouve cette série d'exemples —, la lecture est une activité subjective. Notre opinion n'est pas universelle. Et ce qu'on retire d'un livre dépend très peu de la qualité du livre en question. Ça dépend surtout de notre état d'esprit, de là où on est rendu dans la vie par rapport à là où est rendu l'auteur. Il n'y a rien d'absolu en littérature. Comme le temps et l'espace, qui se dilatent ou se contractent, le degré d'appréciation d'un livre varie lui aussi.  Tout est relatif, et tous les goûts sont dans la littérature comme dans la Nature. Fort heureusement! Et c'est pour cela qu'il faut se méfier aussi des compliments.