Cette semaine, Anne Rice relayait sur Facebook cet article de The
Independent. (L'article apparaît en cliquant sur le mot article. Fichu de blogue qui change tout le temps!)
Elle ajoutait, en introduction de
l'article : « I well remember the Doubleday editor who told me that
"Interview with the Vampire" lacked the plot, characters, or writing
finesse necessary for a hardcover novel. Fortunately not everybody agreed with
him. »
Anne Rice, comme JK. Rowling et George Orwell et combien
d'autres, a reçu des lettres de refus.
J'ai déjà parlé des miennes sur ce blogue, photo à l'appui, mais
aujourd'hui, ce dont je veux parler, et qui est aussi le sujet de l'article
partagé par Anne Rice, c'est de la relation entre l'auteur débutant et son éditeur. Une
relation que j'ai vue s'effriter au fil des ans.
Pour être précise, je devrais dire que ce qui m'intéresse, et que
je vois en disparaître, c'est la relation entre un auteur qui commence dans le milieu et son directeur
littéraire. Dans certaines petites
maisons, l'éditeur et le directeur littéraire sont une seule et même personne.
Dans la majorité des maisons d'édition, cependant, il s'agit de deux postes
différents occupés par des personnes différentes... quand le poste de directeur
littéraire existe.
Je vais vous raconter comment c'était, dans le temps. (Dans le
temps, ici, remonte à un peu plus de dix ans)
Quand mon manuscrit a été choisi pour le prix Robert-Cliche de
2002, Jean-Yves Soucy, le directeur littéraire de VLB éditeur à l'époque, avait
demandé à me rencontrer pour qu'on discute du travail à faire sur mon texte. Je
me suis rendue à Montréal, on s'est installé dans son bureau et il m'a remis le
rapport de lecture, que j'ai lu du début à la fin en hochant la tête. Toutes
les faiblesses que Jean-Yves avait relevées étaient justes. Alors j'ai dit :
« Tu me donnes combien de temps pour faire ce travail? »
Là s'est terminée la négociation. Parce qu'il n'y avait rien à négocier;
je commençais.
J'ai suivi tous les conseils et quand le livre est sorti, il a
rejoint tout de suite un très vaste public. Certes, il a déplu à une certaine intelligentsia
qui attendait du prix Cliche un roman plus littéraire. Mais pour les autres,
pour ceux qui, souvent, ne lisent pas de livre primé, ils ont aimé. Aimé assez
en tout cas pour lancer ma carrière. Et Jean-Yves était là, pour me dire
quelles critiques écouter, lesquelles il fallait ignorer. Pour me donner les
trucs nécessaires pour survivre à mon premier Salon du livre de Montréal, pour
m'installer à côté de Pauline Gill, une doyenne, qui avait l'habitude du SLM.
Pendant l'année qui a suivi la publication du tome 1, Jean-Yves
m'a appelée une fois par mois. Juste pour savoir où j'en étais dans l'écriture
de la suite. Il voulait savoir si ça avançait à mon goût, si j'éprouvais des
difficultés. Mais surtout, il voulait me montrer qu'il me soutenait afin que je
garde suffisamment confiance en moi pour mener à terme mon deuxième roman.
Puis il a refusé mon deuxième roman. Bon, pas refusé complètement,
mais il voyait que mon deuxième texte avait perdu ce qui faisait l'âme de mon
premier. Alors il m'a souligné les bons points du premier en les mettant en
contraste avec le tome 2.
On était au téléphone. Je pleurais comme un bébé. Puis je lui demandé, penaude : « Tu ne le veux pas? »
Sa réponse est venue tout de suite. « Évidemment que je le
veux! Mais il faut le retravailler. »
Il m'a envoyé par courriel le rapport de lecture et, cette fois
encore, j'ai suivi ses recommandations à la lettre. J'étais contente de voir
que les faiblesses du premier tome, sur lesquelles j'avais beaucoup travaillé,
n'étaient pas relevées dans le rapport sur le tome 2. Ça voulait dire que
j'avais appris.
Le tome 2 est sorti et mon public s'est élargi.
Puis j'ai écrit le tome 3. Jean-Yves a espacé les téléphones
en m'appelant un mois sur deux, toujours pour savoir comment ça allait. Cette
fois, après avoir lu le manuscrit, il m'a simplement envoyé mon rapport de
lecture avec un Bravo! écrit dans le haut. Pas de réécriture majeure. Tous les
points faibles des tomes 1 et 2 avaient disparu, ce qui fait qu'on me
faisait travailler sur autre chose. Pour que je m'améliore. Parce que ça
n'aurait servi à rien de me faire travailler sur ces nouveaux points tant que
je ne maîtrisais pas les premiers points.
J'ai ensuite écrit 1704. Encore là, un mois sur deux, je recevais
un coup de fil de Jean-Yves qui, comme toujours, voulait savoir comment ça
allait. Il était bien fier, à la fin, de m'envoyer simplement le rapport de
lecture. Tout comme il était vraiment content du travail que j'ai fait sur le
manuscrit avant de le lui renvoyer.
Et ainsi de suite jusqu'en quelque part dans le milieu de la série
Lili Klondike, quand il est devenu éditeur et qu'il a laissé sa place de
directeur littéraire à Marie-Pierre Barathon.
C'est là que le jeu a changé pour moi. C'est là que mon travail
d'écriture a commencé à se faire dans la solitude, sans support mensuel. Mais
c'était OK. J'avais beaucoup appris et j'étais capable de voir les faiblesses
de mon texte au fur et à mesure que je l'écrivais. Ce qui fait qu'après mes
réécritures personnelles, je n'avais plus qu'à envoyer mon manuscrit à
Marie-Pierre qui m'appelait pour me donner ses commentaires.
Je n'avais plus besoin de mentor, juste d'une directrice
littéraire.
Aujourd'hui, je travaille avec Mélikah Abdelmoumen. Une perle! Et
je ne l'échangerais pour rien au monde tellement on se comprend, elle et moi.
On se jase seulement quand on travaille sur le manuscrit, mais je la porte dans
mon coeur toute l'année. Des fois, en cours d'écriture, je l'entends me dire :
« Je doute, ici! »
Depuis quelques années, le genre de mentorat que Jean-Yves m'a
offert n'existe plus. Les auteurs qui commencent sont laissés à eux-mêmes
pendant qu'ils écrivent leur deuxième et leur troisième roman. Certes, ils
progressent grâce au travail de direction littéraire, mais pendant l'écriture,
ils sont fin seuls avec leurs doutes et leurs angoisses. Et l'ensemble du
métier d'écrivain leur demeure caché, comme un secret qu'il leur faut découvrir
à force de se casser les dents ou d'avoir l'air niaiseux.
Dans certaines maisons d'édition, il n'y a même plus de direction
littéraire! On reçoit le roman, on le corrige et on l'imprime.
Il y a des jours où je me dis que rendu là, un auteur est
quasiment aussi bien de s'autoéditer. Tant qu'à n'être jamais vraiment reconnu
par l'intelligentsia littéraire, aussi bien faire de l'argent.