Je ne suis pas abonnée aux journaux,
mais mon voisin l'est. Il y a quelque temps, il a décidé que ses journaux
n'avaient pas fini leur vie simplement parce qu'il les avait lus. Il a donc
rallongé sa promenade quotidienne pour venir déposer dans ma boîte aux lettres
La Tribune et le Journal de Montréal.
C'est ainsi qu'au début de février, je
suis tombée sur une chronique de Jean Barbe qui était passée sous mon radar
internet (et pour cause, l'article n'est disponible en ligne qu'aux
abonnés). Toujours est-il que M. Barbe avait intitulé son texte L'éloge du travail et faisait un lien entre le livre de
Malcolm Gladwell, Outliers,
the story of success et celui de Michel Vézina sur l'écriture, Attraper un
dindon sauvage au lasso.
Ce qui m'a frappée, dans le texte de
Jean Barbe, c'est le fait qu'il dise, noir sur blanc, que l'écriture demande du
travail. Je me suis presque étouffée en lisant ça. L'écriture demande du
travail, vraiment? Ne riez pas, mais quand je vais dans un salon du livre, il
se trouve toujours au moins une personne pour me demander des conseils
d'écriture. Je réponds toujours la même chose : Lisez, lisez, lisez, réfléchissez,
réfléchissez, réfléchissez, écrivez et réécrivez, réécrivez et réécrivez. La
réplique que j'obtiens est immanquablement la même : J'ai pas le temps de
faire ça. Je veux juste écrire.
La vérité, c'est que le travail de
l'écrivain consiste moins à écrire qu'à lire, à réfléchir et à réécrire. La
partie écriture, c'est celle qui prend le moins de temps. Mais on n'est pas
écrivain parce qu'on écrit. Malcolm Gladwell (celui dont parlait Jean Barbe) a
élaboré la théorie des dix mille heures. Après des années de recherches,
Gladwell est arrivé à la conclusion que ceux qui réussissent dans un domaine travaillent
beaucoup. Environ dix mille (10 000) heures de travail et de pratique avant
de goûter au succès. DIX MILLE. À six heures par jour, mettons, tous les jours
de l'année sans exception, ça donne presque cinq ans. Cinq ans d'écriture à temps plein pour produire enfin un roman réussi, c'est pas rien!
Pourtant, l'écrivain en herbe continue
de penser qu'écrire c'est facile et que ça se fait vite. Je vais vous donner un
exemple qui m'a bouleversée récemment. À ce temps-ci de l'année, je donne des
conférences dans les écoles secondaires. La semaine dernière, dans une classe
de jeunes de 15 ans, plusieurs élèves m'ont dit rêver de devenir écrivains. Je
leur ai dit la même chose qu'aux autres. Écrire,
c'est lire, lire, lire, réfléchir, réfléchir, réfléchi, écrire, réécrire,
réécrire et réécrire. À la
fin de la période, quelques-uns sont venus jaser avec moi. Leur première
question : « Si mon texte est prêt et que je veux le faire publier,
je fais comment? » Quinze ans, et déjà, ils sont pressés!
Le pire, c'est qu'ils ne sont pas les
seuls! Il y a plein de jeunes écrivains (et je ne parle pas d'âge, ici, mais
d'expérience) qui écrivent d'une traite pour passer au suivant au plus vite.
Quand j'entends l'un d'eux me dire qu'il vient de finir son roman et qu'il
l'envoie dès demain à un éditeur, je lui demande : Tu l'as laissé reposer
combien de temps? On me répond la même chose que lorsque je parle de lire, de réfléchir
et de réécrire : Pas le temps.
J'en suis rendue à me demander dans
quelle course se trouvent donc tous ces gens.
Dans son livre Écriture, mémoire d'un métier Stephen King explique que quand il a
terminé un roman, il le laisse reposer deux mois avant de le relire pour le
retravailler. Stephen King! On ne parle pas d'un deux de pique, ici. Pensez-y! Même
Stephen King laisse reposer son roman afin de le reprendre pour le retravailler
au max AVANT de l'envoyer à son éditeur. Je vous entends me dire :
Pourquoi perdre tout ce temps? La réponse est simple : pour faire une
bonne job. Parce que l'auteur qui relit un texte fraîchement écrit ne voit pas
ce qui est écrit, mais plutôt ce qui se trouve encore dans sa tête. Ce qu'il
faut, c'est prendre de la distance par rapport à son texte de manière à pouvoir
lire ce qui se trouve vraiment sur le papier. On peut ainsi apporter toutes les
corrections nécessaires afin de s'assurer que le roman qui sera publié reflète
vraiment ce qu'on voulait écrire et non ce que le réviseur et/ou le correcteur
de notre éditeur pense que l'on voulait écrire. N'importe quel écrivain sérieux
vous le dira : jamais un texte ne traduit la pensée de l'auteur du premier
coup. Ou si ça se produit, c'est que l'auteur est un Mozart de l'écriture. À en
croire ce qu'on me dit dans les salons du livre, dans les écoles et sur
Facebook, ils sont nombreux au Québec à se prendre pour Mozart…
L'agent littéraire américain Donald Maass
a écrit un livre pour conseiller les jeunes écrivains. Ça s'intitule The Fire in Fiction. Comme
on le sait, aux États-Unis, l'auteur n'envoie pas son manuscrit à un éditeur.
Il lui faut en premier lieu se trouver un agent qui, lui, contactera les
éditeurs pour défendre les manuscrits auxquels il croit. Donald Maass, donc,
est arrivé à la conclusion qu'il existe deux types d'écrivains: les storytellers et les status seekers. En français, on dirait qu'il y a ceux qui écrivent
de bonnes histoires et il y a ceux qui recherchent la gloire.
Voilà peut-être pourquoi certains sont
pressés et d'autres pas.