mercredi 11 juin 2014

Le monde littéraire québécois dans un creux de vague

Je deviens riche en diminuant mes besoins.
(La traduction est de moi)
Les auteurs en parlent depuis un an environ. Les éditeurs, depuis deux sinon trois. Les ventes de livres ont baissé au Québec. Je ne parle pas des ventes de livres en général, quoiqu'on est en droit de se poser la question. Je parle des ventes pour chaque titre. Elles auraient baissé de moitié et même des deux tiers selon le genre. Je vous laisse calculer l'impact sur les revenus des auteurs.

Certains dans le milieu affirment que l'offre dépasse de beaucoup la demande, ce qui veut dire qu'on vit dans une société où il y a trop de livres (Avouez que c'est quand même mieux que dans une société où il n'y en a pas assez!). Autrement dit, la tarte que représentent les lecteurs n'est pas plus grosse, mais comme il y a plus de convives (les auteurs), tout le monde reçoit un morceau plus petit.
D'autres experts accusent aussi les fournisseurs de contenu gratuit (genre Facebook). Autrement dit, non seulement le nombre de convives est plus élevé, mais la tarte en elle-même serait effectivement plus petite. Pas étonnant que les morceaux soient si petits!

Le résultat de cette baisse, c'est que les travailleurs du monde du livre s'appauvrissent. Les libraires, certes (on les a entendus l'hiver dernier), mais aussi les éditeurs et les distributeurs. Or, mis à part les très petits éditeurs et ceux qui font faillite, tout le reste reçoit un salaire régulier, c'est-à-dire à la semaine. Ils ont peur pour leur job, mais peuvent encore payer leurs comptes à la fin du mois. La situation est tout autre pour les auteurs dont le revenu dépend directement des ventes (10% du prix de vente pour chaque livre vendu).

Rassurez-vous, je ne suis pas en train de me plaindre. Je me trouve toujours privilégiée de faire ce métier, même si je ne suis pas épargnée par ces bouleversements.

La semaine dernière, j'ai reçu un chèque de redevances plus petit que d'habitude. BEAUCOUP plus petit que d'habitude. Ça ne me cause pas de problème financier dans l'immédiat parce que je vis très simplement et que j'ai fait comme la fourmi: j'ai mis les surplus de côté quand il y en avait.

Mais quand même, ce fut tout un choc.

J'avais quatre manières de réagir.

1. Je pouvais appeler mon éditeur pour l'engueuler et lui dire qu'il fallait qu'il se force davantage. Après tout, c'est sa job de vendre mes livres. J'y ai pensé pendant cinq minutes au moins. Puis j'ai réalisé qu'un tel geste aurait été inutile puisque mon éditeur me répète depuis des mois que les ventes sont en baisse et que les temps sont difficiles pour tout le monde.

2. Je pouvais me chercher un autre éditeur. La tentation s'est manifestée pendant un gros trois minutes, puis j'ai compris que ça reviendrait juste à changer le mal de place étant donné que les ventes sont partout en baisse. On n'a qu'à lire les statuts des auteurs sur Facebook pour s'en assurer. Et puis si les grandes comme Marie Laberge et Arlette Cousture en sont rendues à vendre elles-mêmes leurs textes numériques sur internet, c'est qu'elles se cherchent, elles aussi, des sources de revenus supplémentaires afin de joindre les deux bouts.

3. Je pouvais penser à me trouver «une vraie job». Ah, ça, j'y ai songé sérieusement pendant une demi-journée. Puis j'ai reçu deux courriels de lectrices, ce qui m'a ramené les pieds sur terre et confirmé que j'étais à ma place.

4. Je pouvais prendre ce chèque réduit comme une leçon d'humilité.

Ça m'a pris 36 heures pour arriver à cette dernière manière de voir la chose, pour accepter que rien n'est jamais acquis dans la vie, mais que j'étais chanceuse de faire ce que j'aimais et que c'était à moi de décider si je voulais continuer ou aller faire plus d'argent... comme enseignante, mettons.

Puis, hier soir, alors que je me relevais tant bien que mal de ce tremblement de terre financier, mon chum m'a fait lire un article de la revue Money Sense. Yep! Il est bon avec l'argent, mon chum. Les chiffres, il connaît ça. Mais il connaît surtout bien des trucs pour arriver à la fin du mois. Le premier, qu'il me répète depuis que je le connais, c'est de vivre en dessous de ses moyens. Pas au-dessus ni selon ses moyens. EN DESSOUS. Et l'article qu'il m'a tendu hier soir racontait l'histoire du pêcheur mexicain et du banquier américain.

Voici l'histoire (J'ai piqué cette version française sur ce site. Elle existe avec plusieurs variantes, mais toutes contiennent la même réflexion.)

Le pêcheur mexicain

Au bord de l’eau dans un petit village côtier mexicain, un bateau rentre au port, ramenant plusieurs thons. Un Américain complimente le pêcheur mexicain sur la qualité de ses poissons et lui demande combien de temps il lui a fallu pour les pêcher. Le pêcheur lui répond qu’il lui a fallu peu de temps !

« Mais alors, pourquoi n’êtes-vous pas resté en mer plus longtemps pour en attraper plus? » demande l’Américain.

Le Mexicain répond que ces quelques poissons suffiront à subvenir aux besoins de sa famille.

L’Américain demande alors : « Mais que faites-vous le reste du temps? »

« Je fais la grasse matinée, je pêche un peu, je joue avec mes enfants, je fais la sieste avec ma femme. Le soir, je vais au village voir mes amis. Nous bavardons, nous rions et jouons de la guitare. J’ai une vie bien remplie ! »

L’Américain l’interrompt : « J’ai un MBA de l’université de Harvard et je peux vous aider. Vous devriez commencer par pêcher plus longtemps. Avec les bénéfices dégagés, vous pourriez acheter un plus gros bateau. Avec l’argent que vous rapporterait ce bateau, vous pourriez en acheter un deuxième et ainsi de suite jusqu’à ce que vous possédiez une flotte de chalutiers. Au lieu de vendre vos poissons à un intermédiaire, vous pourriez négocier directement avec l’usine, et même ouvrir votre propre usine. Vous pourriez alors quitter votre petit village pour Mexico City, Los Angeles, puis peut-être New York, d’où vous dirigeriez toutes vos affaires. »

Le Mexicain demande alors : « Combien de temps cela prendrait-il ? »

« 15 à 20 ans ! », répond l’américain.

« Et après ? », demande le mexicain.

L’américain répond en riant :

« Après, c’est là que ça devient intéressant, quand le moment sera venu, vous pourrez introduire votre société en bourse et vous gagnerez des millions. »

« Des millions? Mais après ? », demande le mexicain.

« Après, vous pourrez prendre votre retraite, habiter dans un petit village côtier, faire la grasse matinée, jouer avec vos petits-enfants, pêcher un peu, faire la sieste avec votre femme et passer vos soirées à rire et à jouer de la guitare avec vos amis. »
Voilà. Ma conclusion? Je vais continuer de vivre en dessous de mes moyens. La tempête finira bien par passer. Après resteront debout, pas nécessairement les meilleurs auteurs, malheureusement, mais ceux qui auront eu la sagesse du pêcheur mexicain et auront distingué ce qui était essentiel de ce dont ils pouvaient se passer, sinon toujours, du moins pendant un moment. Comme le disait Thoreau, à partir de quand est-ce qu'on en a assez? Veut-on vivre pour travailler ou travailler pour vivre?

Bon, c'est bien beau de jaser philo, mais j'ai un bouquin à écrire alors...  Ciao! Je retourne travailler!

8 commentaires:

  1. J'adore cette anecdote (ce n'est pas la première fois que je la lis). Et oui, vivre en-dessous de ses moyens, c'est la meilleure recette pour la tranquillité d'esprit.

    C'est grâce à quelques années à ce rythme (bon et un coup de pouce du destin pour réduire l'hypothèque qui grugeait une grosse part du budget) que là je peux me permettre d'essayer de vivre de ma plume... à un moment où tous les chèques de droits d'auteur rapetissent! (hum, pas sûre du timing...)

    Le plus drôle quand on vit sous nos moyens, c'est que les gens qui vivent selon leurs moyens ou au-dessus de leurs moyens pensent toujours qu'on manque d'argent. Et des fois les patrons nos proposent mille et une solutions pour nous "aider". (Habituellement c'est le privilège de pouvoir faire des heures supplémentaires).

    Maudit qu'ils comprennent pas de quelle planète on vient quand on leur répond qu'on prendrait plutôt une semaine de congé sans solde en plus de nos vacances payées, histoire de bien se reposer! :p


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    1. On voit que tu as l'expérience de la chose. ;-)

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    2. Ouaip! ;)

      Oh et il y a un autre avantage non négligeable au fait de vivre en-dessous de ses moyens. Quand on a besoin de quelque chose (nouveau frigo, nouveau divan, nouvelle auto, etc), on rentre dans le magasin et on l'achète avec nos économies, sans financement. Ça prend la moitié du temps et, souvent, ça permet d'économiser une bonne partie du prix (habituellement, les taxes deviennent "incluses"). Et je suis pas une bonne négociatrice, j'suis sûre qu'il y aurait moyen d'aller chercher un meilleur prix encore.

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  2. My god, en lisant Gen, je réalise que je vis au-dessous de mes moyens aussi :)
    Et sinon, la solution est-elle de publier ailleurs? Le marché du livre va-t-il aussi mal partout? Je demande... vu que je me promène ;)

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    1. Ailleurs? Vous voulez dire dans un autre pays? Alors là, c'est vraiment difficile. Juste d'entrer, c'est difficile! Et puis ce n'est pas nécessairement notre public cible. Moi, par exemple, j'écris pour mes concitoyens. J'aborde des thèmes qui touchent en premier lieu les gens d'ici. Si ça touche le monde d'ailleurs, c'est un bonus.

      Mais je vous dirais que ça ne va très bien nulle part. On n'a qu'à lire les articles qui paraissent aux États-Unis ou en France. Partout les gens du livre lancent des cris d'alarme à cause du contenu gratuit (Facebook) ou du piratage ou des ravages d'Amazon ou de l'autoédition sur internet qui permet de vendre un livre numérique à 0,99$.

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    2. Je pose juste la question, car je m'autopublie, je publie en numérique en France (chez Milady) et numérique (Laska) + papier au Québec (ADA) (mais comme tout sort cette année, je n'ai pas vraiment de repères), du coup, je peux comprendre que le papier se vendent moins. Peut-on faire un rapprochement avec les cd? Depuis le numérique, on en vend moins, aussi.

      Et on peut le dire: il y a plus de monde en France qu'au Québec, du coup, on peut se poser la question.

      Et difficile... ça dépend du type d'écrit, évidemment. Je n'ai pas trouvé plus difficile d'envoyer mon manuscrit chez milady via un formulaire en ligne que d'envoyer une masse en papier par la poste :P

      Par contre, je ne comprends pas le contenu gratuit de facebook. Est-ce une autre forme de piratage? Pour ma part, c'est une autre histoire. Y'a tellement de facteurs à considérer, mais bon, ça prendrait tout un dossier.

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  3. Et saviez-vous que cette très belle anecdote est devenue une chanson qui s'appelle "Fernard" par Alexandre Poulin, sur une mélodie très entraînante? Tiens, ça me donne le goût de l'écouter! :)

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  4. Merci pour ce beau texte empreint de sagesse, qui nous ramène à l'essentiel de la création...

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