Il y a plusieurs années, quand j'enseignais le français dans
une école anglaise de Québec, j'ai fait l'expérience des deux solitudes
canadiennes. À la télé, un soir de semaine, on présentait Marguerite Volant. (Wikipédia dit que c'était en 1996. Je le crois
sur parole.)
Dans ma famille, dans ma belle famille et dans mon cercle
d'amis, on regardait ça religieusement. Quand je rentrais au travail, cependant,
quasiment personne ne savait de quoi il s'agissait. Seules les deux autres profs
de français et une enseignante d'anglais francophile pouvaient en jaser avec
moi. Quatre personnes sur quarante membres du personnel regardaient l'émission
qui rivait le reste de la province à son petit écran. Ça, mesdames et
messieurs, ça s'appelle sentir de près les deux solitudes. Mes Anglos et moi,
on ne regardait pas les mêmes canaux à la télévision. On ne lisait pas les
mêmes journaux. Et on n'écoutait pas les mêmes postes de radio.
J'ai revécu une expérience similaire avec Jian Gomeshy. Bon.
Je ne jaserai pas ici de ses pratiques sexuelles et de leurs conséquences —
Facebook l'a assez fait — sauf que l'automne dernier, les Québécois
francophones ont découvert cet animateur de radio pourtant célèbre partout dans
Canada anglais. Il est même venu à Québec il y a deux ou trois ans dans le
cadre d'une tournée de promotion pour son dernier livre. Des amis y étaient.
Des Anglos, évidemment.
Cette expérience des deux solitudes culturelles m'est
revenue à l'esprit quand la Sorcière m'a envoyé ce lien du journal Le Devoir. Émilie
Folie-Boivin, journaliste surtout littéraire, n'avait jamais entendu parler de
Louise Tremblay-D'Essiambre. Une des auteures les plus lues au Québec en ce
moment était passée sous le radar de quelqu'un qui se dit au fait de ce qui
s'écrit au Québec. Mmm...
Le Devoir, pourtant, parle de Louise Tremblay-D'Essiambre
chaque semaine... dans le petit carré réservé au palmarès Gaspard. Les romans
de Louise s'y maintiennent depuis des années.
Ça m'a rappelé un incident qui s'est produit au Salon international
du livre de Québec en avril dernier. Un auteur littéraire essayait de me
convaincre que Sam, de François
Blais, publié à l'Instant même, était un gros vendeur au Québec. La suite de
notre conversation:
Moi: Ça ne se compare quand même pas aux romans de Louise
Tremblay-D'Essiambre!
Lui: C'est qui, celle-là?
Fin de la conversation.
Cette ignorance du monde du livre n'est pas à sens unique.
En fin de semaine, la librairie Port de tête a publié sur internet la liste de
ses meilleurs vendeurs pour 2014. Sur cinquante auteurs, je n'en connais que
six. Et de nom seulement. C'est pas compliqué, je n'ai pas lu un seul des ouvrages
sur cette liste. Et pourtant je lis! Et des écrivains, j'en connais! Ça fait
douze ans que je suis dans le milieu. Je n'ai pas manqué un seul Salon du livre
de Montréal. Et seulement un Salon du livre de Québec. J'ai été partout en
région sauf à Rimouski. Des bières, des repas, des cafés avec des écrivains,
j'en ai pris treize à la douzaine. Et pourtant, je ne connais pas 90 % des
auteurs sur cette liste.
Le roman dit littéraire et le roman populaire occupent pourtant
le même espace géographique. Comme les Anglos et les Francos. Sauf qu'entre les
deux, il y a une différence culturelle qui ressemble à une épaisseur de glace.
Deux solitudes, je vous dis.
Comme tu dis, cette solitude est à deux sens! Il y a quelques années, je suis allé me faire signer un livre par Guy Gavriel Kay, un de mes auteurs de "fantasy" préférés, au salon du livre de Montréal. À ma grande surprise, il était seul à sa table, alors que c'est un grand auteur internationnal... mais anglophone. Ce soir-là, il tweetait la chose suivante: https://twitter.com/guygavrielkay/status/269853775542493184
RépondreSupprimer(Note: Guy Gavriel Kay est publié chez Alire pour la version française traduite de ses romans)
Hi! HI! C'est pas à moi que tu dois présenter Guy Gavriel Kay! J'ai assisté à un de ses ateliers au World Con, à Montréal, il y a quelques années. Je l'adore!!!! Et sa Tapisserie de Fianovar! Juste Wow!
SupprimerAh oui, moi aussi je l'ai lu avec plaisir... Mais la fantasy, c'est un autre domaine de "deux solitudes". Les gens qui aiment ça sont des fidèles passionnés, mais il y a beaucoup beaucoup de gens qui n'en lisent pas du tout, alors...
SupprimerEffectivement.
SupprimerEt on s'étonnera que les librairies indépendantes soient dans le trouble quand si peu de "gros vendeurs" se retrouvent dans leur top de vente...
RépondreSupprimerLe problème, c'est que les librairies indépendantes ne peuvent pas accoter le prix qu'offre le Costco pour le même Louise Tremblay-D'Essiambre (qu'ils ont aussi, j'ai vérifié).
SupprimerAttention. On parle ici de la librairie Port de tête. Il ne s'agit pas d'une librairie indépendante ordinaire. J'en veux pour preuve que même aucun livre de Kim Tuy n'apparaît dans cette liste. Je l'ai choisi justement parce qu'il s'agit d'une librairie TRÈS littéraire.
SupprimerDe plus, ce n'est pas tous les romans populaires qu'on retrouve chez Costco. Et puis les romans y sont deux ou trois mois environ. On peut penser qu'on pourrait trouver un Sonia Marmen, mettons, dans la liste des meilleurs vendeurs d'une librairie indépendante ordinaire. Et très certainement un Louise Tremblay-D'Essiambre.
Wow! Il faut vraiment pas être allumé pour n'avoir jamais entendu parler de Tremblay-d'Essiambre quand on est dans le domaine... En tout cas, sur le pretnumerique de ma bibliothèque, 8 des 10 livres les plus empruntés sont d'elle, ça se remarque quand même!
RépondreSupprimerC'est pas qu'elle n'est pas allumée, la dame, c'est qu'elle vit dans un monde parallèle, dans une autre «solitude.» Il faut le constater. De même que je constate que je ne connais que 6 des auteurs de la liste des meilleurs vendeurs de Port de tête. Deux univers parallèles.
SupprimerJ'ai présentement une belle-soeur anglophone, qui m'a demandé s'il existait l'équivalent du Salon du livre de Montréal, mais pour les livres anglophones. Je pense que oui, mais je dois admettre que je n'ai pas réussi à trouver l'information!
RépondreSupprimerIl en existe un à Toronto depuis novembre dernier: http://www.torontobookfair.ca/communique-de-presse-un-nouveau-salon-du-livre-a-toronto/
SupprimerJe connais une certaine association des auteurs qui n'avait jamais entendu parler de Mme Tremblay d'Essiambre qui avait été une des auteurs à l'honneur de notre salon du livre il y environ 4 ans. J'en étais sidérée!
RépondreSupprimerJe me demande bien de qui tu parles... ;-)
SupprimerBen là, quand même, six?
RépondreSupprimerÀ vue de nez, j'en dénombre une douzaine au moins qui ont fait le frontpage des cahiers culturels de La Presse à un moment ou un autre de leur carrière, au moins six qui ont été des abonnés au palmarès des meilleures ventes d'Archambault (j'y travaille) au courant de 2014, deux récipiendaires du Prix des Libraires du Québec, au moins un prix GG.
J'aime le roman populaire, j'en lis, tout comme j'aime et je lis le roman 'littéraire' aussi - et y'en a plusieurs sur cette liste qui font facilement le pont entre les deux...
J'avoue que c'est peu - dans cette liste, j'en ai lu 3 (dont un pour enfant et une bande dessinée), j'en connais 12 assez bien pour visualiser la couverture, et je connais 4 auteurs de plus sans connaître le livre spécifique. Ça fait quand même 31 dont j'ai jamais entendu parler du tout! Dans une liste de plus gros vendeurs, c'est étonnant...
SupprimerJulien, tu me fais penser à moi qui m'exclamais dans le temps: « Quoi? Tu ne connais pas La p'tite vie? Voyons donc! Tout le monde connaît La p'tite vie!» Eh, non! Les Anglos de Québec ne connaissaient pas. Pis que je déchire ma chemise en Québécoise indignée ne changeait rien à cet état de fait. Sauf que constater la chose (et accepter qu'elle est comme elle est) m'aidait à mieux comprendre le monde dans lequel je vivais. C'est un peu ce que j'ai voulu faire avec ce billet.
SupprimerUn mot me vient en tête pour qualifier ce genre d'attitude face aux romans dits populaires: snobisme.
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