Imaginez 300 pages de ce genre-là! |
Pour certains auteurs, c'est lire le rapport de la direction
littéraire qui est le plus difficile. Dans leur cas, ce que je décris dans ce
billet s'applique au directeur littéraire.
Pour d'autres, comme moi, le plus dur consiste à passer au
travers d'un manuscrit barbouillé d'un bout à l'autre de commentaires et de
corrections, c'est-à-dire constater le travail que mon réviseur a fait sur mon
roman.
Quand arrive ce passage obligé vers la publication de mon
manuscrit, mon ego souffre.
Par bonheur, depuis que VLB éditeur est passé à l'ère du
numérique, je n'ai plus à m'arracher les yeux pour déchiffrer ce qui est
griffonné dans la marge. Jusqu'à Yukonnaise, chez mon éditeur, on travaillait
sur papier, avec crayon de plomb et stylo rouge. Avec une correction au plomb,
il y avait toujours moyen de moyenner. Avec le rouge, jamais.
Aujourd'hui, on travaille en «suivi des modifications» dans
Word. Petit miracle de la technologie, cette fonction du logiciel permet
d'écrire lisiblement des commentaires dans la marge et de corriger les erreurs directement
dans le texte. Une belle avancée technologique.
C'est pas mieux pour l'ego, cependant.
Comme l'a dit un jour un éditeur de mes amis, matcher un
auteur avec un réviseur relève d'une épreuve olympique. Quand on forme enfin un
couple qui se comprend et qui s'aime (Oui, oui! C'est important l'amour, ici.),
on fait le max pour que ces deux-là travaillent ensemble le plus longtemps
possible.
Ça fait deux romans que je suis en amour avec mon réviseur,
même si c'était pas le même réviseur pour les deux romans. Le bonheur, pour
moi, consiste à lire les commentaires et à m'écrier :
— Ouiiiiiiiiiiii!!!
Il a compris ce que je veux dire!
—
Yéééééééééé!!! Il a compris comment j'écris!
Je me pâme comme ça pendant une semaine et j'accepte presque
toutes les suggestions de mon réviseur.
Je n'ai toutefois pas toujours été aussi enthousiaste devant
mes textes révisés. Il y a eu des romans dans ma vie où j'avais juste envie de
me rouler en boule dans un coin pour pleurer en me répétant à quel point
j'étais poche puisque mon réviseur avait écrit partout partout pis réécrit
partout ailleurs comme si c'était encore possible d'en rajouter une couche.
Voyez-vous, mon ego, il est comme tous les ego. Il n'aime
pas qu'on lui dise :
— Tu as
fait une faute ici, une autre là, une troisième ici!
— T'as
pas le droit d'écrire ça.
— Ce
mot-là est un anglicisme. En français on dit...
— Cette
formulation-là est calquée sur l'anglais, en français il faut écrire...
— Trop
lourd. Reformuler.
—
Confus. Reformuler.
— Se
lit mieux de cette manière-ci.
— Se
lit mieux de cette manière-là.
Etc.
Mon ego, quand il ouvre le fichier de réviseur, il monte aux
barricades. Dès la première correction, il fourbit ses armes en criant : T'as
rien compris!
Mais voilà. Mon ego, c'est pas lui l'écrivain. Mon ego,
c'est l'animal persuadé qu'il est bon, qu'il est fin et qu'il est capable tout
seul. Et il est convaincu qu'il a raison pis que les autres sont dans le champ.
Comme écrivain à l'ego blessé, donc, j'ai longtemps pleuré en lisant les
corrections de mon réviseur et je sais maintenant qu'il s'agissait de
souffrance inutile pour deux raisons.
1. Souvent, le réviseur n'était pas fait pour moi. Vous
savez, j'écris dans une langue très simple des textes qu'on peut lire à voix
haute. J'insiste pour que le rythme respecte ma musique interne, celle qui
hypnotise le lecteur. Si vous m'associez un réviseur un tantinet trop littéraire
(ou persuadé qu'il aurait écrit ce roman mieux que moi), on ne s'entendra
pas.
2. J'ai compris que l'inspiration est peut-être divine, mais
que le canal, lui, est faillible. (Je pense que c'est Victo Hugo qui a dit ça.)
Je sais jusque dans mes tripes que les histoires et les
images qui naissent dans ma tête sont merveilleuses. Pour moi, elles sont
claires, mais elles ne le sont pour personne d'autre parce qu'il n'y a pas de
mots dessus. Il n'y a que l'esprit de l'image ou l'esprit de l'histoire. Pour
les rendre accessibles aux autres, il faut les mettre en mots. Je deviens donc
le canal par lequel ces images et ces histoires seront communiquées au Monde. Et
là, mesdames et messieurs, il y a de l'obstruction. Il y a des parasites. Ça
griche et ça distorsionne. Je suis faillible parce que je suis un être humain.
Je n'ai pas tous les talents et j'ai des faiblesses à n'en plus finir.
L'expérience m'a rendue meilleure pour traduire sur papier
ce qui s'agite dans ma tête. Je dis meilleure et non pas parfaite. Je ne pense
pas qu'on puisse rendre à la perfection ce qui bouillonne dans l'esprit
créateur. C'est insaisissable. Il y a trop de mouvements, et les angles sont
arrondis au point qu'on ne sait par quel bout prendre l'idée.
Et mon ego, là-dedans? Ben j'ai appris au fil des ans à le
faire taire en lui servant un argument béton: Si mon réviseur n'a pas compris, mon lecteur
ne comprendra pas non plus.
Bref, le travail du réviseur (et du directeur littéraire),
c'est de rendre accessible au public visé les bijoux nés de l'imagination de
l'artiste. Il n'est pas un ennemi et il n'est pas un supérieur. On travaille
ensemble parce que deux cerveaux valent mieux qu'un dans ce domaine.
Quand chacun a saisi ça, tout est pour le mieux dans le
meilleur des mondes. Et moi, par la suite, au moment d'ouvrir des bulles, je ne le fais plus avec le soulagement qui suit un calvaire, mais avec la satisfaction du travail bien fait.
Excellent billet, qui rend compte de la dynamique du réviseur et de l'écrivain. :-)
RépondreSupprimerTrès inspirant, ton billet! Le réviseur... on oublie souvent son rôle...
RépondreSupprimerLe suivi des modifications pour mli n'arrive qu'à la dernière révision.
RépondreSupprimerLes autres, les premières du comité de lecture ou celles de la réviseure, sont encore au crayon parce que tout plein delongues remarques dans toutes les marges. Du genre: transition, mauvaise construction, reformuler, et de nombreuses autres.
Te donne bien raison qu'il faut trouver la bonne paire pour ne pas sombrer dans la mésestime de soi.
Les premières étapes dont tu parles font partie de la direction littéraire. À la révision, d'habitude, on n'est plus dans ces changements majeurs. On est rendu dans les détails. Mais tu sais ce qu'on dit, le diable est dans les détails.
SupprimerOui, c'est vrai que ça travaille l'orgueil quand la copie revient pleine de suggestions. Mais comment dire... Pour moi, ce n'est pas difficile: le réviseur (souvent la réviseure) a bien saisi ce que je souhaitais exprimer et me permet de le rendre encore mieux. Je suis très heureuse du travail qui a été fait sur mon livre ou mes essais à ce propos.
RépondreSupprimerPar rapport à la direction littéraire, là, je trouve cela plus sensible. Certaines choses me semblent essentielles dans un texte: la personnalité du personne par exemple, l'ambiance (moi aussi, j'écris dans un style accessible facilement: je considère que l'écriture doit s'effacer devant l'histoire, que le lecteur doit carrément oublier qu'il lit tellement il "voit" l'histoire). Quand on tente de me faire changer cela, je résiste. Mais je suis prête à bien d'autres changements sans rouspéter (ajouts de scène, etc.) C'est très important d'être ouvert à ces propositions aussi.
Très chère, tu as dû avoir chaque fois un match parfait auteur-réviseur. J'en suis presque jalouse. :-P
SupprimerJe comprends tout à fait quand tu dis que l'écriture doit s'effacer devant l'histoire. C'est pareil pour moi.
Ce qui m'inquiète de plus en plus, c'est de voir que la direction littéraire prend moins d'importance dans les maisons d'édition (en tout cas, en jeunesse...) Les ventes de livres diminuent alors les éditeurs coupent et coupent. Mais s'il y a un endroit où il ne faudrait justement PAS couper, c'est dans la direction littéraire...
RépondreSupprimerBien d'accord. Et je dirais même plus, il y a plein de maisons d'édition de romans pour adultes qui coupent dans la direction littéraire.
SupprimerSont bien rares les maisons d'édition qui offrent à un auteur qui commence une relation comme celle que j'ai eue avec Jean-Yves Soucy. C'était mon directeur littéraire, mais aussi un mentor. Il me semble qu'on ne voit plus ça maintenant.
La relation auteur-mentor, Trampoline me l'a offerte avec Élisabeth Vonarburg... mais non, c'est pas la norme.
SupprimerAh! l'égo! En passant, j'ai lu Yukonnaise avant de traverser le Canada pour me rendre au Yukon. Là-bas, j'ai rencontré une jeune prof (une amie de ma fille en fait). Au cours d'un diner au resto branché, je lui ai demandé ce qu'elle avait pensé de votre livre. Elle a fait un peu la moue: c'est romancé, m'a-t-elle répondu. Puis elle m'a raconté l'histoire de son arrivée au Yukon. Alors c'est toi la Yukonnaise, lui a-je dit. Et elle a souri.
RépondreSupprimerHi! Hi! Il y a autant d'histoires yukonnaises qu'il y a de Yukonnais. Chacun a sa vision du Yukon. Pour certains, c'est l'enfer, pour d'autres, c'est la lumière. Après 50 entrevues, j'ai compris que l'enfer et la lumière, c'est au fond du Yukonnais-lui-même qu'elle se trouvait.
SupprimerBonjour, votre billet m'a portée à écrire mon propre billet à ce propos. Je ne pouvais pas vraiment l'écrire ici, c'est trop long... Non, le réviseur n'est pas un ennemi ni un supérieur. Il n'est pas inférieur non plus. Chacun a un travail à faire et celui du réviseur a son importance. Encore faut-il qu'il comprenne bien son propre rôle et qu'il n'empiète pas sur celui de l'auteur. Mais tout bon réviseur respecte l'auteur... Bref, je vous invite à lire mon billet : http://photojanique.blogspot.ca/2015/01/le-reviseur-de-texte-un-incompris.html Merci!
RépondreSupprimerMerci. Je viens de lire votre texte. J'espère que vous avez compris que mon billet faisait justement l'éloge de mon réviseur actuel et de celui de l'an passé. J'espère aussi que vous avez compris que mon texte mettait surtout en lumière les réactions de l'ego des auteurs. Sinon, malheureusement, je me suis mal exprimée.
SupprimerOui, oui je comprends très bien. Je sentais une pointe de frustration contre les réviseurs, mais j'ai aussi compris que vous avez trouvé chaussure à votre pied et j'en suis heureuse pour vous.
SupprimerJe vois aussi en lisant les autres commentaires que vous avez reçus que d'autres ont eu de mauvaises expériences avec des réviseurs et je trouve cela dommage. Car vraiment, certains sont très consciencieux dans ce qu'ils font et aussi très respectueux de l'auteur et de la langue également. Comme je le mentionne, tout "bon" réviseur sait ce qu'il doit faire, comment le faire et respecte les auteurs et leur style. Malheureusement tous les métiers comportent des gens moins compétents et cela entraîne parfois des préjugés sur l'ensemble du métier. Et là, je ne parle pas de vous, au contraire, mais plutôt de façon générale.
Bonne journée et bonne continuation!
Tu mets vraiment le doigt sur le bobo quand tu dis qu'il faut un réviseur adapté à l'auteur... Mais des fois je me dis qu'il y a des réviseurs qui savent s'adapter aux différents auteurs et d'autres qui se pensent dépositaires du "bon français" et veulent nous le rentrer de force dans la gorge. (Ok, moi mes deux derniers romans, j'ai eu le pire match possible je pense. Tsé quand ta réviseure comprend pas que, non, le verbe faire, il ne devrait se retrouver à toutes les phrases, encore moins deux fois par phrase...)
RépondreSupprimerOuais. Mais tsé, trouver le bon match, c'est VRAIMENT pas évident. Alors quand ça marche, on ouvre des bulles!
SupprimerDes fois j'ai aussi l'impression que les éditeurs sont pas clairs quand ils donnent un mandat de révision. J'ai eu deux fois des réviseurs qui se prenaient pour le directeur littéraire et qui me demandaient de défaire ce que le directeur littéraire m'avait fait faire!!! Tsé je veux ben souffrir et réécrire une fois, mais faut pas abuser! :P
SupprimerC'est quasiment digne d'une thérapie ! J'appelle ça, accepter d'évoluer et pour ce faire, il faut accepter que la perfection ne s'atteint pas, elle se vise.
RépondreSupprimerÇa peut s'appliquer dans toutes les sphères de la vie cette question d'égo. Je trouve admirable la manière que tu prends ça et la lectrice que je suis apprécie grandement le résultat.