Tout écrivain qui
se respecte s'assure de ne pas dire de niaiseries quand il écrit. Et le
meilleur moyen d'y arriver, selon moi, c'est de faire de la recherche. Quand
j'écrivais du roman historique, je passais des mois à lire des essais, des
journaux personnels de même que la correspondance de gens ayant vécu les
événements dont je voulais parler. Depuis que j'écris du roman contemporain, je
privilégie l'entrevue.
Avant de rédiger
la première ligne de Yukonnaise, j'ai
interrogé une cinquantaine de personnes vivant au Yukon. Je ne savais pas
vraiment ce que je cherchais. À ceux qui me posaient la question, je répondais
que je voulais trouver l'esprit yukonnais. Et quand un journaliste de Dawson m'a
demandé ce qu'était l'esprit yukonnais, j'ai répondu que je ne le savais pas,
mais que j'étais capable de le reconnaître quand je le voyais. Je voguais donc au
gré du vent avec des réponses aussi floues que mes questions. Ce n'était pas
grave; le roman n'était pas encore écrit, et j'avais toutes les possibilités
devant moi.
En novembre, j'ai
commencé un nouveau roman avec, comme personnage principal, une femme qui
possède un supermarché. J'ai beau faire mon épicerie toute seule depuis l'âge
de 17 ans, je me suis rendu compte à la page cinquante qu'il me fallait de
l'information supplémentaire. Pour cette raison, j'ai pris rendez-vous avec le
propriétaire d'un supermarché de mon quartier, le magasin Alimentation Stéphane
Tremblay, qui opère sous la bannière Provigo, sur King Est, entre la 11e
et la 12e Avenue.
D'entrée de jeu,
j'ai servi à M. Tremblay le même avertissement que j'avais servi aux
Yukonnais : Me parler, c'est comme parler à la police. Tout ce que vous me
direz pourrait se retrouver dans le roman. Donc, si vous ne voulez pas que je
diffuse une information, prière de la garder pour vous. J'ai tout de
suite compris qu'il y avait un monde entre interviewer un Yukonnais et
interviewer un homme d'affaires.
Première
différence : M. Tremblay était pile à l'heure. (Mes amis du
Grand-Nord possèdent un sens du temps qui diffère de celui des gens du Sud, je
l'ai appris à mes dépens). Avec M. Tremblay, donc, pas de Yukon Time. Le rendez-vous est à 14 heures,
on commence à 14 heures. Et même si j'ai horreur de porter une montre, je
l'enfile chaque fois que je fais une entrevue, histoire de ne pas abuser du
temps qu'on m'accorde si généreusement. Avec M. Tremblay, j'avais ma
montre et je peux vous jurer qu'à 15 heures, je retraversais le parc en
direction de chez moi.
Deuxième
différence : Si les Yukonnais ne savent pas trop ce qui les distingue du
reste du monde, mon épicier, lui, sait très bien ce qu'il est : un
marchand-propriétaire. Je lui ai donc demandé ce qu'un marchand-propriétaire mangeait
en hiver, et pendant toute l'heure qui a suivi, il a donné des réponses
précises à mes questions floues. Et sans qu'il s'en rende compte, j'ai eu droit
à beaucoup plus. Voyez-vous, comme dans toute entrevue, ce qui s'avère le plus
important arrive souvent par accident. Le non-verbal, une digression, un
commentaire qui, sur le coup, a l'air de ne rimer à rien.
Je suis repartie
avec une foule d'informations... qui me permettront de réécrire les cinquante
premières pages de mon nouveau roman. Parce que, évidemment, j'étais dans le
champ avec mon personnage. Et pour arriver à convaincre M. Tremblay que
ledit personnage va prendre un mois de congé pour aller en voyage, il va
falloir que je trime fort. Il paraît que dans ce milieu-là, les vacances sont
rares et rarement longues. Regardez-moi bien aller, M. Tremblay, je vais
vous broder quelque chose de convaincant. Promis, juré.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire