Comme avril est le mois des impôts, je me dis que c'est un bon mois pour conclure notre série d'articles sur l'écrivain et l'argent. L'écrivain et l'argent, donc, quatrième partie.
Je me souviens de l'image que j'avais du métier
d'écrivain quand j'étais adolescente. Dans mes rêves les plus fous, je me
voyais assise devant une table couverte de feuilles lignées pleines de
gribouillis, dans un bureau dont les bibliothèques étaient remplies de livres
poussiéreux, dans une maison silencieuse au fin fond d'une campagne tout aussi silencieuse,
mais surtout déserte parce que personne ne devait jamais me déranger. Je me
voyais penchée sur une machine à écrire (les ordinateurs étaient rares dans ce
temps-là), le regard vide parce que la tête ailleurs, dans quelque château
médiéval de ma création où la technologie avait dépassé celle de notre temps. En
digne fille de Star Wars, c'est mon personnage, une fille, qui tuait le
robot-dragon.
Dans cette vision romantique du métier d'écrivain,
l'argent n'existait pas. Ou, s'il existait, il y en avait juste assez dans mon
compte en banque pour maintenir ce rythme de vie campagnard et solitaire.
Le destin s'est chargé de me conduire à bien des endroits
avant de me ramener à mon rêve d'adolescente. Et ce rêve, quand je l'ai enfin
atteint, s'est avéré plus excitant, mais aussi moins romantique que prévu. Qu'on
le veuille ou non, l'argent existe et dirige nos vies en exerçant ses
contraintes. Et même si j'ai pris le parti de ne jamais en être esclave, je
subis les mêmes contraintes que tout le monde.
Au printemps 2012, je donnais une entrevue à
Châtelaine. (L'article est ici) La journaliste, Marie-Claude Fortin, voulait
dresser un portrait des écrivains à succès au Québec. Je devais être une des
dernières personnes qu'elle interviewait parce que sa première question est sortie
tout de go : « Considérez-vous que vous opérez une PME? » J'ai éclaté de rire. Moi, businesswoman?
Voyons donc! Je suis juste une écrivaine. Puis l'évidence m'a sauté aux yeux.
Ben, oui! J'en étais rendue là!
Businessman. Businesswoman. Voilà bien des mots auxquels
nous, les artistes, ne voulons pas être associés. Et je ne connais pas un
écrivain à succès qui savait, en commençant à écrire, qu'il deviendrait un jour
percepteur de taxes pour le gouvernement, qu'il aurait besoin des services d'un
comptable pour venir à bout de ses déclarations d'impôts, qu'il pourrait
déduire desdits impôts un pourcentage des frais reliés à l'entretien de sa
maison, de son automobile, et de ses achats de matériel de bureau. Il
n'imaginait pas non plus qu'il lui faudrait tenir un registre précis des
redevances pour chacun de ses titres publiés en fonction de clauses de contrat,
qu'il apprendrait la négociation, qu'il inscrirait ses numéros de TPS et de TVQ
pour la moindre prestation en public, qu'il collectionnerait les reçus comme
d'autres ont jadis collectionné les papillons, qu'il devrait préparer des
remboursements pour des taxes consciencieusement perçues et préparer des acomptes
provisionnels (pour les impôts anticipés l'année suivante).
La réalité n'est pas aussi romantique que mon rêve
d'antan parce que, entre autres choses, aux yeux du fisc, l'écrivain qui a le
statut de travailleur autonome est considéré comme une business. Et si ce même
écrivain déclare des revenus de plus de 30 000 $ par année, il doit
percevoir la TPS et la TVQ auprès de ses éditeurs (et autres «cllients») et remettre ces taxes à la
consommation au gouvernement. Vous avez bien lu. Pour le gouvernement (au
fédéral comme au provincial), l'écrivain à succès est une entreprise. Et à
moins d'être aussi doué avec les chiffres qu'avec les lettres, cet écrivain a
besoin d'un comptable à qui il doit fournir le Guide de l'impôt préparé par
l'Uneq et mis à jour chaque année. Et à moins d'être doué en négociation, de
posséder une mémoire d'éléphant, d'être doté d'une capacité d'analyse et de
synthèse exceptionnelle et d'un détachement à toute épreuve, il peut trouver
pratique d'avoir un agent pour s'occuper de ses contrats.
La première fois que j'ai signé un chèque adressé au
Ministère du Revenu du Québec, j'ai fait rire ma comptable. Elle m'a dit
qu'elle n'avait jamais vu quelqu'un adresser un gros chèque au gouvernement
avec autant de satisfaction. De tous ses clients, j'étais la seule auteure.
Cela expliquait sans doute pourquoi elle ne voyait rien d'extraordinaire dans
ce que moi je considérais comme un exploit. J'aurais peut-être dû lui montrer
les statistiques sur les revenus des écrivains (v. études 2003 et 2008). Aurait-elle
compris la fierté que je mettais à signer ce chèque si je lui avais dit qu'à
peine 10 % des écrivains québécois tiraient plus de 20 000 $ de
leurs revenus de création et que de ce nombre, seulement 2 % dépassent 60 000 $?
Le hasard a fait que les gens aiment ce que j'écris. (V. billet
ultérieur sur le rôle de la chance dans la carrière d'un écrivain). Le hasard a
fait aussi que ces gens achètent mes livres en grand nombre. Malgré les
contraintes fiscales et organisationnelles liées au statut de l'artiste, je
considère que je fais partie des Québécois privilégiés qu'on paie pour mettre
sur papier les histoires qui peuplent leurs rêves. Nous sommes une quarantaine.
Une quarantaine instable, où se retranchent et s'ajoutent chaque année de
nouveaux noms. Et malgré aussi les incertitudes inhérentes à ma situation de
travailleuse autonome gestionnaire d'une PME, je considère que je pratique le
plus beau métier du monde, même s'il n'est pas aussi romantique que l'image que
je m'en étais faite autrefois.
Moi, femme d'affaires? Qui l'eut cru?
Le romantisme saupoudré de gestes pratico-pratique ! Mais tu as raison, cet angle est rarement mis à jour. Ceux qui ne sont pas dans les 10% en arrachent, car ils ne peuvent se permettre ni comptable, ni agent.
RépondreSupprimerJ'ai sursauté au presque 10% tirent plus de 20,000$. J'estimais un gros maximum, 5%. Tu dois le savoir mieux que moi. Mais si vous êtes une quarantaine et que la quarantaine représente à peu près 10%, il y aurait 400 écrivains au Québec ? Petit nombre. Tu dois parler des auteurs inscrits à l'Union des écrivains et écrivaines du Québec, j'imagine.
Quoiqu'il en soit, quand je parle de la réalité de gagner sa vie en tant qu'écrivain au Québec, je te nomme toujours :-)
@Venise : Je crois que la quarantaine d'écrivains, c'est le 2% qui gagne plus de 60 000$.
RépondreSupprimerEt heureusement quand, comme moi, on ne gagne pas encore assez avec sa plume pour en vivre ou pour se permettre les services d'un comptable, on ne gagne pas non plus assez pour devoir percevoir les taxes, ce qui sauve pas mal de paperasse! ;)