Tout d'abord, qu'est-ce qu'un droit dérivé?
Les revenus qui sont payés à un auteur par son éditeur
proviennent de trois sources. En premier lieu, il y a les redevances sur le
livre papier, qui représentent habituellement 10 % du prix de vente
suggéré. Par exemple, pour un livre qui se vend 20 $, l'auteur recevra 2 $
par livre vendu. S'il en vend 1000 en un an, il devrait recevoir 2000 $.
Toutefois, pour la première année de parution d'un livre, l'éditeur retient
souvent 10 % afin de couvrir les retours, c'est-à-dire, les livres qui
sont retournés par les libraires pendant l'année suivante. Au moment du
paiement, un bon éditeur remet à l'auteur un relevé détaillant les ventes, le
total dû, la retenue et le total payé à ce jour (ça, c'est le montant du
chèque.) L'année suivante, l'éditeur envoie un nouveau relevé qui tient compte
des nouvelles ventes. Il émet un nouveau chèque, lequel inclut normalement la
retenue prélevée l'année précédente. (Note : Certains éditeurs produisent
des relevés bisannuels. Ils appliquent les mêmes règles de calcul, mais paient
leurs auteurs deux fois par année. Bénis soient-ils!)
La deuxième source de revenus provenant de l'éditeur est
toute nouvelle. Il s'agit des redevances sur le livre numérique. Ici, le
pourcentage varie d'un éditeur à l'autre, mais l'ANEL (Association nationale
des éditeurs de livres) et l'Uneq s'entendent pour dire que le livre numérique
doit rapporter à l'auteur le même montant en argent que le livre papier. Par
exemple, si l'auteur fait 2 $ sur un livre papier à 20 $ (10 %),
il devrait faire 2 $ sur le même livre en numérique à 10 $. Il
devrait donc, dans ce cas, recevoir 20 % du prix de vente suggéré pour le
livre numérique. Ces redevances sont également inscrites sur le relevé annuel
émis par l'éditeur.
La troisième source de revenus constitue l'objet de ce
billet : les droits dérivés. On appelle « droits dérivés » tout
montant d'argent perçu par l'éditeur qui a vendu à une tierce partie
l'autorisation d'utiliser un livre publié par la maison d'édition dans un but
précis. La vente du livre à un club de livres, par exemple (Comme Québec
Loisirs). La cession de droits pour une adaptation dramatique ou cinématographique
(Quel auteur ne rêve pas de voir son livre devenir un film?). La vente de
droits à une maison d'édition étrangère. La vente des droits de traduction. La
vente d'extraits (pour un manuel pédagogique, par exemple). Et j'en passe. Ici,
the sky is the limit! Le plus souvent, l'éditeur s'engage à verser à l'auteur 50 %
des montants qu'il va percevoir en droits dérivés.
Lors de la signature d'un contrat entre un auteur et un
éditeur, les deux parties doivent s'entendre, entre autres choses, sur les
trois points ci-haut mentionnés. Le montant des redevances pour le livre papier
et pour le livre numérique est habituellement facile à négocier. (Je dis
habituellement, parce que la rumeur veut que des éditeurs imposent désormais à
leurs nouveaux auteurs 8 % de redevances au lieu du 10 %
traditionnel.) Là où ça bloque, c'est avec les droits dérivés. L'Uneq
recommande à ses membres de ne pas céder lesdits droits à l'éditeur. L'éditeur,
lui, insiste la plupart du temps pour avoir tous les droits sur le livre. Ces
deux points de vue se défendent.
Du point de vue de l'auteur, la cession des droits
dérivés crée des limites. Il ne peut plus lui-même faire affaire avec une
maison d'édition étrangère. Il ne peut non plus autoriser l'adaptation
cinématographique sans le consentement de l'éditeur. En fait, quand il cède ces
droits, il accepte que l'éditeur fasse ce qu'il veut avec le livre. Y compris
ne rien faire. C'est malheureusement ce qui se produit trop souvent. Un éditeur
insiste pour avoir les droits d'un livre, mais ces droits ne sont jamais exploités.
Ce qu'espère cet éditeur, c'est faire de l'argent sans effort advenant qu'un
jour, un producteur ou un éditeur étranger tombe sur le livre. Harry Potter ne
fait pas rêver que les auteurs!
Heureusement plusieurs petits éditeurs sont conscients de
leur peu de moyens et ne prennent pas les droits dérivés. La clause mentionne
qu'ils se contentent de prendre les droits pour la diffusion du livre en
français au Canada.
Du point de vue de l'éditeur, l'appropriation des droits
dérivés d'une oeuvre constitue un investissement. Il faut comprendre qu'un
éditeur qui ne possède pas les droits dérivés d'un livre ne va pas travailler à
la diffusion du livre de la même manière. Il ne va pas embaucher un agent pour
le représenter dans les foires du livre hors Québec (comme à Toronto, à Paris
ou à Frankfort, mettons). Il ne fera pas traduire un extrait dans le but de le
vendre. Il ne fera pas jouer ses contacts, s'il en a, en vue d'une adaptation
cinématographique. En fait, l'éditeur à qui on ne cède que les droits en
français au Canada va faire ce qu'il a le droit de faire, c'est-à-dire diffuser
le livre en français au Canada. Il
ne se forcera pas pour le reste puisque ça ne lui rapportera pas une cenne.
C'est ici qu'il faut faire preuve de jugement quand on
signe un contrat. On peut demander à l'éditeur qui insiste pour avoir les
droits dérivés ce qu'il compte faire de ces droits une fois qu'il les aura. On
peut lui demander quelles sont ses relations dans le milieu du cinéma et dans
le milieu de l'édition en France et ailleurs. On peut aussi lui demander
comment il entend exploiter le livre. S'il vous dit qu'il va le publier et le
faire distribuer en librairie, il y a de bonnes chances qu'il ne sache pas quoi
faire avec les autres droits. Vous pouvez aussi regarder combien de livres de
cette maison d'édition ont été traduits, distribués en Europe, vendus à
d'autres maisons d'édition pour être diffusés autrement (en format poche, par
exemple).
Cela dit, quand on signe un contrat pour un premier
livre, je suggère toujours d'exiger le moins possible et d'attendre pour voir.
Parce que l'auteur d'un seul livre n'a pas de pouvoir de négociation. À trop
insister pour conserver les droits dérivés, un auteur peut voir l'éditeur
renoncer à la publication. Rares sont les éditeurs qui veulent à tout prix
publier le premier roman d'un auteur. Et il est tout aussi rare de voir le
premier roman d'un auteur devenir un best-seller (Ah, Harry Potter, quand tu
nous tiens!).
Je suis donc d'avis qu'il faut y aller à l'instinct, ne
pas avoir une trop grande estime de soi-même et de son œuvre, surtout quand on
commence. Et il faut savoir ce qu'on veut. Plus ça fait longtemps qu'on publie,
mieux on s'établit en tant qu'auteur. Et mieux on est établi, plus on est
connu. Ça s'appelle gravir les échelons. Ce n'est pas les deux pieds sur la
première marche que J.K. Rowling a pu exiger ses grosses redevances. Elle a dû
faire ses preuves. Je parie que si on compare le contrat de son premier roman
avec le contrat de son dernier roman, on va trouver des différences
significatives (ici, significatives est un euphémisme).
Merci pour ces éclaircissements. Il y a quelques éditeurs qui auraient intérêt à te lire. Je pense bien qu'ils se comptent sur les doigts de la main les éditeurs québécois qui ont assez de contacts et de chiffre d'affaires pour s'aventurer dans les droits dérivés. Hélas!
RépondreSupprimerEffectivement.
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