Le meilleur remède contre l'ignorance |
Dans mon quartier, il y a deux Tim Hortons, un McDo (le plus grand au
Canada, il paraît), un Burger King, un PFK. On a aussi plusieurs brasseries et
des bars de quartier où les clients arrivent ben de bonne heure. On compte une
pharmacie à tous les coins de rue, un peu moins d'épiceries, mais pas de
Maxi-et-Compagnie. Ni de Costco. Mais on a un Walmart, un comptoir familial et
ben des friperies.
On n'a pas de librairie. Pas même de librairie d'occasion, sauf le Club
Rotary. Oh, on en avait bien une autre dans le temps! Mais il faut en vendre
des livres à 2 ou 3$ pour payer un loyer, même dans un quartier comme le mien!
Quand la vente par Internet est devenue populaire, la p'tite librairie, au coin
de la 8e , a fermé ses
portes. À la place, on vend du linge de travailleurs, maintenant. Et des bottes
à caps d'acier.
Dans mon quartier, les enfants jouent dans le parc. Ils n'ont pas de iPatentes. Les plus jeunes se poussent à qui mieux mieux dans les balançoires.
Les plus vieux se défient entre deux paniers de basket. L'hiver, tout le monde
va patiner en arrière de l'école Laporte. Ou bien jouer au hockey.
Dans mon quartier, on a des trottoirs dans toutes les rues parce que bien
des gens sont à pied. On a des lumières pour piétons qui fonctionnent à la
demande. Et on a ben des autobus.
On appelle les quartiers comme le mien des milieux défavorisés.
Ici, quand l'envie nous prend d'acheter un livre, on ne pense pas trente
secondes à descendre au centre-ville à la librairie Pauline. On sait bien quel
genre de livres on va trouver là. On se dit qu'on pourrait à la limite prendre
un autobus pour traverser la ville et se rendre chez GGC. On en profiterait
pour acheter un peu de papeterie parce que ça non plus, on n'en a pas dans
notre quartier. Faut se contenter de ce qu'on trouve en pharmacie.
Vous imaginez qu'avec des conditions comme celles-là, on ne lit pas
beaucoup dans mon quartier. C'est qu'en partant, mes voisins ne sont pas de
grands lecteurs. Ils passent au travers du Journal de Montréal ou de La Tribune
en mangeant au comptoir à la pizzeria Demers. À la limite, ils feuillettent des
revues chez la coiffeuse. Mais quand ils montent au centre d'achat des
Quatre-Saisons, sur la 13e Avenue,
il leur arrive de s'acheter un livre chez Walmart. Des fois, c'est le guide de
l'auto. D'autres fois, un livre de recettes. Pis si le dernier Marie Laberge
est là, je les ai déjà vus le mettre dans le panier avec le sac de plastique
qui contient des bobettes pliées en quatre. Ils aiment bien Janette Bertand
aussi. Pis Francine Ruel. Pis Pauline Gill et Sonia Marmen pis les autres
aussi, qui écrivent des histoires qui les font rêver et qu'ils comprennent à la
première lecture. Parce que leur ado leur a déjà parlé de Patrick Senécal, ça
leur arrive de ramasser un de ses romans quand il y en a. Et s'ils mettent la
main sur un Bryan Pero ou un India Desjardins, ils sont tout contents. Parce
qu'ils aiment bien voir lire leurs enfants. Chose certaine, mes voisins qui
lisent font toujours bien attention à ne pas dépasser leur budget. C'est un
livre à la fois qu'ils achètent, parfois deux, les jours fastes. Mais jamais
plus.
Il y a aussi mes autres voisins, ceux qui ne lisent pas. Ceux-là, ils
n'achètent pas de livre évidemment. Mais c'est pas par goût. C'est souvent
juste parce qu'ils ne savent pas ou qu'ils auraient trop de misère pour
comprendre ce qu'ils liraient s'ils lisaient. Paraît qu'ils forment 49% de la
population. On appelle les meilleurs d'entre eux des analphabètes fonctionnels.
Avec un système d'éducation comme le nôtre, ils ne devraient même pas exister.
Ils existent pourtant bel et bien. Et je les croise tous les jours dans la rue.
Ma parenté, elle, vit un peu plus haut. Mes oncles, mes tantes, mes cousins
et cousines ont presque tous une auto. Alors plusieurs d'entre eux vont chez
Costco faire leur épicerie. Ils ont les mêmes goûts que mes voisins qui lisent,
mais ils connaissent plus d'auteurs et ont un peu plus de moyens. Ils passent
beaucoup de temps dans les deux rangées de livres, entre les vêtements pour hommes
et le matériel saisonnier. Acheter des livres, pour eux, ça se fait avec les
autres commissions. Sauf dans le temps des fêtes où là, ils font une virée
spéciale chez GGC ou au Renaud-Bray du Carrefour ou au Archambault. Pour faire
des cadeaux. Mais en dehors des fêtes, les membres de ma famille achètent des
livres en même temps que les autres petites choses dont on a besoin au
quotidien.
Dans ma famille, on aime bien Québec Loisirs aussi et on se met
tranquillement au livre électronique. S'acheter le dernier roman de Michel
David en trente secondes sur Internet, c'est comme plonger la main dans une
boîte de chocolats. Et même si on achète aussi le dernier Katherine Pancol, le
dernier Diana Gabaldon, le dernier Marc Lévy ou le dernier Guillaume Musso, on est
bien fiers de dire qu'on lit majoritairement du québécois. Parce que c'est
vrai. Et parce qu'on sait qu'en achetant les livres d'Anne Robillard, de
Suzanne Aubry, de Micheline Lachance et de tous ces autres qu'on rencontre au
Salon du livre, on fait vivre les écrivains de chez nous.
Le problème avec l'idée du livre à prix unique, c'est que ce sont aux gens
comme mes voisins et comme les membres de ma famille à qui on demanderait de
payer plus cher pour leurs livres. Et pourquoi? Pour que poignée de clients des librairies, séduits par les prix de Costco, n'hésitent plus à acheter leurs livres dans ladite librairie quand
ils sont sur place.
C'est vrai qu'ils existent, ces gens qui fréquentent les librairies et qui,
trouvant les livres trop chers et sachant qu'ils ont aussi des courses à faire
chez Costco, vont reporter l'achat du livre qu'ils auraient peut-être achetés si
le livre avait été partout au même prix ou à peu près. Mais il s'agit d'une fraction de tous les gens qui achètent en grandes
surfaces! Une fraction minuscule. Et il est bien difficile d'imaginer qu'un
changement d'habitude chez cette fraction minuscule pourrait sauver les
librairies indépendantes. Qu'est-ce qu'on fait des autres? De ceux qui ne
vont jamais dans les librairies? De ceux qui n'en ont pas près de chez eux?
Tant pis! Ils paieront tous plus cher. Et achèteront moins, faute de
budget.
Une chose est certaine dans tout ça: sous la loi du livre à prix unique, si
les grandes surfaces comme Costco et Walmart continuent de vendre des livres, elles feront
davantage de profit sur chaque livre vendu. Un profit supplémentaire qui sera
fait sur le dos de mes voisins, de ma parenté et de tous ceux qui leur
ressemblent. Et pour chaque livre auquel ces clients renonceront à cause du
prix, il y aura des écrivains et des éditeurs qui y perdront.
Il me semble qu'il doit bien y avoir un meilleur moyen de sauver nos librairies. Un VRAI moyen. Pas une chimère.
p.s. Pour ceux qui se posent la question, sachez que la grande majorité des écrivains dont les livres sont vendus dans les grandes surfaces reçoivent les mêmes redevances (i.e. le même montant d'argent) que pour leurs livres vendus en librairie. Ceux qui reçoivent moins se font avoir par leur éditeur. La Sorcière vous explique pourquoi dans un prochain billet.
«Il n'y a pas besoin de brûler des livres pour détruire une culture. Juste de faire en sorte que les gens arrêtent de les lire.» Fahrenheit 451 |
Je comprends fort bien ton propos et je viens de ce genre de coin, et j'habite toujours dans ce genre de coin moi aussi. Mais je reste en désaccord avec toi. Et pas tant pour sauver ce qu'il reste de librairies ou quelques éditeurs; ni tant pour les livres québécois. Je vais rester collée sur ton argumentaire.
RépondreSupprimerParce que l'affaire qui m'inquiète le plus, avec le fait de laisser les grandes surfaces décider du prix du rabais sur le livre dès sa sortie, c'est la réaction des éditeurs.
On l'a vu avec les rabais sur le vin à la SAQ: ça fait augmenter les prix de tous les vins parce que si le producteur a besoin de faire X de profits, il va augmenter tous les prix pour le faire.
Et c'est pareil pour le prix du livre. Quand l'éditeur de Ricardo sait qu'une bonne partie des livres seront vendus à 25$, il sait aussi qu'il veut faire 3$ sur chaque livre. Alors qu'est-ce qu'il décide? De monter son prix, pour être certain que le rabais accordé ne viendra pas gruger sa marge de profit. Et on se ramasse, de même, avec des livres de recettes à 40$ qui en valent 25$.
En Angleterre, c'est ce qui se passe: le prix du livre a augmenté plus vite que le coût de la vie!
On fait quoi avec ça? Mes voisins, et les tiens, ne pourront toujours pas plus s'acheter de livres si le prix augmente plus vite que celui des bobettes.
Voilà bien le premier argument censé que j'entends en faveur du livre à prix unique. Mais ça n'a absolument rien à voir avec la sauvegarde des librairies, alors que c'est justement l'argument utilisé pour justifier une telle loi.
SupprimerIl faudra que je m'informe sur la réalité anglaise que tu me décris ici. Je n'en suis pas certaine, mais il me semble que ce n'est pas tant la part de l'éditeur qui est grugée quand Costco réduit le prix, que celle du distributeur. Mais je vais vérifier. Ce dont je suis certaine, cependant, c'est que ce n'est pas la part de l'auteur, dans la majorité des cas. La Sorcière va en parler bientôt.
Je ne pense pas qu'on puisse appliquer ton raisonnement à la SAQ tout simplement parce qu'il s'agit d'un monopole et que les règles du marché ne fonctionnent pas dans un monopole.
Mais peu importe la raison, il faudra bien accepter que si on augmente artificiellement le prix des livres, on en vendra moins. Je dis artificiellement parce qu'une loi fixant le prix du livre ne respectera aucun des règles du marché. Et ce sont justement les règles du marché qui ont permis une plus grande diffusion des livres au Québec. Et cette large diffusion a amené des ventes qui, elles ont permis l'émergence de plusieurs écrivains vivant de leur plume aujourd'hui.
En effet, le pourcentage versé à l'auteur ne diminue pas. D'ailleurs, je reçois le même pourcentage quand je vends un livre électronique aussi, même s'il est moins cher.
SupprimerLe distributeur ou l'éditeur: quelqu'un tient à faire son argent et ça augmente le prix à la longue! Ça m'inquiète.
Et si le moyen proposé (un prix à peu près fixe pour 9 mois) pour diminuer l'augmentation du prix des livres est discutable, discutons-en pour un trouver un meilleur, je suis à 100% d'accord là-dessus. Mais ne rien faire n'est pas non plus la solution, j'en ai bien peur.
Hum... la notion des "lois du marché" me fait tiquer. C'est la plus grande illusion du capitalisme. Du moment où un acteur fixe un pourcentage qu'il veut, peu importe les conditions économiques, ou se calcule une marge de profit fixe, les lois du marché sont contournées.
SupprimerCela dit, tant qu'à moi, le prix unique du livre ne sauvera pas les librairies. Seul un retour massif des gens à la lecture sauvera les librairies. On en est loin.
Il ne peut pas y avoir un retour massif de gens à la lecture tout simplement parce qu'il n'y a jamais eu d'aller. Les gens n'ont jamais autant lu que maintenant.
SupprimerLol! Ouais, bon point! ;)
SupprimerLes ennemis des librairies, en ce moment, ce ne sont pas les grandes surfaces, mais Amazon et ses semblables et, malheureusement aussi, le livre numérique. Ce sont deux méchants gros ennemis et on ne sait trop par quel bout les affronter. Je vais écrire un billet là-dessus à un moment donné...
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerÀ propos des marges de chacun. De façon générale, la vente de livres en grande surface ne modifie pas (comme tu le mentionnais) le revenu de l’auteur ou de l’éditeur. Cela ne modifie pas non plus le revenu du distributeur. C’est essentiellement le détaillant qui rogne sur sa marge pour offrir ce prix de détail réduit.
RépondreSupprimerLuc
Wow! Un éditeur qui vient lire notre blogue! On ne rit plus.
SupprimerUn immense merci pour cette précision. Fallait que j'aille poser la question chez VLB alors tu m'évites un téléphone.
On se voit à Montréal!