(Ce billet est une sorte d'approfondissement
du sujet que j'ai abordé en février dans le billet Parler du travail de l'écrivain oul'art de prêcher dans le désert.
J'ai terminé le premier jet de mon nouveau roman à la fin
de juillet. Je l'ai mis de côté pendant un mois, le temps d'écrire le scénario
de Yukonnaise. Je l'ai repris au
début d'août, l'ai relu et l'ai réécrit puis je l'ai donné à lire à mon chum
pendant le mois que je passais au Yukon. Je suis revenue il y a deux semaines
et j'achève une dernière relecture/réécriture. Cette semaine, une lectrice m'a
demandé sur Facebook : « C'est votre 14e. Vous devez bien
savoir comment ça s'écrit, un roman! Pourquoi passer votre temps à le réécrire?
Il sera publié plus vite si vous l'envoyiez tout de suite à votre éditeur. »
(J'ai corrigé ses fautes d'orthographe. J'espère qu'elle me pardonnera d'avoir
touché à son texte sans sa permission.)
Bon. J'ai d'abord
été flattée de voir avec quel enthousiasme elle attendait mon prochain livre. (Quel
auteur ne le serait pas?) Mais au-delà de l'empressement, j'ai surtout lu dans
son message une méconnaissance profonde du métier d'écrivain.
L'écriture, c'est d'abord de la réécriture. Ils sont bien
rares les écrivains dont le premier jet est publiable. D'ailleurs, je n'en
connais pas. Il paraît que c'est le cas d'Amélie Nothomb, mais je ne la crois
pas. (J'ai le droit!) Pourquoi? Tout simplement parce que l'écrivain est un
être humain. Un être humain fiable (parfois!), mais pas infaillible. Lorsque
nous écrivons ce qui naît dans notre tête, nous traduisons en mots des idées,
des images, des paroles, des pensées. Nous ne sommes que le canal. Et un canal
humain est capable d'erreurs humaines.
Il y a toutes sortes de choses qu'on n'a pas envie de
voir dans un livre publié. Des digressions, des longueurs inutiles, des bouts
qui nécessitent un développement, des répétitions du même mot, des redites
d'idée, des incohérences, des problèmes de structure (parce qu'on aura beau
travailler comme des acharnés, jamais un roman complet ne sortira de notre
cerveau en une heure). Entre le moment où on commence une histoire et le moment
où on la finit, il peut s'être écoulé des mois, voire des années. Plusieurs
années, même, si on s'attaque à une série. (Parlez-en à G. R. R. Martin,
l'auteur de A Game of Thrones.)
Comment voulez-vous qu'on retienne tout ce qu'on a écrit? Oh, on finit bien par
s'en souvenir, à un moment donné, à force de retravailler le texte trois, cinq,
dix fois. Et quand on termine la dernière révision des corrections d'épreuves,
on le connaît par cœur notre %/$%?&*?& de texte et on ne veut plus le
voir tellement il nous donne la nausée. Mais entre les deux, les relectures ont
été nombreuses, parfois rigolotes, parfois pénibles, parfois humiliantes (Surveillez
bientôt le billet intitulé : Réviser
les révisions du réviseur. Je vous promets des détails croustillants.).
Mais surtout, il y a une EXCELLENTE raison pour ne pas
envoyer son manuscrit tout de suite à son éditeur. La MEILLEURE raison de toutes!
C'est que l'éditeur a la fâcheuse habitude de mettre la charrue devant les
bœufs. Souvent, s'il a trouvé le roman à
son goût, il l'envoie tout de suite en direction littéraire, voire en
révision (Ce qui est encore pire!!!). Et là, on va hachurer votre texte. On va
déplacer des paragraphes, remplacer des mots, effacer des phrases. Et je vous
épargne l'horreur des pages entières supprimées. Bref, si votre roman n'est pas
à point, quelqu'un d'autre va se charger de le rendre a point, de le mettre de
niveau à tout le moins. Bien sûr, on vous dira souvent qu'il s'agit de
suggestions. Mon œil! Quand un directeur littéraire a travaillé pendant des
semaines sur votre texte et qu'il vous l'envoie, il ne veut pas le voir revenir
dans sa version initiale. Sauf que 90% du travail qu'il aura fait sur votre
roman, vous auriez été capable de le faire vous-même, avec un peu de recul. Et
au lieu que votre roman prenne en partie la personnalité de votre directeur
littéraire (ou de votre réviseur), ce serait réellement VOTRE roman, avec VOTRE
vision du monde et VOTRE vocabulaire et VOTRE style, qui serait passé ensuite en
révision (ou en correction) et où on aurait nécessairement trouvé pas mal moins
de choses à redire.
Je suis peut-être orgueilleuse, mais quand on publie un
livre avec mon nom sur la couverture, j'ai besoin d'être convaincue que c'est
bien de mon œuvre qu'il s'agit. J'ai trop vu d'écrivains furieux de ne plus
reconnaître le roman qu'ils avaient écrit parce que celui ou celle qui était
passé dessus au stylo rouge (ou pire, dans le mode Révision de Word!) s'était
avéré un écrivain frustré qui n'avait qu'une envie: transformer un texte pour
le mettre à sa main. Ne vous méprenez pas. Il y a de très bons directeurs
littéraires. J'en connais. Et j'en connais des moins bons. Mais il y en a
d'autres à qui je ne laisserais jamais un pouce de jeu. Et malheureusement, on
ne reconnaît pas ces derniers tant qu'on n'a pas eu à travailler avec.
Alors, comme on dit par chez nous, je ne prends pas de chance et je ne soumets que des textes à point.
Comme ça, quand ils me reviennent, si je dois m'arracher les cheveux, ce sera
avec raison, et non parce que j'ai auparavant bâclé mon travail.
Ma directrice littéraire préférée (Élisabeth Vonarburg pour ne pas la nommer) à une théorie sur l'écriture/réécriture. Selon elle, il faut à un écrivain environ X temps pour écrire un roman. Alors qu'il fasse 28 versions ou qu'il réfléchisse pendant 2 heures avant de coucher le moindre mot et se sauve ainsi des réécritures, au final, le bouquin aura pris le même nombre d'heures à produire.
RépondreSupprimerEt pour avoir eu des directeurs littéraires que j'ai moins appréciés... Oh que je te comprends de vouloir leur laisser le moins de prise possible. Cela dit, quand tu tombes sur quelqu'un décidé à charcuter ton texte, des fois il le fait même si c'est pas nécessaire.
Malheureusement...
Supprimer