lundi 3 février 2014

Histoire de la littérature populaire au Québec

La Presse publiait vendredi un article sur le succès des sagas de romans historiques au Québec. Bon. L'article contient de petites erreurs (comme de laisser entendre que VLB commence à publier du roman historique), mais grosso modo, on y dresse un portrait assez juste de la réalité... d'il y a cinq ans environ. Comme on le disait dans le temps de la ruée vers l'or, quand les journaux se mettent à parler du filon, il est déjà trop tard pour penser à se prendre un claim. Pensez aux romans de vampires. Le temps que de nouveaux auteurs s'y mettent, la mode était déjà passée.

Mais enfin, je me suis dit qu'il était peut-être judicieux de tracer ici les grandes lignes de l'histoire de la littérature populaire au Québec. L'article traite surtout du roman historique, mais on y donne une définition intéressante du roman populaire. Elle est de Daniel Compère. Sa définition des romans populaires se base sur deux critères qui s'appliquent tout à fait au roman populaire québécois. «Ce sont des publications destinées à un large public, ce qui suppose que celui-ci peut être atteint si la publication est bon marché et connaît une large diffusion [...] Deuxièmement, ce sont des oeuvres non reconnues par les instances de légitimation (académies, critiques, établissements d'enseignement).»

Le phénomène du roman populaire est relativement nouveau au Québec. En 1990, lors de la publication de son essai Écrire de la fiction au Québec, l'écrivain Noël Audet dénonçait le fait que la littérature québécoise rejoignait mal son public.[1] À cette époque, notre littérature était surtout constituée de romans dits littéraires écrits par et pour une certaine élite. Quand on cherchait un roman québécois, il fallait se rendre dans les rayonnages, tout au fond de la librairie. Le public québécois en général lisait peu et les gens qui lisaient achetaient surtout des traductions de l'américain ou des importations françaises. Le Québec pouvait compter sur les doigts d'une main les auteurs qui vivaient de leur plume.

Les choses ont changé quand, autour des années 2000, des maisons d'édition audacieuses (dont VLB, Libre Expression et Québec-Amérique) se sont mises à publier des écrivains dont la plume, plus accessible, rejoignait un très vaste public.[2] Pour assurer une meilleure diffusion de ces œuvres, les distributeurs ont multiplié les points de vente. C'est ainsi que Costco et autres grandes surfaces ont commencé à vendre des livres. Parce qu'elles misaient sur l'écoulement rapide d'une grande quantité de livres, les grandes surfaces n'ont pas hésité à diminuer leur marge de profit. Elles n'ont toutefois pas exigé qu'on leur vende les livres moins cher[3], de sorte que les auteurs, éditeurs et distributeurs recevaient — et continuent de recevoir — le même montant par livre vendu.[4]

Aujourd'hui, le public québécois lit beaucoup de littérature québécoise. Rendez-vous dans n'importe quelle librairie et vous trouverez, près de l'entrée, des cubes où on met en évidence les romans d'ici. En conséquence, le nombre d'écrivains vivant de leur plume est passé de cinq ou six à une cinquantaine. Et quoi qu'on en dise ces jours-ci, voir des romans québécois concurrencer les romans américains et français sur les tables de Costco est un accomplissement dont on doit être fier.

Il est vrai que cette transformation a causé un certain transfert de clientèle de la librairie à la grande surface parce que les livres y étaient moins chers. Mais il faut se rappeler que la grande surface rejoint une bien plus vaste clientèle que la librairie. Une clientèle de gens ordinaires qui, autrefois, n'achetaient pas de livres ou presque. Et ces gens-là ne vont pas en librairie. 

Ce qui me dérange, c'est que ce sont ces gens-là qui sont visés par une réglementation du prix du livre. Oh, on ne les vise pas directement. Mais en limitant les rabais sur les livres neufs dans l'espoir qu'une poignée de déserteurs de librairie rentrent au bercail, c'est comme si on tirait à la mitraillette sur une volée d'outardes dans l'espoir que quelques-unes tombent à nos pieds. Qu'on en blesse tout plein pour rien nous importe peu. Mais moi, ça m'importe. Ça m'importe parce qu'il s'agit de mon lectorat. Ce sont eux et eux seuls, les lecteurs de best-sellers, qui vont devoir payer leurs livres jusqu'à 30% plus cher. 

Croire, comme le croit le c.a. de l'Uneq, qu'une telle augmentation du prix des livres n'aura pas d'influence sur les ventes relève de l'utopie. Si les prix montent en flèche, on va vendre moins de livres. Il s'agit là d'un principe économique de base. Et toute baisse dans les ventes de livres se traduira par une baisse de revenus pour les auteurs qui font enfin lire le public québécois. Il est toujours facile de faire payer les autres. En ce moment, ceux qui approuvent la réglementation du prix du livre ne sont pas ceux qui ont beaucoup à perdre.

Je l'ai dit souvent, le problème des libraires, ce n'est pas la grande surface. C'est internet. Et comme pour me donner raison, La Presse publiait un article à ce sujet le 31 janvier. Les grands magasins terrassés par le cybercommerce. Pourquoi on y parle des librairies? Parce que les librairies sont des commerces. Et elles sont d'autant plus vulnérables qu'on peut acheter n'importe quel livre en ligne en quelques clics. C'est pas comme une paire de souliers ou des jeans. On n'a pas besoin de l'essayer quand on achète un livre.

La semaine prochaine, je reviendrai sur le roman historique. Parce qu'on ne peut pas tout mettre d'un coup dans un billet de blogue. Et parce que j'ai ben des choses à dire sur le sujet. ;-)




[1] Voir le texte original de Noël Audet à la page 16 de Écrire de la fiction au Québec, publié chez Québec/Amérique en 1990.
[2] Pour plus de détails, il faut lire l'essai de Pierre Graveline, Une passion littéraire, publié chez Fidès en 2009.


25 commentaires:

  1. Moi aussi j'ai des trucs à dire sur le roman historique. Notamment : pourquoi dès qu'on parle de "roman historique", dans 95% des cas on parle d'histoire du Québec? J'veux dire, on nomme Maryse Rouy dans l'article de La Presse, en oubliant un ti peu de mentionner sa saga médiévale. 7000 ans d'histoire humaine, pis on célèbre toujours les romans qui parlent des 4 derniers siècles, pis qui se passent dans notre cour arrière, ça devient long me semble... (D'ailleurs, ça fait plusieurs fois que je remarque que Lili Klondike est pratiquement inconnu de mes lectrices dévoreuses de romans historiques et de tes publications plus récentes. Pourquoi? Ben parce que ça se passe pas au Québec!!! O_o)

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    1. On se donne donc rendez-vous la semaine prochaine, chère Gen, pour parler plus longuement du roman historique. T'as besoin d'être là! Pis mon texte a besoin d'être intéressant. :-P

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    2. Tout à fait juste. Et c'est drôle parce que tu nommes des romans historiques que j'ai lus: alors on voit assez bien que mes intérêts touchent l'international, même si le temps n'est pas contemporain! ;)

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    3. @La doyenne: Vous ai-je déjà fait faux bond? ;)

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    4. Non. Jamais. Alors je compte sur toi pour nourrir le débat la semaine prochaine. Ça promet d'être intéressant.

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  2. Je ne lis pas beaucoup de romans historiques, suite à plusieurs déceptions de romans qui racontaient n'importe quoi en ayant la prétention de peindre la réalité avec acuité. J'ai aussi découvert que règle générale, les historiens ne sont pas écrivains. ;-)

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    1. Dans le roman historique, comme dans n'importe quelle autre discipline, il y a de très bons romans. Et il y en a de très mauvais. Effectivement, les historiens sont rarement écrivains. Quoique...on en a quelques-uns au Québec. Jean-Pierre Charland, Anne-Marie Sicotte, Martin Fournier, par exemple. Mais vous avez raison, règle générale, les historiens ne sont pas écrivains. Ce qui ne veut pas dire que les écrivains de romans historiques écrivent tous n'importe quoi.

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    2. ... même s'il y en a qui écrivent n'importe quoi. Malheureusement.

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    3. J'ai trippé sur les aventures de Radisson:
      http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/aventures-de-radisson-t-1-les

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    4. Tout à fait d'accord : la plupart des historiens, avec leur plume hyper aride, font de très mauvais écrivains. (Et ceux qui sont des écrivains supportables étaient probablement de moins bons historiens, trop intéressés à la "big picture" ou à l'anecdote pour écrire de bons articles scientifiques... entk, moi c'était mon problème! lol! ;) Cela dit, on peut être non-historien et faire d'excellentes recherches historiques.

      Mais faut éviter les romans de type Da Vinci Clone! lol!

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    5. «Plume hyper aride.» Méchante belle façon de dire les choses. Et c'est tout à fait vrai. L'équilibre est bien difficile à atteindre.

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  3. Pour ce qui est de relier littérature populaire - sagas historiques et bon marché, faudrait encore nuancer, analyser. Par bon marché, il doit s'agir de livre de poche parce que les sagas de Charland, David ou D'Essiambre pour ne nommer que ceux-là, sont le même prix que tous les autres romans (plus littéraires???), quoiqu'avec 100 ou 200 pages de plus, parfois.
    Sujet complexe parce qu'il est question de commerce et de littérature, d'histoire et de fiction...

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  4. Bien d'accord avec toi Elisabeth ... Tu fais bien de mettre au grand jour les détails "cachés" qui passent souvent sous silence pour le commun des lecteurs ... car l'information est souvent distillée et embellit pour faire passer le message selon le point de vue qu'ils veulent nous donner ... Lâches pas ;)

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    1. Ma chère Carole,

      Bien que je sois d'accord avec le contenu entier de ce billet, il est l'œuvre de la Doyenne et non la mienne... ;)

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  5. Une chose qu'il faudrait mentionner et que ClaudeL effleure : les sagas historiques à 25$ (quand c'est pas 30$) le roman grand format, ça revient cher vite pour l'acheteur.

    Si les éditeurs veulent éviter que leurs ventes diminuent malgré la hausse des prix dans les grandes surfaces, ils pourraient ptêt considérer un format un brin plus compact, qui se vendrait 2-3 dollars de moins? (c'est sûr que ça attaque encore le revenu de l'auteur, mais si les ventes se maintiennent, ça serait ptêt une baisse plus facile à encaisser... et je sais que ça ramènerait certains lecteurs, parce que je suis pas la seule que ça écoeure de traîner une brique de 300 pages dans mon sac! les petits formats, c'est pas mal plus portables!)

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    1. C'est certain que si la réglementation finit par passer, il faudra que le marché s'adapte. Je ne peux pas imaginer comment mon éditeur ferait pour publier du grand format à moindre prix. Ça fait des années déjà qu'il retarde le moment d'augmenter le prix des livres parce que les coûts de production, eux, ont déjà augmentés. Alors c'est vrai qu'il reste le format poche, mais là, on va perdre tous les gens plus âgés... ce qui constitue une grande partie de mon lectorat. Sans parler du % de redevance qui est de 6 à 8% sur le format poche au lieu de 10% sur le grand format. 6 ou 8% sur un livre beaucoup moins cher, ça voudra aussi dire une grosse baisse de salaire pour les écrivains.

      Finalement, je vais continuer d'allumer des lampions pour que cette fichue réglementation ne passe jamais.

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    2. Quoi, vous touchez moins de redevances sur les livres poches???? Je suis outrée la Doyenne! Ce devrait toujours être 10% sur les livres, tout le temps!

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    3. Pour les redevances sur le format poche, ça dépend des maisons d'édition. Je sais que chez Alire, format poche ou grand format, l'auteur touche le même %.

      Et je ne pensais pas nécessairement à un format poche, juste à quelque chose d'un peu plus petit que le grand "paper back". Moins de marge autour du texte, le caractère à peine plus petit, je pense que ce serait viable (le genre de format de chez Alto mettons).

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  6. Petite précision La Doyenne, les grandes surfaces n'ont pas demandé qu'on leur vende les livres moins cher, le fameux 40% de remise est fixé par la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre, qui date de 1981. Voir les points 1 et 2 http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/D_8_1/D8_1R2.HTM Contrairement à la situation en France, ici la remise est fixée par réglementation. Je crois honnêtement qu'il serait à votre avantage pour mieux comprendre pourquoi les gens se battent si fort pour le prix unique de regarder du côté de cette loi, particulièrement du côté des obligations faites aux librairies agrées (qui sont majoritaires au Québec) http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/D_8_1/D8_1R4.HTM Quand on voit ça, on voit pourquoi les libraires y tiennent si fort. Le prix réglementé vient combler une brèche dans la loi destinée à assurer un réseau de distribution du livre fort au Québec.

    Quoiqu'il en soit, je suis plutôt d'accord avec les deux premiers paragraphes de ton billet, particulièrement (et malheureusement! :( ) avec le deuxième critère. Je déteste que l'on mette dos à dos qualité et popularité.

    Et de mon côté, je vais continuer à allumer des lampions pour que le règlement passe :) (à ce rythme, les seules personnes qui vont s'enrichir sont les vendeurs de lampions! ;) )

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  7. Je parlais du ''bon marché'' de l'article de Compère. Au Québec pas vraiment de livre bon marché! Que ce soit des livres populaires ou ''littéraires''.

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    1. Claude, tu as tout à fait raison. Mais le prix de nos livres est élevé parce que nous avons une petite population. Nous imprimons donc à coup de très petits tirages (400-500 copies pour les livres littéraires, autour de 2000 copies pour les livres grand public. Autour de 4000 et des fois plus pour les auteurs vedettes grand public).

      On est loin des tirages français (Pour te donner une idée, Pocket a tiré L'escapade sans retour de Sophie Parent à 30 000 copies. Il peut donc le vendre à prix très bas. (Il se vend 14$ ici et ça inclut les frais d'importation! ) Ici, on ne peut pas vendre les livres aussi peu cher sans publier à perte.

      Un livre français acheté en France par un Français revient beaucoup moins cher qu'un livre québécois acheté au Québec par un Québécois.

      Idem pour un livre américain acheté aux États-Unis par un Américain.

      C'est toujours une question de population. Je nous trouve quand même chanceux parce que ce sont des subventions aux éditeurs qui permettent de publier autant de livres au Québec.

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    2. Hum... Je sais pas si j'avais juste été malchanceuse dans mes choix à Toulouse, mais je n'avais pas trouvé que les livres français, même en Pocket, étaient moins chers. Souvent, c'était le même 12 à 15 bidous que chez nous, mais là-bas le bidou était en euro. Par contre, j'ai vu nettement moins de grands formats (beaucoup de format "milieu" comme j'évoquais plus haut).

      Les Américains, par contre, vendent effectivement leurs livres moins cher. Mais z'avez vu comment ils tassent le texte sur les pages, même dans les grands formats? Ils gaspillent pas le papier eux-autres!

      L'économie d'échelle joue, c'est sûr, mais j'ai tendance à croire que c'est pas si marqué.

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    3. Probablement pas mal malchanceuse, Gen... ;) Les Pocket vendus ici autour de 14$ sont en majorité moins de 8 euros en France. En ce qui concerne les livres grands formats, plusieurs, surtout dans les catégories "jeunes adultes" et "grand public", sont 15 euros contre 24.95 à 29.99$ ici. Une bonne différence donc selon le taux de change du moment.

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    4. @La sorcière : Ah ouais, la différence est appréciable en effet! (Remarque, j'ai jamais regardé combien coûtaient ici les livres que j'ai achetés là-bas!)

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    5. Il faut aussi tenir compte du pouvoir d'achat des locaux. Le roman français acheté par un Français en France vs le roman québécois acheté par un Québécois au Québec. C'est là que se trouve la différence.

      Parce que c'est certain que, pour nous, ça fait souvent cher d'acheter en France. En Suisse, c'est pire! On se ruine en deux jours alors que les Suisses vivent très bien avec un salaire même moyen pour un Suisse (et en francs suisses).

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