Cette semaine, pour vous faire
rigoler, j'ai décidé de vous raconter comment j'ai vécu à la période des
lettres de refus. Parce que je ne vous mentirai pas, tous les écrivains en
reçoivent, à un moment ou à un autre.
À la fin des années
1990, dans le cadre des Journées de la culture, j'ai assisté à un atelier
baptisé Du manuscrit à
l'édition. Trois éditeurs y décrivaient les rouages du milieu du livre.
Parmi eux, Jean Pettigrew, des éditions Alire.
Ce que j'ai retenu
des propos de M. Pettigrew?
1. Pour que notre
manuscrit soit lu, il faut être chanceux, tomber le bon jour dans la bonne
pile. Il faut aussi que le lecteur soit de bonne humeur, qu'il n'ait pas de
problème de digestion, mettons. (Là-dessus, on n'a aucun contrôle. Je suggère
d'allumer des lampions.)
2. Pour savoir
jusqu'où s'est rendu le lecteur de la maison d'édition, on n'a qu'à retourner
(inverser le haut et le bas) une page toutes les dix pages. Ainsi, quand le
lecteur de la maison d'édition arrive à la page 10, mettons, il la met à
l'endroit et poursuit sa lecture. Même chose quand il arrive à la page 20,
30, 40, etc. Si le manuscrit est refusé, l'auteur peut demander de ravoir le
document. Il peut alors vérifier l'état des pages retournées.
Il s'agit d'un des meilleurs
conseils que j'ai reçu dans ma carrière. Et je l'ai mis en application dès que
j'ai envoyé Les dames de
Beauchêne à une dizaine de maisons d'édition. C'était en 2000.
J'envisageais déjà d'écrire une trilogie qui s'appellerait Tourments
d'Amérique. (Vous voyez que j'avais déjà beaucoup d'ambition.)
Six mois plus tard,
la première lettre de refus est arrivée par courriel.
Je l'ai imprimée et je l'ai rangée. Je n'étais pas découragée. Après tout, il s'agissait d'un seul refus.
La seconde est arrivée par la poste.
Tout n'était pas sombre, dans cette lettre, alors je gardais encore espoir.
Puis il y a eu les autres. Elles avaient l'air de ça:
et de ça:
Ok. Je commençais à souffrir, je l'avoue. Même que j'ai commencé à avoir peur quand je me rendais à la boîte aux lettres.
Les Français non plus n'en voulaient pas:
Réponse: Aucun n'avait passé la page 20.
J'aurais pu laisser tomber. Je suis aujourd'hui convaincue que les artistes qui réussissent se doivent d'avoir la foi. La foi en leur talent et en leur possibilité. Une foi inébranlable, cela va sans dire.
Au lieu de chercher d'autres éditeurs, je me suis remise à l'ouvrage. J'ai posé mon manuscrit sur mon pupitre, j'ai ouvert un document Word vierge et j'ai complètement réécrit mon roman. Ma conclusion était simple:
J'avais travaillé cinq ans sur ce roman. J'étais nécessairement meilleure à la fin qu'au début.Il fallait donc réécrire, c'est-à-dire composer de nouveau chaque phrase, chaque paragraphe, chaque chapitre. Et c'est ce que j'ai fait.
Une fois que j'ai eu fini de tout réécrire, j'ai envoyé cette nouvelle version de mon roman à dix autres éditeurs en utilisant le même procédé que précédemment. À la librairie de mon village, j'avais ramassé le coupon d'inscription au prix Robert-Cliche. Tant qu'à avoir un roman tout prêt, je l'ai soumis là aussi.
Quelques mois plus tard, cette lettre-ci est arrivée:
C'était un refus, mais j'en ai pleuré de joie. L'éditeur avait eu la gentillesse d'inclure le rapport. Je l'ai dévoré.
J'étais tellement encouragée que j'ai sorti une autre histoire de mes cartons. Il s'agissait d'un roman fantastique pour adolescents sur lequel je travaillais depuis l'université. Je l'ai réécrit en tenant compte des commentaires du rapport et je l'ai envoyé à des éditeurs en utilisant encore une fois le truc de M. Pettigrew.
Les premières lettres ressemblaient à celle-ci:
Puis cette lettre est arrivée:
«Malgré ses qualités certaines.» Vous dire combien ces mots mettaient du baume sur mon coeur d'écrivaine en devenir!
C'est à peu près à ce moment-là que j'ai reçu un coup de fil de Jean-Yves Soucy, de chez VLB éditeur. Il voulait savoir si j'avais signé un contrat pour Les dames de Beauchêne parce que mon roman était finaliste au prix Robert-Cliche et que, pour gagner, il ne devait pas avoir été édité ailleurs.
Ce soir-là, j'ai ouvert une bouteille de bulles. La première (mais pas la dernière, vous vous en doutez).
De mai à septembre, j'ai travaillé sur mon roman pour le préparer à l'édition.
Et le 4 novembre 2002, on me remettait le prix Robert-Cliche à la Bibliothèque nationale.
Le 5 novembre, en revenant chez moi, j'ai trouvé cette lettre de refus dans la boîte aux lettres.
En d'autres circonstances, ça aurait été mon coup de grâce. Croyez-moi quand je vous dis que, malgré mon prix Cliche, j'ai sacré pendant deux jours en me répétant que celui qui m'avait écrit cette lettre n'avait pas lu mon roman. J'y faisais explicitement référence à Highlander! Mes personnes allaient même au cinéma voir le film. J'avais établi plein de correspondances. EXPRÈS!!!!!
Écriture approximative. Vocabulaire pris en défaut. Avouez que ça fesse. (Le plus drôle, c'est que dans presque tous les témoignages que j'ai reçus en onze ans de carrière, mes lectrices et mes lecteurs m'ont toujours parlé de mon écriture. Toujours pour me dire combien ils en appréciaient la simplicité, combien ils étaient touchés par ma façon de raconter, de décrire, de faire vivre les événements. Mais à l'époque de la lettre de refus, je l'avoue, j'ai fortement douté de mon talent. Je vous avouerai aussi que j'écris quand même mieux aujourd'hui qu'à l'époque.)
À ma grande surprise, quelques jours après la plus horrible lettre qu'on m'ait envoyée de ma vie, une autre lettre arrivait, datée du 4 novembre, celle-là, donc écrite juste avant que je reçoive mon prix.
On parle du moment roman ici. De la même version du même manuscrit. Deux éditeurs, deux opinions du même texte. Vous dire combien j'étais confuse!!!
La courte échelle s'était aussi montrée intéressée par mon roman, et c'est avec elle que j'ai signé un contrat. L'année suivante, ce roman, rebaptisé Mystique, gagnait un sceau d'argent M. Christie. Il a depuis été réédité chez Soulières éditeur sous son titre original Sur les traces du mystique.
Et Les dames de Beauchêne dans tout ça? Ben, après avoir mérité le prix Robert-Cliche, le roman a été finaliste au Prix de la relève Archambeault.
Quelles conclusions peut-on tirer de mes débuts littéraires? Premièrement, on peut dire que la littérature possède un caractère fortement subjectif. Deuxièmement, on peut être convaincu que pour être écrivain, il faut être tenace. Il faut avoir une détermination à toute épreuve. Il faut être travaillant, ne pas être pressé. Et il faut avoir la foi.
Dans son livre Écriture, mémoire d'un métier, Stephen King décrit comment, lorsqu'arrivaient les lettres de manuscrits refusés, il les empalait sur un clou fiché dans un mur. J'ai préféré les glisser dans un dossier. C'est comme ça que j'ai pu mettre la main dessus pour vous montrer à quel point le chemin vers le succès est semé d'embûches.
Mais après le prix Robert-Cliche, y eut-il d'autres refus des manuscrits publiés chez VLB? Ça aussi c'est difficile d'essuyer des refus quand tu as déjà pourtant quelques romans ou récits à ton actif.
RépondreSupprimerEnvoyés chez VLB plutôt que ''publiés''.
RépondreSupprimerPas chez VLB, mais j'ai eu un refus chez Soulières après la publication de Rhapsodie bohémienne. On m'a rendu un méchant gros service en refusant ce roman-là. À ce jour, il demeure dans mes cartons avec l'étiquette: Leçon d'humilité.
SupprimerTrès intéressant, merci!
RépondreSupprimerTrès intéressant! Le truc des pages à l'envers m'intrigue: les éditeurs doivent le connaître, est-ce que ça les embête de nous laisser savoir qu'ils s'arrêtent après 20 pages? Bref, je retiens!
RépondreSupprimerÉtant donné que c'est un éditeur qui m'a donné ce truc, je pense qu'on peut s'y fier.
SupprimerJe dirais qu'il s'agit d'un geste généreux de la part des éditeurs. En nous laissant savoir qu'ils n'ont pas terminé le roman, ils nous donnent un méchant gros coup de pouce pour le retravailler.
Merci pour ce merveilleux articles et d'avoir partagé votre vécu en tant qu'auteur. Je l'ai trouvé très utile et agréable à lire. Il nous montre une autre partie de ce que peut vivre un auteur. Je prends bonne note de ce que vous avez écrit et je le garde en mémoire, car mon rêve serait un jour de faire publier un roman que je suis en train d'écrire.
RépondreSupprimerDe rien! ;-)
SupprimerEt bonne chance avec votre roman!
Lolol! Les deux lettres opposées concernant "Sur les traces du mystique" me font rigoler, parce qu'elles me rappellent un rapport de lecture reçu pour Le Chasseur : tous les lecteurs du comité saluaient le style et la technique d'écriture du manuscrit, sauf un qui trouvait l'écriture "maladroite et peu maîtrisée". Sur le coup, j'avais été secouée, mais maintenant j'en ris.
RépondreSupprimer«Excellent attitude!» (À lire en anglais, évidemment.)
SupprimerTrès intéressant. Je vais faire le lien avec Le Passe-Mot afin que le plus de futurs écrivains le lisent. Je vais également le porter à l'attention de La Recrue du mois.
RépondreSupprimerHa! Ha! Merci.
SupprimerBonjour La Doyenne! Je rigole en lisant plusieurs des lettres de refus que vous avez reçu et devine assez bien les maisons d'édition pour avoir reçu sensiblement les mêmes! Je n'ai malheureusement pas obtenu de prix pour mon roman (Enthéos), mais j'ai un souvenir brûlant d'avoir reçu une lettre de refus très, très tardivement pour un premier manuscrit que j'avais envoyé... alors que mon roman était sous presse.
RépondreSupprimerJe crois qu'il faut garder de l'humour dans tout ça. Et tenir compte des remarques qui nous semblent pertinentes pour nous améliorer. Et surtout, ne pas se décourager!
Salutations!
Excusez le retard, votre commentaire m'avait échappé.
RépondreSupprimerJe crois, effectivement, qu'il faut regarder la chose avec humour. Mais je sais que lorsque la lettre de refus arrive, rire est bien la dernière chose qu'on a envie de faire.
Comme l'a dit Charlie Chaplin : "La comédie, c'est la vie en plan large, la tragédie, c'est la vie en gros plan."