L'ornithologue Jean Paquin, décédé la semaine dernière |
Cette
semaine, je devais vous parler de la pédanterie avec laquelle certains chroniqueurs
pensent sérieusement donner le goût de lire. J'y reviendrai bientôt. De toute
façon, la pédanterie ne disparaîtra pas de sitôt.
C'est un
événement survenu mercredi dernier qui est venu bouleverser mes plans. Le genre
d'imprévu qui coupe le souffle. Jeudi soir, au retour d'une conférence que je donnais à Valleyfield, je suis tombée sur l'avis de décès de l'ornithologue Jean Paquin.
Je vous
mentirais si je vous disais que je connaissais bien Jean. Si je devais utiliser
une mesure empirique de relations humaines, je dirais que je le connaissais à
peine. On s'était rencontré à Sept-Îles, au Salon du livre de la Côte-Nord, il
y a des années de ça. On était quatre à table lors d'un souper organisé pour
nous divertir parce que le soir, en février, le temps peut être long à
Sept-Îles (Rassurez-vous, amis auteurs, depuis, le Salon du livre a été déplacé
au printemps).
Je disais
donc que j'ai fait la connaissance de Jean pendant un souper, un vendredi soir
de salon du livre. Il y avait trois hommes et une femme (moi!) à cette table et
on a parlé d'andropause. Sérieux. Moi, qui n'y connaissais rien et qui étais
trop gênée pour poser des questions, j'écoutais avec une attention exceptionnelle
celui de mes compagnons qui racontait comment la chose lui était tombée dessus,
comment il l'avait vécue en s'isolant dans une cabane pour réfléchir sur la vie
et pour réapprivoiser son corps et la personne qu'il était en train de devenir.
Jean écoutait aussi, mais avait précisé qu'il était trop jeune pour connaître
ça.
Je le savais
plus vieux que moi, Jean. Une dizaine d'années peut-être. (L'avis de décès
publié cette semaine m'a prouvé que j'avais vu juste.) J'avais 36 ou 37 ans. Il
en avait donc 46 ou 47. Et même s'il disait ne pas avoir vécu encore ce passage
typiquement masculin, Jean avait été touché par la confession. Remarquez, nous
l'étions tous. On ne se connaissait pas et pourtant, on jasait de choses
intimes, de la vie dans ce qu'elle a de plus humain: le vieillissement de notre
propre corps. Le genre de conversation
que la majorité des gens oublient, probablement.
Moi, j'étais
romancière. Je ne pouvais oublier un moment d'une telle intensité. C'était il y
a dix ans et je n'ai qu'à fermer les yeux pour revoir ces trois hommes. Un
romancier à son premier roman, un sexologue et Jean, qui était le plus jeune
des trois. Et en face, il y avait moi. Vous ne pourriez trouver compagnie plus
étrange.
J'ai souvent
revu Jean. Toujours dans les Salons du livre. Je m'arrêtais devant son kiosque
quand il était en signature. Il s'est arrêté quelques fois devant le mien. On
échangeait des banalités, toujours avec un sourire. C'est qu'il restait entre
nous le lien créé par cette soirée de confidences, ce vendredi-là, à Sept-Îles.
La vérité,
c'est que je ne savais rien d'autre de Jean, à part qu'il était ornithologue et
publiait des livres sur les oiseaux. Il n'en savait pas davantage à mon sujet.
On n'avait jamais abordé la vie personnelle, la situation conjugale, les
enfants, les autres jobs. On ne savait pas si l'autre menait une vie chargée ou si la solitude y creusait des vides. Non, on était des êtres humains qui
avaient partagé un souper dans une ville lointaine un soir d'hiver.
Pourtant,
apprendre sa mort cette semaine m'a fait tout un choc. Je ne savais même pas
qu'il était malade. Vous savez comment ça se passe dans un salon. C'est pas
parce qu'une personne n'est pas là qu'elle est malade. C'est souvent juste
parce qu'elle n'a pas publié cette année. Ou que son éditeur est moins
généreux. Ou que ses finances personnelles ne lui permettent pas de partir
trois-quatre jours pour signer des livres loin de la maison. Jamais on ne se
dit: « Untel n'est pas au salon en fin de semaine; peut-être qu'il ne va pas bien. »
Ce qui me fascine avec le petit milieu littéraire, c'est que les écrivains arrivent de tous les horizons, on a tous des vies très différentes, on prend des chemins détournés pour atteindre nos objectifs... Alors on se retrouve à lier des amitiés (parfois distantes, parfois plus serrées) avec des gens qu'on connaît à peine, dont les réalités sont à mille lieues des nôtres... Et oui, ça fesse quand la mort ou la maladie s'invite dans cette constellation déjà étrange.
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