Il existe
des chroniqueurs et des écrivains qui ont le don de me faire grimper dans les
rideaux. Il y a quelques semaines, c'était le cas de Mathieu Bock-Côté, avec
cette chronique du Journal de Montréal. Pour convaincre les gens qu'ils devraient lire, il citait les grands et les plus grands pour montrer comment, lui, il avait lu et lisait encore et toujours et tout le temps. Et mon doux qu'il en avait, du temps pour lire! Se donner en exemple, dans ce cas-là, ma foi, c'était probablement la pire chose à faire pour inciter à lire quelqu'un qui ne lit pas. Quelques jours plus tard, c'était
Catherine Mavrikakis, avec ce texte publié sur le site Cousins de personne. Elle y dénonçait, entre autres choses, le fait que les jeunes d'aujourd'hui ne lisent plus de classique.
Pourquoi je
grimpe dans les rideaux? Parce que ces lettrés (et bien d'autres!) sont déconnectés de la réalité,
qu'ils vivent dans une tour d'ivoire et pensent pouvoir servir des
leçons au « pauv' p'tit peup' qui lit pas ou qui lit pas la bonne affaire ». Ils me font le même effet que ces libraires français qui ont refusé de vendre le livre de l'ex-copine du président français.
Je l'ai déjà
dit sur ce blogue, je viens d'un milieu où les gens lisaient peu. Je ne parle
pas de chez nous, non! Ma mère, qui faisait figure d'exception dans sa famille,
nous a mis des livres dans les mains bien avant de nous donner une brosse à
dents. Mais dans l'ensemble, j'ai grandi dans un environnement où les livres
étaient vus comme quelque chose d'élitiste.
Ma mère
possédait un secondaire 2. Mon père, un secondaire 1. Mon beau-père
est allé au cégep quand j'avais déjà 10 ans. Avant, ils avaient tous travaillé
à la même usine. Au Québec, dans années 1960, la majorité des jeunes sortaient
de l'école tôt pour aller travailler à l'usine. C'était de même. Seuls les
riches — et les plus motivés — suivaient leur cours classique. Pour les autres,
c'était le marché du travail. Par la suite, au mieux, on lisait le journal. Au
pire, on ne lisait plus. Et on survivait très bien.
Je suis née
après et j'ai fait mon secondaire à l'école publique au début des années 1980. J'y ai lu Alexandre Dumas et un
peu de Nelligan. Ça s'arrêtait pas mal là.
Au cégep, on
m'a fait lire des romans du terroir, des histoires que j'ai trouvées tellement
plates que ça m'a écoeurée de la littérature québécoise pendant des années. Je
préférais de loin les traductions américaines et les romans historiques venus
de France. D'ailleurs, autour de moi, ceux qui lisaient lisaient la même chose
que moi.
Quand Noël
Audet a publié son Écrire de la fiction
au Québec, il a déclaré avec que la littérature québécoise ne rejoignait
pas le public québécois. Mon doux que le milieu littéraire québécois était fâché d'entendre un des grands dire une chose pareille! N'empêche qu'il
avait raison. Comme j'en ai déjà parlé sur ce blogue, en 1992 et avant, au
Québec, on publiait surtout de la littérature « littéraire » pour un
public constitué essentiellement de littéraires (ou autres membres de l'élite).
Les rares
auteurs québécois qui rejoignaient les gens ordinaires, c'étaient les Arlette
Cousture, Francine Ouellette, Yves Beauchemin et Noël Audet de ce monde. Ceux-là,
en fait, que la télé nous avait fait connaître avec une série tirée d'un de
leurs romans. Même Québec Loisirs boudait les auteurs d'ici (à part ceux que je
viens de nommer pour la raison que je viens de donner).
Mais voilà
qu'en 1997, le Ministère de l'Éducation a effectué une réforme en profondeur du
programme de français. À partir de ce moment-là, les élèves du secondaire
devaient lire quatre romans par année. On peut qualifier la décennie qui suivit
d'âge d'or de la littérature jeunesse au Québec.
Aujourd'hui,
un jeune de 17 ans aura lu une vingtaine de romans le jour de sa graduation. Attention,
il ne s'agit pas ici de grands classiques. On parle de romans qui, si on est
chanceux, lui auront donné le goût de lire et de continuer à lire. Si on est
chanceux. Si le prof est conscient de la fragilité de ce qu'il a entre les
mains. Et s'il est conscient que lire, pour la majorité des gens, demande un
effort. Pour certains encore plus que pour d'autres.
Chose
certaine, les élèves finissent aujourd'hui leur secondaire avec de meilleures
aptitudes en lecture et une culture littéraire plus approfondie que les jeunes
qui ont gradué avec moi en 1985.
La littératie
québécoise se porte-t-elle mieux aujourd'hui qu'autrefois? Absolument. Peut-on
faire mieux? Absolument aussi.
Je suis en
train de devenir allergique à ces lettrés qui nous répètent ad nauseam comment
c'était mieux, dans le temps. C'était quand, ce temps-là? Quand les femmes
mettaient au monde des familles de dix ou douze enfants pis que seul celui qui
allait devenir curé recevait une instruction sur le sens du monde?
J'adore
Bryan Perro et Anne Robillard. Et je pense qu'on devrait les remercier
collectivement d'avoir fait lire nos jeunes pour le plaisir. Ces deux auteurs ont prouvé
aux ados de la fin des années 90 et des années 2000 que c'était possible de
trouver un livre intéressant écrit dans la langue de chez nous (ce qui fait
qu'on n'avait pas besoin d'un dictionnaire toutes les trois lignes.)
Pour ceux
qui ne le savent pas, je vous annonce que devoir chercher dans le dictionnaire
décourage les lecteurs les plus faibles. On aime ça, nous, les auteurs, montrer qu'on a du vocabulaire. On ne réalise pas à quel point
on écoeure le lecteur. On se dit « Il n'a qu'à se forcer! ». On
n'imagine pas un instant qu'il peut aussi bien refermer le livre et passer
à autre chose. Ce qu'il fait souvent d'ailleurs sans même une hésitation.
Si la marche
est haute, la mettre encore plus haute ne servira jamais de motivateur. Au
contraire! C'est assez pour convaincre bien des gens de dépenser leur argent
autrement et de faire autre chose de leur temps libre.
P.-S.: Au début de ma dernière année d'enseignement, j'avais commencé à donner en dictée un texte de Robert Soulières. Il s'agissait d'une nouvelle de six pages sous forme de lettres que le personnage principal, en fugue, écrivait à sa famille. Il y dressait la liste de ses doléances. Au lendemain de ma deuxième dictée, le directeur m'a convoquée dans son bureau. Un parent s'était plaint du genre de texte que je donnais en dictée à mes élèves (Je vous rappelle que c'était de Robert Soulières!!!). On m'a interdit de lire la suite en classe. J'ai eu beau expliquer quel le personnage, qu'on croyait adolescent, était en fait un vieillard tanné de vivre chez sa fille, ça n'a rien changé. L'école où j'enseignais avait pour devise Le parent a toujours raison, qu'il soit doté ou non de jugement.
Douze ans plus tard, c'est encore comme ça à ben des places. Ce texte de Foglia est passé sous mon radar parce qu'il est paru pendant que j'étais au Yukon en mars dernier. Une maudite chance pour lui parce que je lui aurais dédié tout un billet! Si je viens juste de le lire, c'est que ce texte de Foglia a forcé le programme La culture à l'école à réévaluer la pertinence des livres qui font partie du programme. Le livre dénoncé? Un roman de chez Alire qu'on a imposé en lecture obligatoire en 4e secondaire. ALIRE!!! En QUATRIÈME SECONDAIRE. Faut être tata en maudit pour douter de la qualité d'un roman de chez Alire. Et faut avoir la tête dans le sable pour penser qu'un jeune de 16 ans n'a pas vu pire (dans les télé-séries américaines, par exemple).
Lettrés vertueux amateurs de censure, vous n'aidez pas la cause de la lecture, loin de là!
Ajout: Comme si j'avais pas déjà de quoi m'indigner, v'là une autre lettrée qui en rajoute une couche avec ce texte sur le site de L'actualité. Extrait: «... aucun chemin ne mène de Twilight à Baudelaire… S’il existait un tel raccourci, le pauvre poète se retournerait dans sa tombe !» Que d'arrogance, quand même!
J'abonde, ma chère, j'abonde. Si je n'avais pas lu les traductions de séries américaines comme Dragonlance, Royaumes oubliés, Ravenloft et autres séries liées à des jeux de rôle, je n'aurais pas eu autant la piqure de la lecture et je n'aurais pas commencé à écrire.
RépondreSupprimerDragonlance! Mon doux que j'ai aimé ça! Surtout Les Jumeaux.
SupprimerJe concluerais - si tant est qu'il faut une conclusion-- en disant que chacun "juge" selon son expérience, selon ce qu'il a connu à son époque, selon ses valeurs.
RépondreSupprimerTout le monde témoigne de ce qu'il connaît et transmet ce qu'il souhaite pour la génération future. Tant mieux si ça apporte des réactions, un débat.
La réalité peut être très différente selon les milieux, mais réalité quand même. Il en faut pour tous les goûts, tous les sexes, tous les âges.
Et je ne crois pas qu'il n'y ait qu'une seule recette pour donner le goût de lire aux jeunes. Pas plus que donner le goût de la musique ou de la peinture ou... ou...
... ou de l'activité physique. ;-)
SupprimerÀ l'époque de la publication du texte de Foglia, j'ai échangé quelques courriels avec le monsieur. Qui ne connaissait pas tellement le milieu de l'édition québécoise "de genre" (quelle surprise!). Je lui avais d'ailleurs fait remarquer que dans sa liste des "grands" du roman noir, il ne nommait pas un seul québécois (et pas beaucoup de contemporains).
RépondreSupprimerMais ouais, des cas de parents sans trop de jugement qui font des scandales avec rien, j'en ai vu beaucoup. Remarque, j'ai vu des profs manquer de jugement aussi. La peau blanche de Joël Champetier, c'est excellent, mais en deuxième secondaire, c'est ptêt un peu tôt...
Ah, tu as bien fait Gen!
SupprimerGen, je n'ai pas lu La peau blanche, mais pourquoi supposer qu'en deuxième secondaire c'est un peu tôt? Je fais confiance aux enfants (tout comme aux adultes) chacun sait ce qui lui convient, ce qu'il va poursuivre une fois la première page lue.
SupprimerLa peau blanche ça parle de succube, donc de sexe. Et en deuxième secondaire, les élèves ne sont pas prêts à aborder ce sujet EN CLASSE. Individuellement, certains sont prêts à lire ce livre, oui, mais le groupe, non. Et là je ne parle pas des réactions des parents.
SupprimerJ'abonde dans le même sens que toi pour beaucoup de choses, mais il faut dire que les deux billets que tu cites proviennent de lecteurs aguerris. Normal qu'ils parlent de ce qu'ils aiment! Mais c'est justement ça qu'il faut comprendre: aimer lire. Y prendre plaisir! Tu mets le doigt sur un point important, c'est que l'on doit aimer ce qu'on lit. Tu cites Anne Robillard et Bryan Perro et tu as raison: ces deux auteurs ont merveilleusement su introduire une panoplie de jeunes lecteurs à la littérature. Par contre, je dirais que plus on lit, plus on développe son goût et alors, il est intéressant de varier nos lectures et d'aller vers des auteurs plus exigeants. C'est comme un escalier: certains auteurs vous permettront de monter la première marche et de voir que ce n'est pas si pire que ça et qu'on peut ensuite monter les autres... Jusqu'où ira-t-on? C'est personnel à chacun. Et personne ne doit juger, parce que personne ne vit dans les souliers de ce lecteur, sa vie, son temps et ses autres occupations.
RépondreSupprimerJe dirais cependant que les auteurs plus littéraires sont autant nécessaires que les auteurs populaires. Pour assurer une diversité. Pour permettre à des lecteurs plus exigeants d'avoir accès à la littérature qui les gardera accroché. Et tant qu'à y être, j'aime autant mieux qu'ils lisent Catherine Mavrikakis que des auteurs français ou allemand ou de n'importe où. :)
J'aime.
SupprimerDans les articles cités par Mylène, je n'ai pas vraiment vu le mépris des masses, j'ai plutôt vu, comme toi Prospéryne, le simple fait d'un choix différent parce que éducation, valeurs, intérêts différents.
T'iras lire ce texte, Claude: http://www.lactualite.com/culture/de-twilight-a-baudelaire/
SupprimerComme si on avait besoin, collectivement, qu'une autre lettrée en rajoute:
RépondreSupprimerhttp://www.lactualite.com/culture/de-twilight-a-baudelaire/
"...aucun chemin ne mène de Twilight à Baudelaire…». Que d'ignorance il faut pour écrire ça, que d'arrogance, aussi.
SupprimerEuh, j'ai beau relire le texte, je ne vois rien d'offensant à ce qu'elle dit. Je ne comprends pas ce qui te fait réagir autant la Doyenne. :(
SupprimerJe viens d'à peu près le même milieu que toi et oui, le chemin entre les classiques et la littérature "de masse" s'est fait graduellement pour moi. J'ai ensuite étudié en littérature et ça m'a toujours choquée de voir le mépris pour ce que lisaient les gens. Tellement que mon sujet de maîtrise que j'aurais fait si j'avais continué aurait été de chercher à savoir ce que les gens allaient chercher dans la littérature "de masse": ce qui faisait sens pour eux. Je réalise maintenant que mon sujet était déjà pas mal plus sociologique que littéraire (j'étudie maintenant en socio!) Mais mon souci de rétablir la valeur de la lecture, de toutes les lectures, en incluant les bd et les mangas tiens!, reste très important pour moi.
RépondreSupprimerAmen! comme disait idmuse.
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