lundi 27 avril 2015

Les bonnes nouvelles, le travail et la victime


Shotgun shack de l'écrivain
Hier, la ministre David a fait l'annonce de son plan d'action pour le milieu du livre. C'est réjouissant de voir que le gouvernement reconnaît la valeur de cette industrie, mais c'est encore plus émouvant pour des auteurs comme moi parce que les mesures que compte implanter le gouvernement ne pénaliseront pas les auteurs québécois à succès, comme ça aurait été le cas avec le livre à prix unique. Fallait trouver d'autres moyens, et je suis contente de voir que le Luc Fortin, député de Sherbrooke et adjoint parlementaire de la ministre de la Culture et des Communications et ministre responsable de la Protection et de la Promotion de la langue française (Quel titre, quand même!), a planché sur la chose avec sérieux. Pour prendre connaissance des douze mesures qui seront appliquées (et qui réjouissent autant l'Uneq que l'Association des libraires du Québec),  c'est ici.

J'ai attrapé sur Facebook en fin de semaine un texte de David Desjardins sur le travail. 

On dirait que ça n'a rien à voir avec le paragraphe précédent, c'est pourtant le cas parce que j'aime ma job. Passionnément. Et aimer sa job, pour moi, est une des choses les plus importantes dans la vie. Je lis tout ce qui passe sur le sujet. J'écris là-dessus. J'en parle. J'observe. Ça me fascine (mon chum dirait que ça m'obsède). C'est philosophique! L'auteure Sylvie Ouellette m'a un jour envoyé un article où l'on comparait les heures de notre vie à des grains de sable dans une petite cuillère. Vue de même, en 3 D, on réalise à quel point nos jours sont limités dans le temps. Si on consacre ces heures à faire quelque chose qu'on déteste, on mène une vie de merde (pour paraphraser David Desjardins). Je suis partisane de la théorie de Thoreau qui disait qu'on est riche quand on est pauvre de besoins. 

Concrètement, ça veut dire qu'on peut se contenter d'un salaire moindre (ce qui veut dire pour beaucoup de gens qu'ils peuvent travailler moins), quand on réalise qu'on a besoin de très peu pour vivre. Pour arriver à une telle conclusion, cependant, il faut souvent avoir touché le fond. Malheureusement. (J'en dirai pas plus.)

J'aurais pu être ingénieure en électricité. C'est d'ailleurs la première branche que j'ai étudiée à l'université. J'ai arrêté en chemin. Pas parce que je pensais que j'en étais incapable, mais parce que je m'y ennuyais à mourir. Je me souviendrai toujours de cet extrême moment de lucidité. C'était dans un cours de math. Le prof parlait, je regardais le problème à résoudre, j'écoutais le prof et, sérieux, je m'emmerdais comme jamais avant dans ma courte vie. Un voile s'est levé tout à coup, et j'ai vécu la suite comme une épiphanie. Si je continuais comme j'étais partie, ma vie serait un éternellement recommencement de ce cours de math. J'allais plancher sur ce genre de problèmes jusqu'à ma retraite. Quarante-cinq années à faire quelque chose qui m'éteindrait, alors que j'avais en dedans de moi d'immenses possibilités et que j'avais envie de me consumer avec intensité. J'ai pris mes livres, je suis sortie du cours et je ne suis même jamais retournée dans le pavillon de sciences. Sec de même. C'était pas de l'impulsivité, c'était la grande réalisation que je n'étais pas faite pour l'ingénierie, que c'était le rêve de ma mère, pas le mien.

Dans Le Devoir de samedi, il y avait tout un dossier sur les 75 ans du droit de vote des femmes.  Sous une photo de Lise Payette, on pouvait lire ceci:

 « Ici, les femmes disent qu’en politique, il y a de l’espoir, que les hommes sont enfin plus ouverts et que le mot “égalité” ne pourrait plus disparaître du vocabulaire courant. Je suis portée à sourire car, soyons honnêtes, les choses ont si peu progressé depuis 50 ans que c’est à pleurer. Nos gains ne sont jamais garantis. »

Je me suis étouffée avec ma gorgée de café. Pis j'ai déchiré ma chemise (comme trop souvent) pendant le reste du déjeuner. «... soyons honnêtes, les choses ont si peu progressé depuis 50 ans que c’est à pleurer.» Vraiment? Parle-t-elle juste de la politique? Parce qu'entre ma vie et celle de ma mère, il y a un océan. Entre celle de ma grand-mère et la mienne, il y a un univers entier! Vrai que les gains des féministes ne sont jamais garantis. La preuve, la menace qui plane constamment sur le droit à l'avortement. La preuve aussi ces hommes (de moins en moins nombreux, d'ailleurs) qui pensent que les tâches domestiques sont la responsabilité des femmes. On a le devoir de rester vigilantes, mais doit-on pour autant conclure que la situation des femmes a peu progressé?

Je déteste qu'on pose toutes les femmes en victimes. Ça m'horripile. Ça m'enrage. Et ça me fait chialer pendant des heures. Je ne suis pas une victime. Et jamais je ne me suis vue comme inférieure à un gars. Et jamais on ne m'a fait me sentir inférieure à un homme. Si on l'avait fait, j'aurais pogné les nerfs, dénoncé la chose et ridiculisé l'homme qui se serait pensé supérieur parce qu'il avait un pénis entre les jambes. Heureusement pour moi (et pour cet homme que je n'ai pas rencontré), je n'ai pas goûté à cette injustice. J'ai grandi avec la certitude que j'étais un être humain complet, autonome et capable de choisir ce que je voulais faire de ma vie. Si je reconnais que bien des femmes ont été victimes de plein de crimes, qu'on les a tassées, rabrouées, bafouées, violées et tuées sans vergogne, j'affirme aussi que la société a avancé, que les conditions des vies des femmes au Canada sont enviables. Prétendre le contraire, c'est admettre l'échec! C'est diminuer la valeur des combats qui ont mené à notre façon de vivre, à cette égalité non seulement souhaitable, mais accessible.  Il reste plein d'injustices, c'est vrai. C'est pas une raison pour nier le progrès.

Je me contente d'une vie simple, pas parce que je suis une femme, mais parce que j'ai choisi d'être écrivaine et que c'est une des conditions inhérentes à ce métier. Je serais un homme que les conditions de vie seraient aussi précaires et aussi peu lucratives. Et je serais aussi libre que je le suis en tant que femme parce que je suis un être humain complet, autonome et conscient que la liberté se paie. Ça ne m'empêche pas de saluer bien bas un gouvernement qui reconnaît la valeur de mon métier et son apport à la société. 

AJOUT: Luc Fortin parlait de son plan d'action à C'est pas trop tôt en Estrie ce matin. C'est ici, à 7:20. http://ici.radio-canada.ca/premiere


2 commentaires:

  1. Moi aussi ça me rend folle quand j'entends des affaires comme "les choses ont tellement peu changées depuis 50 ans". Euh... mon chum vient de prendre 9 mois de congé parental. Et quand il est parti, son boss lui a dit "Chanceux, j'aimerais ça avoir assez économisé pour faire pareil quand on aura notre prochain enfant". J'aurais aimé voir ça il y a 50 ans!!!

    Cela dit, énormément de gens vivent leur vie en zombie. Ils n'haïssent pas leur job, ni leurs collègues, ni leur blonde, ni leurs enfants, mais il n'y a rien qui les allume non plus dans tout ça. Ils sont juste éteints. Aucune passion artistique, aucun élan. Même pas de rage, ce serait trop d'investissement émotionnel. Ils suivent le train du consumérisme : travail, overtime, acheter des bébelles, s'endetter, faire plus d'overtime, etc.

    Le pire, c'est que je connais certaines de ces personnes depuis l'école primaire et je sais que c'est pas le milieu du travail qui les a rendus comme ça : ils étaient déjà de même en deuxième année. Je comprends juste pas ce genre de personne.

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    1. Pendant la course Iditarod, j'ai lu un blogueur de l'Alaska à ce sujet. Il a utilisé l'expression: «They stand outside the fire.» J'avais trouvé ça percutant comme image.

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