mercredi 20 mai 2015

Renaud-Bray avale Archambault


Là où croît le péril croît ce qui sauve. Les mots sont du poète Hölderlin, mais je les ai piqués à Hubert Reeves dont c'est le titre du dernier livre. Selon M. Reeves, là où croît le péril écologique, croît aussi l'éveil vert, ce qui sauve. Autrement dit, plus grande est l'adversité, plus il y a de chances pour qu'enfin quelqu'un s'y oppose.

C'est à cette formule que j'ai pensé hier en apprenant l'achat d'Archambault par Renaud-Bray. En fait non. J'ai d'abord été prise d'un grand désespoir à l'idée d'un monopole qui contrôlerait ce que l'on publie, qui l'on publie et comment on le publie. Pas besoin d'aller chercher les exemples bien loin. Tout le monde sait que quand Blaise Renaud prend un auteur en grippe, on ne trouve plus les livres de cet auteur sur les tablettes de Renaud-Bray. Facile d'imaginer l'ampleur de cette censure si on ne retrouve plus non plus les livres de cet auteur chez Archambault. Ça pis la tyrannie...

Le péril, donc, c'est une possible prise de contrôle de l'édition au Québec par Blaise Renaud. Un peu comme c'était le cas au Canada anglais avec Chapters il y a quelques années. Imaginez des mégalibraires à qui on devait faire approuver les couvertures de livres, les auteurs, la longueur des romans, etc.

Ce qui sauve

Au Canada anglais, donc, on vivait sous l'empire Chapters... jusqu'à l'apparition d'Amazon. Amazon, qui n'a même pas pignon sur rue, s'est installé partout en Amérique du Nord (et maintenant partout en Occident) et est venu ébranler les plus gros, ceux qui en étaient rendus à faire la pluie et le beau temps dans le milieu de l'édition. Les années ont passé, Chapters-Indigo file doux, il en arrache et se présente désormais comme le protecteur de la culture. C'est quasiment rafraîchissant.

Avec sa récente transaction, Blaise Renaud affirme vouloir concurrencer Amazon, c'est-à-dire jouer sur le même terrain.

Imaginons alors qu'un livre se voit interdit de séjour dans les magasins de M. Renaud (donc chez Renaud-Bray et chez Archambault). Pour l'acheter, soit il faudra aller dans une libraire indépendante (il y en a de moins en moins et il n'y en a pas partout), soit il faudra aller sur Amazon. Je parie que bien des consommateurs vont opter pour Amazon parce qu'Amazon, qui possède probablement tous les défauts de la Terre, possède aussi la caractéristique d'être hautement addictif. Une fois que le numéro de ta carte de crédit est inscrit sur le site d'Amazon, il devient très facile d'acheter tes livres en ligne. Ils arrivent direct dans ta boîte aux lettres. C'est bien plus facile que de te rendre dans une libraire. Quelle qu'elle soit. Pis souvent bien plus vite aussi. De plus, chez Amazon, tu trouves de tout'. Bien plus de tout' que chez Renaud-Bray. Rien que ça, ça devrait rallonger la mèche de Blaise Renaud. Parce que si l'alternative à Renaud-Bray, c'est Amazon, Blaise Renaud ne fait pas le poids.

Autre chose dans la colonne qui sauve:  Depuis le début du conflit entre Dimédia et Renaud-Bray, je me questionne sur l'absence de solidarité entre distributeurs. Vous savez, Blaise Renaud n'aurait jamais niaisé Adp comme il niaise Dimédia. C'est trop gros, Adp, et ça distribue bien trop de gros best-sellers, ceux que M. Renaud veut dans ses librairies. Pis Prologue n'est pas ben loin derrière. À deux, ils mènent le bal dans la distribution de livres au Québec.

Depuis le début du conflit, donc, je fantasme à l'idée qu'Adp s'unisse à Prologue pour expliquer à M. Renaud l'importance de régler l'affaire. « Tsé, mettons qu'on arrête pendant une couple de semaines de te livrer nos livres, penses-tu que ça t'aiderait à trouver une solution honnête qui ferait l'affaire de tout le monde? »

Depuis hier, je fantasme plus que jamais.

Mise en situation: Mettons que le best-sellers que Mme Chose veut acheter ne se trouve pas chez Renaud-Bray ni chez Archambault, il y a de fortes chances pour que Mme Chose se le commande sur Amazon. On ne parlerait plus uniquement des livres de Dimédia ici. On parlerait des livres qui font le pain et le beurre de M. Renaud. Me semble qu'une telle perspective lui adoucirait les coins. Parce qu'une fois que tu as goûté à Amazon, ça te laisse un goût de revenez-y assez puissant merci.

En achetant Archambault, Renaud-Bray devient gros. On peut espérer que le gouvernement et que les autres distributeurs vont le trouver trop gros pour lui passer ses caprices, ses règlements de compte puérils et les pratiques douteuses de surremises qu'il exige des éditeurs.

Dans une entrevue accordée à l'Actualité, l'automne dernier, Blaise Renaud disait qu'il ne voyait pas de différence entre gérer une librairie et gérer un magasin de souliers. On peut espérer que ses nouvelles ambitions lui apporteront le détachement nécessaire dans le commerce international. Parce qu'un marchand de souliers, s'il veut des clients, ne peut pas se permettre de faire dans les sentiments. C'est pas bon pour les affaires. Surtout si ça envoie les clients chez un concurrent plus solide.

Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités. Je me plais à espérer que la taille gigantesque de ce nouveau réseau de librairies ne soit pas la voie impériale que l'on imagine. 

3 commentaires:

  1. C'est dommage que sur les blogues, on ne puisse pas faire simplement un "thumb's up", alors je prendrai le temps d'écrire ce petit commentaire pour expliquer combien j'ai savouré cet article :D
    -- Démie

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  2. On va espérer en effet que quelque chose va forcer M. Renaud à mettre de l'eau dans son vin. Mais pour ce qui est d'espérer de la solidarité de la part des distributeurs... Hum... Ayant vu comment un distributeur peut traîter un éditeur qui ne vend pas assez à son goût, j'ai comme des doutes.

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