Là où croît le péril croît ce qui
sauve. Les mots sont
du
poète Hölderlin, mais je les ai piqués à Hubert Reeves dont c'est le titre du
dernier livre. Selon M. Reeves, là où croît le péril écologique, croît
aussi l'éveil vert, ce qui sauve. Autrement dit, plus grande est l'adversité,
plus il y a de chances pour qu'enfin quelqu'un s'y oppose.
C'est à cette formule que j'ai pensé
hier en apprenant l'achat d'Archambault par Renaud-Bray. En fait non. J'ai
d'abord été prise d'un grand désespoir à l'idée d'un monopole qui contrôlerait
ce que l'on publie, qui l'on publie et comment on le publie. Pas besoin d'aller
chercher les exemples bien loin. Tout le monde sait que quand Blaise Renaud
prend un auteur en grippe, on ne trouve plus les livres de cet auteur sur les
tablettes de Renaud-Bray. Facile d'imaginer l'ampleur de cette censure si on ne
retrouve plus non plus les livres de cet auteur chez Archambault. Ça pis la
tyrannie...
Le péril, donc, c'est une
possible prise de contrôle de l'édition au Québec par Blaise Renaud. Un peu
comme c'était le cas au Canada anglais avec Chapters il y a quelques années.
Imaginez des mégalibraires à qui on devait faire approuver les
couvertures de livres, les auteurs, la longueur des romans, etc.
Ce
qui sauve
Au Canada anglais, donc, on
vivait sous l'empire Chapters... jusqu'à l'apparition d'Amazon. Amazon, qui n'a
même pas pignon sur rue, s'est installé partout en Amérique du Nord (et
maintenant partout en Occident) et est venu ébranler les plus gros, ceux qui en
étaient rendus à faire la pluie et le beau temps dans le milieu de l'édition. Les
années ont passé, Chapters-Indigo file doux, il en arrache et se présente
désormais comme le protecteur de la culture. C'est quasiment rafraîchissant.
Avec sa récente transaction,
Blaise Renaud affirme vouloir concurrencer Amazon, c'est-à-dire jouer sur le
même terrain.
Imaginons alors qu'un livre se
voit interdit de séjour dans les magasins de M. Renaud (donc chez
Renaud-Bray et chez Archambault). Pour l'acheter, soit il faudra aller dans une
libraire indépendante (il y en a de moins en moins et il n'y en a pas partout),
soit il faudra aller sur Amazon. Je parie que bien des consommateurs vont opter
pour Amazon parce qu'Amazon, qui possède probablement tous les défauts de la
Terre, possède aussi la caractéristique d'être hautement addictif. Une fois que
le numéro de ta carte de crédit est inscrit sur le site d'Amazon, il devient
très facile d'acheter tes livres en ligne. Ils arrivent direct dans ta boîte
aux lettres. C'est bien plus facile que de te rendre dans une libraire. Quelle
qu'elle soit. Pis souvent bien plus vite aussi. De plus, chez Amazon, tu
trouves de tout'. Bien plus de tout' que chez Renaud-Bray. Rien que ça, ça
devrait rallonger la mèche de Blaise Renaud. Parce que si l'alternative à
Renaud-Bray, c'est Amazon, Blaise Renaud ne fait pas le poids.
Autre chose dans la colonne qui
sauve: Depuis le début du conflit entre
Dimédia et Renaud-Bray, je me questionne sur l'absence de solidarité entre
distributeurs. Vous savez, Blaise Renaud n'aurait jamais niaisé Adp comme il
niaise Dimédia. C'est trop gros, Adp, et ça distribue bien trop de gros
best-sellers, ceux que M. Renaud veut dans ses librairies. Pis Prologue
n'est pas ben loin derrière. À deux, ils mènent le bal dans la distribution de
livres au Québec.
Depuis le début du conflit, donc,
je fantasme à l'idée qu'Adp s'unisse à Prologue pour expliquer à M. Renaud
l'importance de régler l'affaire. « Tsé, mettons qu'on arrête pendant une
couple de semaines de te livrer nos livres, penses-tu que ça t'aiderait à
trouver une solution honnête qui ferait l'affaire de tout le monde? »
Depuis hier, je fantasme plus que
jamais.
Mise en situation: Mettons que le
best-sellers que Mme Chose veut acheter ne se trouve pas chez Renaud-Bray
ni chez Archambault, il y a de fortes chances pour que Mme Chose se le
commande sur Amazon. On ne parlerait plus uniquement des livres de Dimédia ici.
On parlerait des livres qui font le pain et le beurre de M. Renaud. Me
semble qu'une telle perspective lui adoucirait les coins. Parce qu'une fois que
tu as goûté à Amazon, ça te laisse un goût de revenez-y assez puissant merci.
En achetant Archambault,
Renaud-Bray devient gros. On peut espérer que le gouvernement et que les autres
distributeurs vont le trouver trop gros pour lui passer ses caprices, ses
règlements de compte puérils et les pratiques douteuses de surremises qu'il
exige des éditeurs.
Dans une entrevue accordée à
l'Actualité, l'automne dernier, Blaise Renaud disait qu'il ne voyait pas de
différence entre gérer une librairie et gérer un magasin de souliers. On peut
espérer que ses nouvelles ambitions lui apporteront le détachement nécessaire
dans le commerce international. Parce qu'un marchand de souliers, s'il veut des
clients, ne peut pas se permettre de faire dans les sentiments. C'est pas bon
pour les affaires. Surtout si ça envoie les clients chez un concurrent plus
solide.
Avec de
grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités. Je me plais à espérer que
la taille gigantesque de ce nouveau réseau de librairies ne soit pas la voie
impériale que l'on imagine.
C'est dommage que sur les blogues, on ne puisse pas faire simplement un "thumb's up", alors je prendrai le temps d'écrire ce petit commentaire pour expliquer combien j'ai savouré cet article :D
RépondreSupprimer-- Démie
Ah,ben! Merci!
SupprimerOn va espérer en effet que quelque chose va forcer M. Renaud à mettre de l'eau dans son vin. Mais pour ce qui est d'espérer de la solidarité de la part des distributeurs... Hum... Ayant vu comment un distributeur peut traîter un éditeur qui ne vend pas assez à son goût, j'ai comme des doutes.
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